Série - J. Parr - Témoigner du Christ

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jeudi 16 mai 2013

Arch. Joachim Parr – Comment témoigner du Christ aujourd'hui (1)

ODT

Archimandrite Joachim ParrD’après la conférence donnée par l’archimandrite Joachim Parr à Saint-Pétersbourg en Russie (27.06.2011).

Partie 1

Depuis que je suis arrivé en Russie, j’ai été questionné à plusieurs reprises de manière incrédule : « Comment peut-il y avoir un monastère Orthodoxe en plein New-York ? Comment une communauté de moines peut-elle survivre à New-York ? » Et je me rappelle la réponse que mon père spirituel faisait dans ce genre de situation. Il disait que cette question était du même ordre qu’une autre plus ancienne : « que peut-il venir de bon de Nazareth ? »

Serge qui nous a invités ici, m’a demandé de partager avec vous un peu de mon expérience dans le domaine du travail avec les gens qui s’interrogent sur ce qu’est la foi. Nous qui sommes baptisés, indépendamment du fait que nous soyons missionnaires ou non, nous devons comprendre que l’Évangile ne nous appartient pas. Chacun d’entre nous aura à rendre des comptes, le jour du jugement dernier, si d’une manière ou d’une autre nous avons connu le Seigneur et s’Il nous a montré Sa face, ou bien si nous l’avons renié. J’ai demandé à Serge s’il voulait que j’aborde un thème particulier. Comme vous le savez, un effort missionnaire gigantesque a été fait pour apporter l’Orthodoxie aux Américains. Peut-être que certains d’entre vous ont entendu parler du père Séraphim Rose ? Il était protestant et habitait les États-Unis. Il a étudié dans plusieurs universités et a fini par rencontrer l’Orthodoxie, ou plus exactement l’Orthodoxie a fini par le trouver. Et il eut alors le désir fervent de partager la perle de grand prix avec tous ceux qui viendraient vers lui. Devenu prêtre et moine, il décida avec le père Germain de porter l’Orthodoxie au cœur même du libéralisme. Ils se rendirent à Berkeley, qui est l’université la plus prestigieuse de Californie. C’était un endroit extrêmement sécularisé et libéral. Ils s’installèrent près de l’entrée principale de l’université, sur un grand campus où passaient environ soixante mille étudiants par jour. Père Séraphim et père Germain prirent deux chaises, une table et une icône de Jésus-Christ et s’installèrent au milieu du campus sans rien dire à personne. Ils ne parlaient qu’à ceux qui leur adressaient la parole les premiers. Ils firent cela chaque jour pendant cinq années scolaires. D’après ce qu’ils m’ont dit, plus de neuf mille personnes demandèrent le baptême Orthodoxe durant ces cinq ans. Rien qu’en voyant la face du Christ dans ces deux personnes. Voilà qui doit nous interroger !

