Mandilion - 12e siècleAvec les dimanches de pré-carême :

  • dimanche de Zachée
  • dimanche du publicain et du pharisien
  • dimanche du fils Prodigue
  • dimanche du Jugement dernier
  • dimanche d’Adam chassé du Paradis

l’Église nous a exposé le chemin qu’Elle nous propose de suivre. Et c’est bien normal de savoir où l’on va et comment y aller, avant de s’engager dans un long et difficile voyage. Mais durant le grand Carême, c’est d’encouragements dont nous avons besoin et chaque dimanche, l’Église nous montre un aspect des fruits que l’on récolte en parcourant ce chemin spirituel qui nous amène à Pâque :

  • dimanche du triomphe de l’Orthodoxie
  • dimanche de St Grégoire Palamas
  • dimanche de la Croix
  • dimanche de St Jean Climaque
  • dimanche de Ste Marie l’Égyptienne

L’Icône : Et le Verbe s’est fait chair[1]

En ce premier des cinq dimanches du Carême pascal — dimanche du triomphe de l’orthodoxie —, l’Église consacre la victoire de la vérité Orthodoxe sur les iconoclastes, avec le rétablissement de la vénération des icônes, et plus généralement, la victoire de la vérité sur toutes les erreurs doctrinales. Et le thème de ce dimanche est la restauration de l’Image de la Gloire de Dieu en nous. Mais cette restauration n’est possible que par l’Incarnation du Christ, et comme le rappelle St Jean Damascène[2] :

Comment faire une image de l’Invisible ? Comment représenter les traits de ce qui n’est à nul autre pareil ? Comment représenter ce qui n’a ni quantité, ni grandeur, ni limites ? Si tu as compris que l’Incorporel s’est fait homme pour toi, alors c’est évident, tu peux exécuter son image humaine. Puisque l’Invisible est devenu visible en prenant chair, tu peux exécuter l’image de celui qu’on a vu. Puisqu’il s’est réduit à la quantité et à la qualité et s’est revêtu des traits humains, grave donc sur le bois et présente à la contemplation celui qui a voulu devenir visible.

Les Pères de l’Église vont plus loin en affirmant que celui qui ne comprend pas la vénération (pas l’adoration qui s’adresse uniquement à Dieu) due à la Croix, aux icônes, aux reliques, aux Saints, n’a pas compris toutes les implications de l’Incarnation du Christ : nous sommes sauvés corps et âme et la sanctification de notre âme se propage dans la création.

Extraits des textes du triode

Tropaire du jour :

Dieu bon, nous vénérons ta sainte icône * demandant le pardon de nos fautes, Christ, Dieu * Tu as voulu monter sur la croix dans la chair * pour délivrer de l’esclavage de l’ennemi ceux que Tu as créés * Nous Te rendons grâce et Te chantons * Tu as empli de joie l’univers, notre Sauveur venu sauver le monde.

La Parole devenue Visage

« Fais-moi voir ta Gloire ! » Cette imploration de Moïse résume bien le désir des hommes à travers les siècles : voir la face de Dieu. Mais comment penser l’Illimité, l’Intemporel, en un mot l’Invisible, sans en faire une caricature et tomber dans l’idolâtrie ? D’où l’interdiction formelle, omniprésente dans l’Ancienne Alliance : « Tu ne te feras pas d’images. »

Et le Verbe s’est fait chair. La Parole prend Visage ! Celui que les prophètes ont annoncé et qui s’est manifesté à maintes reprises dans l’histoire humaine se laisse circonscrire dans un corps, se soumet à l’espace et au temps, unit sans mélange et sans confusion sa divinité à notre humanité. En Jésus-Christ, le Père se révèle aux hommes de tous les temps, donne à voir le Visage de la Deuxième personne de la Tri-Unité sainte.

Cette incarnation de Dieu dans l’histoire permet dès lors de circonscrire son image divino-humaine par la forme et les couleurs sur une planche de bois et sur tout support matériel approprié. Il revient à cette image mystérique de témoigner de l’hominisation de l’Émmanuel : Dieu avec nous. L’icône est née !

