Série - La Pentecôte – père Cyrille Argenti

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mardi 25 juin 2013

La Pentecôte – père Cyrille Argenti (1/3)

ODT

La naissance de l’Église

La création de l’Église résulte d’abord d’une annonce faite par le Christ Lui-même. L’Esprit Saint vient toujours confirmer dans les faits ce que le Fils annonce. Le Christ avait annoncé à Pierre, lorsque ce dernier avait proclamé sa foi en la divinité du Christ : « Tu es Pierre et, sur cette pierre [cette pierre de la foi en la divinité], Je bâtirai mon Église »[1]. Cependant, c’est là l’aspect subjectif, cette foi est la condition de la naissance de l’Église. C’est encore un futur. Le Christ a commencé à la bâtir le jour où Il a accompli sa promesse d’envoyer le Consolateur. À la Pentecôte, lorsqu’Il envoie sa Parole par son Saint Esprit sur tous ceux rassemblés en son nom, croyant en Lui, cette assemblée de croyants devient Église, c’est-à-dire lieu de la présence de la Parole.

Une assemblée de croyants

Pour constituer une Église, il est nécessaire qu’il y ait des hommes de foi qui se rassemblent. Or, justement, le jour de la Pentecôte, les disciples se rassemblent avec foi, d’un seul cœur, au nom du Seigneur Jésus. Ils sont rassemblés en Église, mais ils sont encore rassemblés en tant qu’hommes, au nom de Jésus, avec son souvenir. Ce n’est qu’une organisation humaine. Et puis voilà que le Seigneur Jésus leur envoie Celui qu’Il leur avait promis, Dieu Lui-même en la Personne du Saint Esprit, qui descend sur l’Église rassemblée en même temps que sur chacun de ses membres.

Le Saint Esprit descend alors que les apôtres et la Vierge Marie sont tous rassemblés « d’un seul cœur »[2] – le mot grec est omothymadon. Ils sont « en Église » lorsque le Saint Esprit descend sur eux et pourtant Il descend sur chacun d’eux personnellement. Le don du Saint Esprit est à la fois personnel - chacun en est conscient - et en Église. Ceci est un élément extrêmement important : le don du Saint Esprit n’est pas individuel, mais personnel. « Individu », en grec, se dit atomo. Ce mot fait penser à l’atome, qui est une entité fermée. L’homme, à l’image de Dieu, n’est pas une entité fermée. À l’image du Dieu trinitaire, il est une personne appelée à communiquer avec d’autres personnes. Il n’est vraiment lui-même qu’en relation avec les autres. L’homme n’est vraiment lui-même qu’en relation avec ses frères dans l’Église.

Notons que les disciples présents le jour de la Pentecôte étaient des juifs, de même que les trois mille personnes qui furent baptisées ce jour-là, après la prédication de Pierre, lorsque il sortit du cénacle. La première Église, celle des dix-sept premières années de l’histoire de l’Église, était composée de juifs, ce que le prophète Isaïe appelait à l’avance le petit reste fidèle d’Israël.

L’Esprit vient donc sur des personnes rassemblées, elle sont ensemble et cependant l’Esprit va descendre sur chacune. Ensemble elles constituent l’Église car « église » veut dire « assemblée ». L’Esprit descend sur chacun, vivant en relation avec les autres. Le Saint Esprit crée la communion, Il circule entre nous, nous remettant en communion les uns avec les autres et chacun avec le Christ. On pourrait dire qu’Il fait communiquer chacun avec le Christ et, à travers Lui, avec tous les autres. Il est l’Esprit de vérité, donc Il nous fait communier à la Vérité, c’est-à-dire au Christ, et, à travers Lui, avec chacun de nous. C’est un peu comme des lampes qui se communiquent entre elles le courant du générateur. Le Saint Esprit est ce grand courant qui passe à travers chacun pour nous unir au Christ et les uns aux autres. En même temps, Il est un don personnel, une présence non seulement au milieu de l’assemblée mais dans le cœur de chacun. Il est Dieu, donné à chacun à l’intérieur de l’Église.

C’est lorsque l’Esprit descend sur l’Église et sur chacun de ses membres que ses membres s’épanouissent vraiment en personnes, à l’image des Personnes divines, c’est-à-dire qu’elles sont unies au sein d’un seul Christ et cependant chacune conserve, développe, épanouit sa personnalité propre. Chacun est différent sans être confondu avec les autres. On forme ainsi une communauté unie dans l’amour. De même que les Personnes divines sont unies en un seul amour, en un seul Dieu, de même les membres de l’Église tendent à être unis en une seule Église. Le Saint Esprit est donc un don personnel, pour chacun, mais qui est reçu en Église, lorsque nous sommes unis à la Parole du Fils. Il ne s’agit donc pas d’un illuminisme individuel, mais d’un don ecclésial, dont l’objectivité est garantie par le critère de la Parole de Dieu présente dans l’Église.