Sur le campus de cette université très libérale, on pouvait trouver toutes sortes de religions : Hare Krishna, Bouddhistes, Mormons, athées et bien sûr des Protestants et toutes sortes d’évangélistes qui disaient à tous : « Jésus t’aime ». Ce n’est pas du tout ce que père Séraphim et père Germain faisaient, puisqu’ils se taisaient ; mais ce qui agissait c’était ce que le Christ, Lui-même, disait à travers son icône. Il y a beaucoup à apprendre de cela. Nous devons comprendre que Seul le Seigneur appelle les gens à Lui, et tout ce que nous pouvons faire c’est faciliter le processus. Nous pouvons être les mains du Christ. Nous pouvons devenir son visage. Nous devons devenir son Esprit. Nous pouvons, soit détourner les gens du Christ, soit les amener à la Liberté. Dans les deux cas, l’appel vient du Christ. Mais nous ne pouvons donner ce que nous n’avons pas. J’ai demandé au père Séraphim quelle était la question la plus surprenante à laquelle il eut à répondre quand il était sur ce campus. Il m’a répondu : « Un jour, une femme m’a demandé à quoi tout cela rimait. Qu’est-ce que cela voulait “dire être chrétien orthodoxe”. Dites-moi d’abord pourquoi vous avez cette apparence ? Je lui répondis que nous, en tant que prêtres et moines chrétiens, essayions de ressembler le plus possible à l’homme tel que de Dieu l’avait créé. Nous laissons pousser notre barbe et nos cheveux naturellement sans les couper et nous essayons d’avoir une apparence simple. Ce jour-là nous avions l’icône de la Sainte Trinité de Roublev. La femme regarda attentivement l’icône et nous dit que nous ne Lui ressemblions pas. Alors je lui demandai à quoi nous ressemblions. Elle répondit que nous ressemblions à des croque-morts au visage triste et amer. » Aujourd’hui nous sommes entrés dans la cathédrale de la Laure et les gens que nous avons vus se déplaçaient dans la cathédrale avec des visages qui ne reflétaient absolument pas la joie de notre foi en la résurrection et la vie éternelle. Les visages ressemblaient à ceux de personnes qui attendent un office funéraire et qui plus est, un office funéraire non chrétien. Nous devons nous rappeler que par l’Incarnation, le Christ a pris volontairement forme humaine pour montrer à l’homme comment il devait vivre. Interrogeons-nous alors sur ce que nous montrons aux autres par la façon dont nous vivons et sur ce que nous montrons aux autres. Sur la grande difficulté que nous avons dans cette chose élémentaire qui est de parler avec quelqu’un d’autre. Nous devons réfléchir à cela. Vous avez certainement entendu parler de ce professeur à de l’académie de saint Valdimir, à la fois russe, français et américain : Alexandre Schmemann. Père Alexandre disait à ses étudiants : « Nous sommes dépositaires de la vraie foi, mais elle est malheureusement entre de mauvaises mains. » Que se passe-t-il en Russie aujourd’hui, mes chers amis ? Vous avez la liberté, mais où est l’Église ? J’ai rencontré des jeunes à Moscou qui m’ont dit : « Nous voulons devenir évangélisateurs, nous voulons devenir missionnaires. » Qu’est-ce que cela signifie ? Nous devons d’abord vivre l’Église avant de pouvoir la donner à quelqu’un d’autre. Comment peut-on donner une pierre à son enfant quand il demande du pain ? Ne leur donnez pas une religion alors qu’ils cherchent la foi. Le Seigneur ne peut être vu qu’à travers nous. Et nous, nous ne pourrons montrer le Christ que si nous avons appris à aimer.

C’est une expérience extraordinaire de pouvoir voyager dans le monde entier et de pouvoir partager une expérience vivante de la foi en Christ. Dimanche dernier nous avons célébré la fête de tous les Saints qui ont illuminé la terre de Russie et à cette occasion j’ai eu la bénédiction de pouvoir prêcher ici Saint-Pétersbourg dans une église. Vous savez tous qu’il y a beaucoup de Saints qui ont illuminé la terre de Russie et vous avez les vôtres ici à Saint-Pétersbourg qui ont été canonisés. Mais croyez-moi, frères et sœurs, il y a aujourd’hui de nombreux Saints qui vivent ici parmi vous. Comment peut-on transposer la sainteté dans notre vie ? La plupart des gens sont troublés quand on leur apprend que le but de la vie en Christ n’est pas juste d’être sauvés, mais de devenir Saints comme notre Père est Saint. Si le but de la vie humaine est d’être unis à Dieu, et nous devenons unis au Père par le Christ, alors nous devenons Saints. Disons-nous cela aux gens, à nos enfants et en premier lieu à nous-mêmes ? Plus précisément : que la seule fonction de l’Église est de nous permettre de devenir Saints ? Je ne le crois pas. Alors dans quel but essayons-nous de porter la Parole ? Voulons-nous qu’ils deviennent conservateurs ou gardiens de musée, allant à des offices qu’ils ne comprennent pas, jeûnant à contrecœur, se croyant meilleurs parce qu’ils en savent plus que les protestants ? Que faisons-nous ? La semaine dernière à Moscou nous avons eu la bénédiction de voir les reliques de sainte Matrone. Une femme qui était aveugle, qui n’était pas “belle” physiquement, mais qui vivait dans la sainteté. Et les gens font la queue jour et nuit, et même sous la pluie, durant près de quatre heures pour pouvoir vénérer ses reliques durant quelques secondes. Voilà une évangélisatrice !