Mais il ne suffit pas de naître, encore faut-il grandir et atteindre la maturité. L’icône s’élabore au fil des siècles marqués par de sanglants affrontements entre partisans et détracteurs, qui y perçoivent des enjeux vitaux pour la vie des chrétiens. La victoire de ses défenseurs en 843 est à marquer d’une pierre blanche : triomphe de l’orthodoxie, c’est-à-dire de la foi juste, cette victoire est commémorée chaque année par les fidèles orthodoxes le 1er dimanche de carême.

Élaborée dans l’Eglise indivise, l’icône a poursuivi son développement dans l’Église orthodoxe qui en est ainsi la gardienne. Expression la plus vraie de sa liturgie, de sa vision cosmique marquée par la présence du Ressuscité, l’icône en est l’image liturgique. Elle en réfléchit la foi, écho des textes sacrés utilisés dans les divers offices au cours de l’année. C’est assez dire que peindre une telle image ne s’improvise pas. L’iconographe digne de ce nom a pour vocation de vivre en symbiose avec ce vécu liturgique, faute d’en trahir le message. Dans les visages tracés sur la planche, chaque trait doit tendre à exprimer l’Indicible dans le respect de la Tradition qui puise son dynamisme dans une Pentecôte toujours renouvelée : pour représenter le Feu sans se brûler, il faut y communier intensément !

Icône par excellence, l’icône du Christ interpelle, remémore, s’adresse au cœur plus qu’à l’esprit ; purifié, celui-ci peut descendre dans le cœur pour que l’Éternel y dresse sa tente. L’icône ne se raconte pas, elle se vit comme se vit toute rencontre authentique avec le Christ qui réchauffe le cœur par sa présence, comme autrefois sur le chemin d’Emmaüs. L’icône parle de la création qui fournit sa matière et les matériaux servant à sa réalisation. Son rapport au temps est paradoxal. D’un côté, elle extrait du temps, introduit dans le Royaume mystériquement présent. De l’autre, elle permet une rentrée dans le temps qui, réinventé, ouvre au regard une dimension nouvelle de la création pénétrée des énergies divines, laisse percevoir en chaque homme créé à l’image de Dieu une invitation à ressembler au Christ, à devenir icône.

Témoignage de l’Incarnation et de la présence cosmique du Christ depuis le matin de Pâques, l’icône anticipe déjà son retour dans le face à Face qu’elle instaure. Elle manifeste aussi à nos yeux de chair le monde invisible des puissances célestes et la nuée des élus de tous les temps, hommes et femmes transfigurés par leur pleine participation à la divino-humanité du Ressuscité. Le visage du Christ récapitule en lui tous les visages appelés à lui ressembler !

La Mère de Celui que les chrétiens confessent «vrai Dieu et vrai homme» est appelée Theotokos : celle qui a enfanté Dieu. Jamais représentée isolément dans l’icône, elle présente le plus souvent le Sauveur du monde. Première de cordée dans la grande famille humaine, c’est le corps de son âme que le Maître de la Vie vient recueillir dans l’icône de la Dormition (fête le 15 août), image de ce qui attend chaque serviteur fidèle au terme de son périple terrestre.

Théologie en couleur, image liturgique de l’Église orthodoxe, l’icône est intemporelle parce qu’elle représente l’Intemporel. Transparence, lumière, chaleur, douloureuse joie sont ses attributs. Présence silencieuse dont le hiératisme extérieur cache une dynamique interne, elle est un seuil qu’il revient à chacun de franchir pour que s’établisse la relation à Dieu. Elle est enfin un appel à la conversion par laquelle l’œil du cœur purifié s’ouvre à une vision seconde : c’est le monde transfiguré.[3]

Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux

(Hb XI,24-26,32-XII,2)