La Personne du Consolateur

Dans le texte grec, le Consolateur et le pronom relatif « qui » procède du Père sont un accusatif masculin, alors que le mot « esprit » en grec est neutre. Cela signifie que, lorsque l’Évangile de saint Jean nous parle du Saint Esprit, il ne s’agit pas de l’Esprit de Dieu au sens où nous pouvons parler de l’esprit de telle ou telle personne, de quelque chose, mais il s’agit de Quelqu’un. Il s’agit de la Personne du Saint Esprit, formellement identifiée comme une Personne. C’est la différence entre l’Esprit dans l’Ancien Testament et l’Esprit dans le Nouveau.

Le fait que l’Esprit Saint est Quelqu’un n’apparaît pas clairement dans l’Ancienne Alliance. Il est souvent question de l’Esprit, dans l’Ancien Testament, déjà dans le récit de la création, où l’Esprit de Dieu planait sur les eaux[3], dans le psaume 50 : « Ne me prive pas de ton Esprit Saint » ; cependant, même lorsque Samuel déverse l’huile pour l’onction de David et que l’Esprit Saint descend sur ce dernier, lorsqu’Il descend sur Saül et lui donne l’esprit de prophétie, il n’est pas encore clair qu’il s’agit d’une Personne et non pas simplement de l’Esprit de Dieu.

Cependant, dans l’Évangile de Jean, lorsque Jésus, la veille de sa mort, promet l’envoi du Saint Esprit, il s’agit bel et bien d’une Personne. « Il convient que je m’en aille, car sinon le Consolateur ne viendrait pas. »

Voyez certains moments privilégiés de la vie où l’on touche à l’essentiel et où l’on tente ensuite de le réaliser : cela réconforte. C’est pourquoi le Christ a donné à l’Esprit le titre de Consolateur. Non seulement Il nous console du fait que le Christ est remonté à la droite du Père, mais Il nous console de tout isolement, de toute angoisse et nous accorde cette chaleur de la présence de Dieu, en même temps que de la communion avec les frères.

Notes

[1] Mt 16, 18

[2] Ac 1, 14

[3] Gn 1, 2

mercredi 26 juin 2013

La Pentecôte – père Cyrille Argenti (2/3)

ODT

La proclamation de la Parole

Le Saint Esprit, en descendant sur l’Église rassemblée le jour de la Pentecôte, rend présent la Parole, c’est-à-dire le Fils, dans l’Église. Saint Luc nous dit dans les Actes que l’Esprit Saint descend sous forme de feu[1]. Les apôtres voient un phénomène étrange, qu’ils n’ont jamais vu, et qui ressemble à des langues de feu « sur chacun d’eux ». Pourquoi des langues de feu ? Avec une langue, on parle, avec une langue de feu – saint Paul nous dit de Dieu qu’Il est un feu dévorant[2] – on va parler la Parole de Dieu. Le Saint Esprit qui vient et qui descend fait des disciples des porte-paroles de la Parole de Dieu. L’Esprit, en descendant, rend présent le Fils, la Parole.

Un parallèle s’établit entre la Pentecôte et l’Annonciation : le jour de l’Annonciation, lorsque le Saint Esprit recouvre de son ombre la Vierge Marie, le Verbe de Dieu vient habiter en elle et le jour de la Pentecôte, lorsque ce même Saint Esprit descend sur l’Église rassemblée, la Parole de Dieu, le Verbe, vient habiter en elle. Ce n’est donc pas un hasard si, dans l’iconographie orthodoxe, la Vierge Marie est souvent représentée en Église. La Vierge est le symbole vivant de l’Église car elle porte la Parole en son sein, par l’opération du Saint Esprit. Ainsi, de même que le jour de l’Annonciation, par l’opération du Saint Esprit, la Parole s’est faite chair dans le sein de la Vierge Marie, de même le jour de la Pentecôte, le même Fils va se faire chair dans le sein de l’Église, dans la chair des hommes qui vont désormais proclamer la Parole de Dieu.