J’ai tant d’anecdotes et d’histoires. Si vous êtes allés aux États-Unis, vous aurez remarqué que les Américains se comportent comme dans “Jerry Maguire”, ce film populaire que j’aime bien : « Show me the money ! ». Les Américains sont pragmatiques. Ils ne s’intéressent pas vraiment à ce que vous dites, sauf si vous mettez votre argent dans ce à quoi vous croyez. Et ils disent : « Si tu es l’Église, montre-le-moi ! »

Dans notre monastère, nous avons eu la grande grâce d’avoir beaucoup de baptêmes et de conversions de personnes venant de toutes sortes de religions, d’athées et d’antireligieux et même un nombre important d’Orthodoxes qui, pour diverses raisons, avaient quitté l’Église. Et tous ces gens voulaient la même chose : voir Dieu. Puisque le Christ nous a dit : « Celui qui me voit, voit le Père. Celui qui Me fait quelque chose, le fait au Père. Gardez mes commandements. Ce que vous faites au plus petit d’entre-vous, c’est à Moi que vous le faites. » Si nous ne vivons pas notre vie en voyant le Christ et en vivant pour Lui, nous ne pourrons enseigner personne d’autre. La plupart de ces nouveaux convertis m’ont dit que la raison pour laquelle ils étaient devenus Orthodoxes, c’est notre communauté. Une communauté qui était différente des autres. Une communauté qui priait ensemble, une communauté qui prenait soin des autres. Nous commencions par aider les sans-logis, nous avions, lors de la construction du monastère, prévu un endroit pour que les gens sans logis puissent passer la nuit. Nous avions un stock de vêtements pour qu’ils puissent se changer. Nous leur donnions à manger et tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, sauf de l’argent et de la drogue.

Les gens, et même les prêtres, que je rencontrais me demandais : « Que leur dis-tu pour qu’ils deviennent Orthodoxes ? » Je voudrais vous dire que je n’ai jamais rien fait pour que quelqu’un “devienne” Orthodoxe. Ils me demandaient si je leur parlais de Jésus-Christ et je répondais que oui. Et ils me pressaient : « Mais que leur disais-tu ? » Je leur disais qu’ils étaient les bienvenus. Je leur proposais de manger, de dormir ; je leur demandais s’ils avaient besoin de quelque chose. Et je leur disais qu’ils étaient des invités attendus. Et les gens continuaient de m’interroger : « Mais que leur dis-tu concrètement sur le Christ ? » Toute la question est là ! Interrogeons-nous sur ce que nous disons aux gens à propos du Christ ? Est-ce que le Christ est une conférence ? Est-ce que le Christ est un autre « ‑isme », une doctrine qu’il leur faut apprendre ? Je ne veux critiquer personne, je ne suis pas un critique. Mais je voudrais que vous compreniez, et c’est peut-être déjà le cas, que nous ne pouvons rien dire de nouveau à la plupart des gens, qu’ils n’aient déjà entendu. Et la raison pour laquelle ce que nous leur disons est redondant et incompréhensible est que nous ne vivons pas comme le Christ. Si le Christ apparaissait dans cette pièce, aujourd’hui, parmi nous, sous Sa forme humaine, voudriez-vous qu’Il vous parle de la procession de l’Esprit ? voudriez-vous qu’Il vous parle du mystère de l’Eucharistie ? Voudriez-vous qu’Il vous parle des différences entre l’Orthodoxie, le catholicisme-romain et le protestantisme ? Ou voudriez-vous qu’Il vous vous regarde, pose Sa main sur vous et vous dise : « Je t’aime ». Voilà par où commence la foi, pas par l’apologétique, elle commence par l’amour. Nous ne mettons pas suffisamment cela en pratique, pas un de nous.

[à suivre …]

jeudi 23 mai 2013

Arch. Joachim Parr – Comment témoigner du Christ aujourd'hui (2)

ODT

Archimandrite Joachim ParrD’après la conférence donnée par l’archimandrite Joachim Parr à Saint-Pétersbourg en Russie (27.06.2011).