Frères, à cause de sa foi, Moïse, « devenu grand », refusa d’être appelé fils d’une fille de Pharaon, aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que de connaître l’éphémère jouissance du péché : tel un bien supérieur aux trésors de l’Egypte lui parut « l’opprobre du Christ », car il avait les yeux fixés sur la récompense. Et que dire de plus ? Car le temps me manquerait si je voulais parler en détail de Gédéon, de Barak, de Samson et de Jephté, de David ainsi que de Samuel et des Prophètes, eux qui, grâce à leur foi, conquirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent l’accomplissement des promesses, fermèrent la gueule des lions, éteignirent la violence du feu, échappèrent au tranchant du glaive, tirèrent force de leur faiblesse, montrèrent leur vaillance au combat, mirent en fuite des armées d’étrangers. Par la foi, certains ont ressuscité pour des femmes leur enfant mort ; d’autres se sont laissé torturer, refusant leur délivrance afin d’obtenir une meilleure résurrection. D’autres encore ont subi la dérision, les coups de fouet, en plus des chaînes et de la prison. On les a lapidés, sciés, torturés, livrés par le glaive à la mort. Ou bien, ils durent aller çà et là, sous des toisons de chèvres ou des peaux de moutons, dénués, opprimés, maltraités. Eux, que le monde n’était pas digne d’accueillir, ils ont erré dans les déserts et sur les monts, habitant les cavernes, les trous de la terre. Néanmoins, tous ceux-là, tous ces martyrs de la foi, n’ont pas bénéficié de ce que Dieu avait promis, puisqu’il avait prévu pour nous un sort meilleur, afin qu’ils ne puissent pas sans nous parvenir à la perfection. Voilà donc pourquoi, nous aussi, entourés que nous sommes d’une si grande foule de témoins, débarrassons-nous de tout ce qui nous alourdit, et d’abord du péché qui nous entrave ; alors, nous pourrons courir avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine de notre foi et qui la mène à son ultime perfection.

Lecture de l’Évangile selon Saint Jean

(Jn I,43-51)

Le lendemain (du jour où Il avait nommé Simon Pierre), Jésus résolut de se rendre en Galilée. Il trouve Philippe et lui dit : « Suis-moi ! » Philippe était de Bethsaïda, la ville d’André et de Pierre. Il va trouver Nathanaël et lui dit : « Celui dont ont écrit Moïse, dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus, le fils de Joseph, celui de Nazareth ». Et Nathanaël lui dit : « De Nazareth peut-il venir quoi que ce soit de bon ? » Philippe lui dit : « Viens et vois ! » Jésus vit Nathanaël venir vers lui et dit à son sujet : « Voici un véritable Israélite : il n’y a pas de ruse en lui. » Nathanaël lui dit : « D’où me connais-Tu ? » et Jésus de répondre : « Avant même que Philippe ne t’appelât, quand tu étais sous le figuier, Je t’ai vu. » Nathanaël lui répondit : « Rabbi, Tu es en vérité le Fils de Dieu, Tu es le roi d’Israël ! » Jésus lui répondit : « Parce que Je t’ai dit que Je t’ai vu sous le figuier, tu as la Foi ? Tu verras bien plus que cela ! » Et Il lui dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’Homme ! »

Homélie de Mgr Joaquim Giosanu, 1995

Nous célébrons aujourd’hui le premier des cinq dimanches du Carême pascal, appelé dimanche du triomphe de l’orthodoxie, car il consacre la victoire de la vérité orthodoxe sur les iconoclastes, avec le rétablissement de la vénération des icônes, et plus généralement, la victoire de la vérité sur toutes les erreurs doctrinales.

Le passage de l’évangile, offert aujourd’hui à notre méditation, ne semble pas, à première vue, avoir un rapport direct avec la vénération des icônes ou avec la fidélité à l’égard de la vérité. Le thème principal en est la rencontre de l’homme avec le Seigneur. C’est la rencontre de l’apôtre Philippe et celle de Nathanaël avec le Christ. Nathanaël, dès qu’il rencontre le Christ, reconnaît en lui le visage du Fils de Dieu l’icône du Père : “Rabi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël”, nous voyons ainsi apparaître le thème de ce jour.