Le Saint Esprit ne fait donc pas des disciples des illuminés, poussés par l’Esprit et se disant inspirés. Non, l’Esprit ne les pousse pas n’importe où, mais vers la Parole. Il fait entrer dans leur cœur la Parole même que le Christ a proférée. Jésus n’avait-Il pas dit que l’Esprit nous rappellerait tout ce que Lui-même avait dit ? Il y a donc là un équilibre magnifique entre l’inspiration de notre cœur, inspiration intérieure d’une part, subjective, personnelle, qui jaillit du fond de notre être, et, d’autre part, l’aspect objectif, réel de la Parole de Vérité qu’est le Fils. C’est pourquoi Jésus avait dit : « Il vous conduira vers la Vérité toute entière »[3]. Il ne va pas nous bercer d’illusions, nous inspirer de fantaisies, Il va nous inspirer la Parole même.

Remarquez cette étonnante réciprocité de l’action du Fils et de l’Esprit : le Fils envoie l’Esprit et l’Esprit rend le Fils présent. Le Saint Esprit rend présente la Parole présente dans l’Église et dans nos bouches. Il joue un rôle capital : sans Lui, nous serions des sortes de machines. Vous pouvez prendre une cassette, y enregistrer l’Évangile et faire passer la cassette : elle vous débitera l’Évangile sans rien comprendre à ce qu’elle dit. Nous ne sommes pas des perroquets qui répétons la Parole de Dieu. Cette Parole doit jaillir de notre cœur, vivant en nous, nous faisant vibrer, faisant vraiment partie de notre être. Elle doit être une Parole à laquelle nous croyons, une Parole à laquelle nous adhérons de tout notre esprit et de tout notre cœur.

Prenez l’exemple de la divine liturgie : si le Saint Esprit n’était pas là parmi nous pour rendre présent le Christ et changer nos cœurs, ce serait du théâtre, une représentation de gestes et de paroles du Seigneur. À cause du Saint Esprit, cela est vécu, à cause du Saint Esprit, le Christ ressuscité est vraiment là ! L’Esprit rend le Christ présent, Il enfante - si l’on peut dire - le Christ dans l’Église. La Pentecôte est la Noël de l’Église. À Bethléem, c’était Marie qui enfantait le Christ, à la Pentecôte, c’est l’Église : le Christ ressuscité devient présent en notre sein et au milieu de nous. Cela est merveilleux : le Christ est vivant dans son Église.

L’anti-Babel

« Ils furent emplis d’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. »[4] Dès l’instant où les langues de feu sont descendues sur eux, les apôtres commencent à proclamer la Parole dans une multitude de langues. Ce don des langues représente le contraire de ce qui s’est passé à Babel. C’est ce que nous chantons le dimanche de la Pentecôte. À Babel, le Seigneur avait brouillé les langues, à cause de l’orgueil des hommes qui prétendaient être capables de construire une tour qui monterait jusqu’au Ciel. Ils n’avaient pas besoin de Dieu. Ainsi, les hommes ne communiquent plus entre eux. L’orgueil les divise, ils ne peuvent plus se comprendre, chacun est enfermé dans sa langue, dans sa culture, dans son nationalisme, son chauvinisme, dans son esprit de classe. Les hommes, ne se comprenant plus entre eux, se font la guerre.

Puis, lorsque le Saint Esprit descend, par le don des langues, voilà que de nouveau les hommes communiquent de l’intérieur. Ils sont unis pour annoncer le même message dans une multitude de langues et être ainsi compris de tous. Le Saint Esprit fait communiquer tous et toutes en Christ : en Lui, à travers Lui, en sa vérité, en sa Personne, en sa Parole. Le Saint Esprit unissant chacun au Fils, Lui les unit les uns aux autres. Comme les rayons d’une roue communiquent entre eux par le moyeu, ainsi les hommes communiquent entre eux par le Christ Jésus, le même courant divin les unissant à Lui et, par Lui, entre eux. Le don de la Pentecôte est le don des langues : le Saint Esprit rétablit la communication entre les hommes et entre les peuples.

Voici une anecdote qui est arrivée à l’une de mes paroissiennes, qui avait participé à un voyage en URSS, organisé par son entreprise. C’était encore l’époque brejnévienne où les chrétiens étaient persécutés en Russie. La voici logée dans un hôtel, à Moscou, sans parler le russe. C’était le jour de la Pentecôte. Il y avait là une dame âgée, en charge de l’accueil, qui ne parlait pas français, et cette vieille dame remarqua autour du cou de ma paroissienne une croix. Elle prend la croix de sa main gauche et de sa main droite rassemble ses trois doigts. Ma paroissienne rassemble également ses trois doigts et les deux femmes font ensemble le signe de croix. Aucune d’elles ne savait parler la langue de l’autre et pourtant l’Esprit leur a fait faire le signe de la croix, elles ont découvert ensemble qu’elles étaient toutes les deux chrétiennes orthodoxes. Le Saint Esprit les avait unies au-delà de la différence des langues. Vous voyez combien est précieux ce don du Saint Esprit !