Partie 2

Dans la vie, beaucoup d’amis, de prêtres, me disent que je me comporte comme un fou, un peu comme les télé-évangélistes. Mais la différence est que, dans notre paroisse, il n’y a pas de panier pour faire la quête, pas de tronc sur lequel il est écrit : « Mettez votre argent ici ». Je dis simplement qu’au fond de l’église il y a des cierges et des prosphores, que vous pouvez les prendre, et que si vous le voulez et si vous avez les moyens, vous pouvez laisser quelque chose dans la boîte qui est à côté. Si vous voulez laisser de l’argent dans la boîte – faites-le, et si vous en avez besoin – prenez-en. Tout cela appartient au Seigneur, pas à nous. Le Seigneur pourvoit à nos besoins. Nous n’allons tout de même pas nous mettre dans la poche, de manière stérile, ce qu’Il nous donne et qui ne nous appartient pas. Un dimanche où je célébrais la divine Liturgie, un homme est venu et a commencé à prendre de l’argent dans la boîte. Une dame zélée a commencé à l’accuser de vol et j’ai dû intervenir pour la calmer. Et je lui ai dit : « Vous êtes le bien de l’Église, pas l’argent. Notre trésor, ce sont les paroissiens ; pas l’édifice dans lequel nous sommes, pas l’argent que nous avons collecté, mais les gens et leur amour pour le Christ, voilà le trésor de l’Église. » Nous nous appauvrissons au fur et à mesure que les gens aiment moins Dieu. Peu importe le nombre d’églises et que leur nombre ne cesse d’augmenter, si elles ne se remplissent pas d’hommes et de femmes qui aiment Dieu et qui plus est, s’aiment les uns les autres. Nous allons dans la mauvaise direction. Où allons-nous amener les personnes qui s’adressent à nous ? Dans des bâtiments ? À des cours ? Qu’allons-nous faire d’eux ? À quoi cela servirait-il ? Nous avons le grand Mystère de l’Eucharistie, la Sainte Communion au Corps et au Sang du Christ, qui est le centre de notre vie. Vivons-nous chaque jour dans l’attente de la communion, de la rencontre avec le Christ ? Si nous ne vivons pas de la sorte alors nous sommes orphelins de quelque chose. Il y a quelque chose d’essentiel qui nous manque.

J’ai déjà raconté cette histoire à Serge. Notre monastère est situé dans le centre de New-York, à Manhattan. A l’époque, j’avais reçu la bénédiction de chercher un endroit pour fonder le monastère, dans cette partie de la ville (la partie sud de Manhattan) qui est particulièrement touchée par la pauvreté, la drogue et l’alcoolisme et où l’on ne voit aucune église Orthodoxe. J’ai fini par trouver un immeuble aban-donné que, par miracle et sans entrer dans les détails, nous avons réussi à acheter. J’ai vécu la première année tout seul sans autres moines dans cet immeuble, sans eau, sans chauffage et sans électricité. Et comme à New-York en hiver, il peut faire très froid, j’ai accepté que des sans-logis viennent s’installer avec moi. Au premier étage, nous avions aménagé une pièce unique en fermant les fenêtres avec des planches parce qu’il n’y avait plus de vitres. Et près de dix-huit personnes vivaient dans cette pièce, sur des matelas et des lits de fortune. Rapidement, j’ai reçu une note de mon évêque qui me demandait de passer le voir le dimanche suivant après la divine Liturgie. Il me dit :
« Un prêtre a appris par quelqu’un que tu vivais dans une maison avec des hommes et des femmes qui sont des alcooliques, des drogués et des prostitués.
– C’est exact, les informations sont correctes.
– Mais où vis-tu ?
– Dans la maison que l’on a achetée !
– Tu ne peux pas faire cela !
– Pourquoi ?
– Parce que tu vas scandaliser les gens dans l’Église.
– Monseigneur, c’est précisément ne pas vivre avec ces gens-là qui serait un scandale !
– Tu dois déménager tant que tu n’auras pas de chambre personnelle. »

Des gens généreux m’ont prêté une chambre et j’ai pu déménager, mais j’allais travailler dans l’immeuble tous les jours. À New-York entre décembre et février, il peut faire moins dix-huit degrés la nuit et il est très difficile de survivre dans ces conditions sans un abri. Alors si on en propose un, il se remplit très vite. Ce premier hiver, parmi les gens qui n’étaient venus que pour s’abriter du froid, sept furent baptisés. C’est un chiffre de bon augure pour commencer une communauté. Je ne leur avais pas appris grand-chose, ils apprenaient au contact les uns des autres. Un jour l’un d’eux me demanda :
« Que t’est-il arrivé, homme de Dieu [preacher, проповедник] ?
– Que veux-tu dire ?
– Tout autour de notre immeuble, il y a partout des églises. Chaque magasin vide devient une église. Tous les pasteurs arrivent en voiture avec leurs chaussures brillantes et leurs costumes de soie. Ils nous enjoignent d’aimer Jésus, ramassent l’argent et rentrent chez eux, dans les beaux quartiers. Qu’est-ce que tu as fait de mal ? Tu as volé de l’argent ? Si tu vis ici avec nous, c’est que tu n’as pas toujours été un honnête homme de Dieu. »