Le but même de la venue du Christ sur la terre est de restaurer cette image de Dieu tout d’abord dans le Christ lui même et ensuite en tout homme. “Jésus s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu”. Dieu a versé de son amour pour que l’homme vive cette dimension d’amour en lui-même et avec autrui. Dieu vient pour restaurer cet amour dans l’homme, restaurer l’image de Dieu en chaque homme sur la terre. Pour que cela soit possible, il faut tout d’abord que nous reconnaissions dans le Verbe de Dieu l’image de Dieu qui se rend visible pour restaurer l’image de Dieu dans l’homme, image pervertie par le péché. Restaurer cette image signifie la rendre visible, rayonnante, nettoyer tout ce qui l’empêche de briller et de transparaître.

Comme vous le savez, pour restaurer une icône il faut enlever minutieusement, centimètre par centimètre toutes les saletés afin de retrouver la couche de peinture primitive.

De la même façon l’homme doit renouveler l’icône qui est dans son être et la rendre brillante et digne d’avoir en face d’elle l’icône du Fils de Dieu, icône de la Sainte Trinité.

L’Orthodoxie que nous fêtons aujourd’hui n’est rien d’autre que cette plénitude de vie divine qui nous est offerte et que nous devons tout d’abord accueillir en nous, comme une semence. Nathanaël a mis l’image du Christ en son cœur et il a commencé à se transformer. Mettre le Christ en nous, c’est aussi le faire naître, le faire apparaître afin qu’il nous transforme, qu’il nous pénètre de sa douceur, de sa grâce. C’est cela l’Orthodoxie, c’est cette plénitude de la vie divine en nous, vie dans laquelle nous comprenons la parole de St Paul : “Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi” ou celle de St Jean le Baptiste : “Lui, il doit grandir et moi je dois diminuer”. C’est-à-dire que notre existence entière doit être un transfert constant, dans lequel le vieil homme en nous doit mourir et l’homme nouveau, le Christ doit naître, grandir, s’instaurer et siéger sur le trône divin qu’est notre cœur.

Cette Orthodoxie dont nous sommes porteurs nous en sommes également les témoins, car c’est en chacun de nous que s’opère ce lien d’amitié et d’amour avec Dieu, avec le Christ, dans la puissance du Saint Esprit.

Le mot d’ordre aujourd’hui est donc : grandir dans le Christ, non seulement personnellement, dans notre individualité propre, mais aussi tous ensemble, car l’Orthodoxie c’est l’Église et l’Église ce n’est pas seulement cette communauté ici présente rassemblée dans le mystère du Christ, ce sont aussi les saints du passé et du présent, ce sont les défunts, tous ceux qui se sont nourris du corps du Christ, tous ceux qui ont été abreuvés de son sang, tous ceux qui ont été immergés, baignés dans l’eau vive de l’Esprit Saint.

L’Église est cette totalité, cette plénitude dans laquelle tous les hommes sont appelés à entrer, à vivre. Les limites de l’Église sont un mystère, nous ne les connaissons pas, elles nous dépassent. Nous n’avons pas à juger, nous n’avons pas à enfermer qui que ce soit en dehors de l’Église. L’Église est là accueillante, appelant et invitant à rencontrer le Christ, à le découvrir et à lui faire allégeance.

L’orthodoxie devient alors une orthodoxie vivante, l’orthodoxie de notre communauté, liée à toutes les autres communautés de la terre et nous en témoignons, comme le faisaient les anciens chrétiens dont on disait : “regardez comme ils s’aiment”. L’amour des chrétiens non seulement entre eux dans la communauté, mais rayonnant en dehors de la communauté, était et doit être le signe véritable, le symbole, la vérification aussi de la vérité même de l’Église. Sans amour la vérité de l’orthodoxie est une vérité froide et morte.

Que Dieu nous aide à garder intacte l’orthodoxie que nous avons reçue de nos ancêtres et que nos enfants se réjouissent, eux aussi, de recevoir de nous, ce trésor inestimable qui nous plonge dan la vie éternelle.

Notes

[1] Jean 1, 14

[2] St Jean Damascène, La défense des icônes.

[3] Michel Quenot — Orthodoxe, professeur de langues modernes au gymnase de Bulle (Suisse), Michel Quenot est l’auteur de plusieurs livres sur les icône, L’icône, fenêtre sur l’Absolu (Cerf-Fides, 1991) et de La Résurrection et l’Icône, Mame, 1992, traduits en plusieurs langues.