Cela m’a rendu triste de constater que les gens arrivent à penser que l’Église est un business. Con-naissez-vous des gens qui pensent que l’Église est un business ? Et bien, rentrez dans une église : vous vous retrouvez dans une librairie où l’on essaye de vous vendre de l’huile bénite, de l’eau bénite, des cierges bénis, du pain béni …

Une des premières personnes à s’être installée dans la maison, et qui prie pour moi tous les jours, est venue me dire un jour qu’elle avait séjourné dans beaucoup d’églises avant d’entrer dans la nôtre et que nous étions les premiers à ne pas lui parler de l’Église ! Et je lui répondis qu’au contraire je lui parlais de l’Église tous les temps : à chaque fois que je lui disais bonjour, à chaque fois que je lui ouvrais la porte, à chaque fois qu’il s’asseyait pour manger. Il me rétorqua qu’il ne comprenait pas où je voulais en venir. Je lui dis : « À chaque fois, je te dis que le Christ est parmi nous ! » C’était un jeune japonais qui avait fait des études et qui était venu en Amérique pour devenir riche et célèbre. Il a rapidement sombré dans la drogue et l’alcool. Je l’avais rencontré alors qu’il fouillait dans nos ordures cherchant de la nourriture. Je l’ai prié de rentrer, mais il ne voulait pas, prétextant qu’il était trop sale. Il faisait très froid ; c’était un de ces jours de février où tombait une pluie qui gèle immédiatement. Il était glacé. J’ai fini par le convaincre de rentrer, d’aller se trouver des habits propres, de prendre une douche et de mettre ses affaires à laver. J’ai fini par lui demander pourquoi il était à la rue et il me raconta son histoire avec la drogue. Je lui proposais de rester pour le week-end, nous étions vendredi. Il déclina la proposition en me remerciant : il avait juste froid, faim et il était fatigué, mais il ne voulait plus de sermons. Je lui dis que moi aussi j’en avais assez des sermons, qu’il pouvait rester se reposer et que moi aussi j’allais me coucher. Il est resté quatre ans et demi. Il a été baptisé Nicolas en référence à Saint Nicolas du Japon. Il est ensuite parti en pèlerinage en Terre Sainte et est devenu moine au monastère de Sainte Catherine au mont Sinaï. Il est aujourd’hui retourné au Japon où il a fondé une communauté monastique. Tout ça sans aucun sermon ! Des miracles semblables sont arrivés à d’autres pensionnaires.

Le père Sabas qui m’accompagne me pousse toujours à raconter des histoires. [Le père Joachim aime bien raconter des histoires quand nous sommes réunis dans le jardin du monastère pour que nous apprenions la vie chrétienne à travers elles – aparté de père Sabas.]

Durant cette période de ma vie, j’ai eu de nombreux soucis. J’ai été volé plusieurs fois, on a braqué des armes sur moi, on a fait courir des rumeurs et j’ai fini par avoir un profond sentiment de découragement. Un dimanche, je célébrais la divine Liturgie et un prêtre s’est approché de moi et m’a demandé : « Pourquoi n’irais-tu pas voir notre évêque ? Il t’aime bien, il te trouvera une gentille paroisse bien placée où tu pourras gagner beaucoup d’argent et avoir ta voiture. » Et à ces mots, j’ai tout de suite compris que ce que je faisais était ce que je devais faire. Mes doutes se sont immédiatement évaporés. Ce qu’il me proposait n’était pas ce que je voulais, ce n’était pas l’Église !

Chers frères et sœurs, nous n’avons pas vraiment la foi. Et les gens ne croient pas que nous ayons la foi. Je vais vous raconter une histoire. Il était environ onze heures du soir, je dormais lorsque le téléphone sonne : c’est mon évêque. « Tu dormais, père ? » s’étonne-t-il bien qu’il connaisse mais horaires. « Oui, bien sûr, Monseigneur ». « Père, il y a une femme mourante à l’hôpital, il faut aller la confesser et lui donner la communion. » Je devais aller en métro des quartiers sud de Manhattan jusqu’au Bronx, à plus de onze heures du soir. Quand j’ai quitté l’hôpital, il était plus d’une heure du matin et j’ai repris le métro. Il traverse tout le Bronx, et bien qu’il n’y ait personne sur les quais à cette heure-là, il s’arrête à toutes les stations. Je vous rappelle que dans les années soixante, il y avait de nombreuses émeutes dans ce quartier. J’étais seul dans mon wagon lorsqu’à l’autre bout la porte s’ouvre et entre un homme de forte corpulence à la mine patibulaire. Le métro démarre. Il me dévisage durement, puis s’approche et vient me toiser de sa hauteur. Je me suis dit en moi-même que ce pourrait être ma dernière nuit. Il a regardé mon sac qui contenait mon épitrachile (étole) et un livre de prières.
« Qu’est qu’il y a dans le sac ?
– À peu près la même chose que dans ta tête !
– Quoi ?
– Rien ! » Il a souri et m’a dit :
« Alors tu n’as pas peur de moi ? »

Il s’est assis et nous avons commencé à parler.

« T’es sensé être qui, toi ?
– Un prêtre Orthodoxe.
– T’es juif ?
– Non, chrétien Orthodoxe.
– C’est comme catholique ?
– En quelque sorte, mais il y a des différences.
– Moi j’ai été catholique, mais je ne crois plus à “tout cela”.
– C’est quoi, “tout cela” ?
– Je ne crois plus à ce que disent les prêtres.
– Dis-moi les choses qu’ils disent et auxquelles tu ne crois plus, pour que je comprenne.
– Le prêtre catholique m’a dit que le prêtre pendant la messe change le pain et le vin en Corps et Sang du Christ. Tu ne crois certainement pas ça toi ?
– Si, bien sûr j’y crois.
– Alors les gens qui viennent dans ton église n’y croient pas !
– Bien sûr qu’ils y croient ! »

Alors il m’a longtemps dévisagé.

« Ils ne rentrent jamais à la maison, alors ?
– Comment ça, ils ne rentrent jamais à la maison ?
– C’est ce que je te dis : les gens qui viennent dans ton église ne rentrent jamais à la maison !
– Mais bien sûr qu’ils rentrent chez eux ! Qu’est-ce que tu racontes ?
– Si je croyais que Jésus Christ – Lui-même – se trouvait sur l’autel de l’église où je vais, pourquoi aller ailleurs ? Qu’ai-je besoin de plus ? Où ai-je besoin d’aller ? Tout ce que je veux dans la vie est là ! En fait vous ne croyez pas ! Si tu croyais vraiment, tu ne quitterais pas l’église. »

[à suivre …]

jeudi 30 mai 2013

Arch. Joachim Parr – Comment témoigner du Christ aujourd'hui (3)

ODT

Archimandrite Joachim ParrD’après la conférence donnée par l’archimandrite Joachim Parr à Saint-Pétersbourg en Russie (27.06.2011).

Partie 3

Est-ce que notre vie témoigne de ce à quoi nous croyons ? Oui, c’est évident ! Mais le problème est qu’elle ne témoigne pas du Christ ! Que faisons de notre vie ? Les églises sont souvent vides parce que notre foi est vide. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Je radote avec mes histoires du passé. Plus concrètement, êtes-vous d’accord pour qu’aujourd’hui le Seigneur réclame votre âme ? Que pourrions-nous Lui offrir en échange de la vie qu’Il nous a confiée ? Qu’allons-nous Lui dire ? « Je suis Orthodoxe ! » « Je peux citer les Écritures ! » Le Diable sait les citer aussi, mais il ne les vit pas. Et c’est aussi notre cas, nous citons, nous en parlons, mais nous ne les vivons pas. Nous ne vivons pas ce qui y est écrit. […] Les connaissances sur Dieu ne sont pas la connaissance personnelle de Dieu. Mon père spirituel me disait avant qu’il ne meure, alors que je lui demandais la bénédiction pour lire un livre : « Père, tu as passé ta vie à me demander la bénédiction pour “lire un livre”. Lis celui-là et vis ce qu’il y est écrit. Lis-le non-pas pour accumuler des informations ou du savoir, mais pour vivre ce qui y est écrit ! » […] La prière ne s’apprend pas dans les livres ou auprès des théologiens. Nous devons commencer à prier, nous devons nous battre, devenir bons et doux.

Je voudrais vous raconter une histoire à propos d’un pasteur californien. C’était un pasteur très riche qui perdait sa foi dans la religion. Il en était arrivé à la conclusion que tous les croyants étaient identiques, qu’aucun ne croyait vraiment dans ce qu’il disait et qu’ils étaient plus préoccupés pas les bâtiments que par les personnes. Et il était las de tout cela. Un jour il entendit parler d’un homme qui avait des problèmes, et décida d’aller rencontrer le pasteur de la localité où habitait cet homme. Arrivé sur place, on lui répondit : « Avez-vous rendez-vous ? » « Non, mais j’ai besoin de parler avec le pasteur. » « Si vous n’avez pas de rendez-vous, vous ne pourrez pas le voir. » Est-ce que vous avez déjà vu quelque chose de semblable ? Le riche pasteur fût très peiné par cette aventure et avant de mourir il donna des instructions à son avocat : « Je lègue toute ma fortune au premier prêtre catholique ou orthodoxe ou au premier pasteur que tu rencontras après ma mort. Tu entreras dans chaque église de la ville ; si c’est une cathédrale, tu demanderas à voir l’évêque personnellement ; si c’est un monastère, tu demanderas à voir le supérieur ; si c’est une église, tu demanderas à voir le curé ; si c’est un temple, tu demanderas le pasteur … Au premier qui te recevra comme si tu étais le Christ tu donneras mon argent. » L’avocat a écumé les églises et les temples durant six semaines sans pouvoir rencontrer un prêtre ou un pasteur sans rendez-vous. À chaque fois, on lui demandait qui il était et ce qu’il voulait, il répondait qu’il n’était personne et qu’il voulait juste parler, et on lui répondait que sans rendez-vous ce n’était pas possible.

Un jour il rencontra le père Lioubomir, un prêtre serbe, veuf depuis quinze ou vingt ans. Il s’était installé dans un quartier pauvre de la ville et tous les Serbes avaient déménagé dans les environs. L’église était en mauvais état, le toit fuyait et l’intérieur était noirci pas l’encens et la fumée des cierges. C’était une église orthodoxe bien usée par le temps. L’avocat sonna et le père Lioubomir ouvrit la porte, le pria d’entrer sans rien lui demander et lui demanda comment il pouvait lui être utile. Il lui proposa une tasse de thé sans demander qui était la personne qui était venue le voir. L’avocat répondit que c’était lui qui avait quelque chose qui pouvait aider le père Lioubomir : « en ouvrant la porte et en m’accueillant comme le Christ l’aurait fait, vous venez de gagner un chèque de douze millions de dollars. » Le père Lioubomir fit réparer le toit et l’ensemble de l’église et il donna le reste, soit huit millions de dollars, à une organisation protestante qui s’occupait de loger les sans-abris. Le père Lioubomir qui m’a lui-même raconté cela, m’a dit que Dieu lui avait envoyé de l’argent, qu’il avait pris ce dont il avait besoin et donné le reste. C’était un évangélisateur, c’était un prêtre et il a montré la face du Christ à ses proches. Ils sont nombreux comme lui, nombreux qui servent les autres, et en faisant cela, ils montrent que Dieu existe.

Je veux vous parler de notre monastère, je ne dis jamais « mon » monastère, mais « notre monastère. En fait, non je veux plutôt vous parler d’un autre monastère. En fait c’est une sorte de fable que je vais vous raconter. Il y avait un vieux monastère, un grand monastère et il y eut une période dans ce monastère où la plupart des vieux moines partirent. Les moines devenaient vieux et fatigués, certains mouraient, les autres partaient. Ils étaient devenus frileux, se plaignaient, priaient à contrecœur. Et petit à petit, personne ne venait plus dans ce monastère, ni pour prier dans l’église, ni comme novice. Les moines comprirent que le monastère était voué à disparaître. Un jour un rabbin est venu frapper à la porte et a demandé à voir le supérieur. Le moine qui avait accueilli le rabbin partit chercher le supérieur, qui demanda au moine ce que le rabbin voulait. Le supérieur voulait savoir ce que le rabbin désirait avant de le rencontrer. Le moine retourna donc questionner le rabbin qui lui répondit qu’il avait remarqué dans les bois près du monastère une petite cellule isolée et abandonnée dans laquelle il aurait voulu terminer sa vie en priant Dieu. Le moine rapporta le souhait du rabbin au supérieur, qui lui accorda la permission de s’y installer, car de toutes les façons, plus personne de vivait « au désert ». Le rabbin passa l’été, l’automne et l’hiver suivants à prier nuit et jour dans la petite cellule. Les moines, qui passaient par là pour aller chercher du bois, racontaient au supérieur que le rabbin était toujours occupé à prier, les bras tendus vers le ciel. Le supérieur était très curieux de savoir quelle était la prière du rabbin, mais les moines n’avaient pas osé s’approcher pour entendre. Alors un jour le supérieur décida d’aller voir par lui-même comment vivait le rabbin. Tandis que le supérieur approchait de la cellule, le rabbin sortit à sa rencontre pour l’accueillir à bras ouverts et le remercier. « La seule chose que je tiens vous dire, c’est que parmi vous vie le Messie. Le Messie vit parmi vous dans le monastère. » « Qu’est-ce que vous venez de dire ? » « Je vous répète, je vous assure : le Messie vit parmi vous dans le monastère. » Le supérieur compris alors que le rabbin était un peu fou et il retourna dans le monastère où les autres moines, qui étaient un peu désœuvrés, l’interrogèrent. « Vous avez vu le rabbin ? Qu’est-ce qu’il a dit ? » « Le rabbin est un peu fou ; il a dit que le Messie vivait parmi nous, dans le monastère. » Tous rirent et convinrent que le rabbin était devenu fou.

Mais en allant se coucher, le supérieur fut troublé par la pensée du Messie vivant parmi les moines dans le monastère. Et si réellement le Messie vivait parmi les moines ? Si c’était tel moine ? Et si c’était tel autre ? Ou encore celui-là ? Et si c’était moi ? Au même moment, cette même pensée troublait tous les moines du monastère. Et si réellement le Messie vivait parmi nous ? Le lendemain quand ils se réunirent pour prier, ils se regardaient les uns les autres en se demandant, et si c’était celui-là ou bien celui-là, ou tel autre … Et leur vie changea, ils se mirent à se regarder autrement, à se comporter autrement les uns avec les autres. Et si celui-là était le Messie ? Si c’était le Seigneur, Lui-même, comme devrais-je me comporter avec lui ? Et ils se remirent à prier avec enthousiasme et les gens entendirent parler de ses moines joyeux et recommencèrent à visiter le monastère et à venir y prier. Et de jeunes novices vinrent se joindre à eux. Et le monastère refleurit. Au bout de trente ans, les moines perdirent petit à petit l’habitude de chercher dans l’autre le Seigneur, de se réjouir à l’idée que le Seigneur vivait parmi eux, ils perdirent leur joie dans la prière et le monastère commença à nouveau à décliner et ferma. Est-ce que le Christ vit parmi nous, chers frères et sœurs ? Voilà ce que les gens veulent savoir. Et si nous ne le savons pas, comment peut-on le leur apprendre ?

Il y a beaucoup de communautés aux États-Unis, avec des hommes et des femmes qui ont entendu parler de l’orthodoxie et qui essayent de vivre leur foi. Mais bien qu’ils soient convaincus et fervents dans leur foi, ils ne sont pas encore convertis. Leur style de vie et leur comportement ne correspondent pas à ce à quoi appelle l’évangile et à la vie en Christ. Beaucoup d’entre eux finissent frustrés. Ils étaient arrivés dans l’Église avec beaucoup d’ardeur et de joie, mais après un temps, ils repartent refroidis quand ils ne voient pas la concrétisation de la foi dans la vie des paroissiens qui étaient là avant eux. Regardons en nous-mêmes : si nous amenons quelqu’un à l’église, sommes-nous prêts à rester près de lui, à partager notre vie avec lui, à partager le Christ et tout ce que nous possédons avec lui ? Ou bien devra-t-il se débrouiller tout seul : « on se voit la semaine prochaine, j’ai des choses importantes à faire » ?

[…] Le Seigneur a dit que nous devions être des serviteurs, pas des rois ; derniers, pas premiers ; servez tout le monde ; lavez les pieds de votre frère. Cela s’adresse à nous tous, quel que soit notre rang. Comment en sommes-nous arrivés à vivre notre foi aussi mal ? Je crois vraiment que si nous vivions notre foi chrétienne Orthodoxe selon la sainte Eucharistie et avec une foi sincère, nous n’aurions pas besoin de toutes ces pacotilles qui nous semblent indispensables. Nous nous rendrions compte que nous avons besoin les uns des autres pour trouver le Christ. Nous prierions avec foi et nous remplirions nos églises avec les gens qui cherchent Dieu. « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » (Mt 7,16)