L’Esprit guide l’Église

On pouvait entendre la voix du Christ et ne pas le croire. Mais l’Esprit, Lui, parle directement à l’intimité du cœur. Il communique la Parole du Fils à l’esprit même de l’homme. Il crée avec Dieu un contact cœur-à-cœur. C’est pourquoi non seulement les apôtres ne seront pas orphelins après le départ du Seigneur Jésus, mais ils recevront désormais directement leur directives de l’Esprit Saint. Ce seront évidemment les mêmes directives, puisque l’Esprit leur communique et leur rappelle tout ce que Jésus avait dit. L’Esprit dit au cœur ce que la Parole du Fils disait à l’oreille. Dans tous les moments critiques, le Saint Esprit parle aux apôtres et à l’Église et leur donne son orientation.

C’est Lui qui dit à l’apôtre Pierre, à Joppé, de se rendre à la maison de Corneille, surmontant tous ses préjugés de bon juif de ne jamais rien toucher d’impur. Les prescriptions légales interdisaient en effet à un bon juif d’entrer dans la maison d’un païen. Cela avait été un ordre utile, puisque le peuple juif avait ainsi pu préserver la pureté de sa foi au Dieu unique. Maintenant cependant, Dieu juge le moment venu d’apporter la Bonne Nouvelle au monde païen et il faut que les apôtres aillent vers les païens. Nous nous souvenons que, lorsque Pierre arrive dans la maison de Corneille et qu’il annonce la Bonne Nouvelle de la Résurrection du Crucifié, le Saint Esprit en Personne descend sur Corneille et sur sa famille. Pierre n’hésite pas alors à baptiser celui et ceux que le Saint Esprit Lui-même a visités.

C’est ainsi que l’Évangile est annoncé aux païens, qui ne connaissaient pas la Loi de Moïse, et qu’ils sont baptisés en Asie Mineure, sous l’impulsion de ce même Saint Esprit. Ils sont baptisés sans être soumis aux prescriptions de la Loi, ni à la circoncision. Ce même Saint Esprit confirme cette décision au premier concile, à la première assemblée de l’Église, en 49, lorsque les apôtres se réunissent à Jérusalem et font face à la contestation des chrétiens d’origine juive les plus conservateurs, qui sont scandalisés de voir qu’on a accueilli dans l’Église des non-circoncis, des païens, sans les soumettre au préalable à la Loi de Moïse. Quand la décision est prise, après les interventions respectives de Paul, de Pierre et de Jacques, l’assemblée dit : « Il a paru bon au Saint Esprit et à nous de ne vous imposer d’autres charges… »[5] Le Saint Esprit décide à travers les apôtres et les disciples rassemblés. Il leur révèle la vérité, la vraie pensée du Seigneur Jésus, les décidant à accueillir les païens dans l’Église sans les soumettre à la circoncision et à la Loi de Moïse.

L’Esprit Saint conduit les apôtres : lorsqu’une décision importante est à prendre, par exemple lorsque Paul, au centre de l’Asie Mineure, envisage d’aller vers la côte, c’est le Saint Esprit qui lui dit : « Non, va vers le nord ». Il le conduit alors vers la côte nord de l’Asie Mineure, où Il le fera embarquer, pour que saint Paul mette pied à terre à Philippes, en Europe, en l’an 50. Ce sera le début de l’évangélisation de l’Europe.

C’est donc le Saint Esprit qui dirige l’Église, qui rappelle les paroles du Fils, c’est Lui le chef d’orchestre invisible. Sans Lui, aucune vie chrétienne n’est possible. Celui qui ouvre l’Écriture sainte sans le don du Saint Esprit va la lire soit comme un roman, soit comme un livre de philosophie. Il va l’étudier scientifiquement, la dépecer, l’analyser, ce sera ce que l’on appelle de « l’exégèse scientifique », qui aura ses avantages et son utilité, mais qui demeurera un travail objectif, transformant l’Écriture sainte en objet.

Mais lorsque le Saint Esprit intervient, alors la Parole de Dieu présente dans l’Écriture touche le cœur et change la vie. Quand le Saint Esprit intervient, je lis l’Évangile en entendant le Seigneur qui me parle et me bouleverse, qui me conseille et m’invite au repentir et à une vie nouvelle. Le Saint Esprit court-circuite le temps pour rendre présent et actuel le Fils qui nous parle aujourd’hui par le Saint Esprit. Les paroles que nous lisons dans l’Écriture n’appartiennent pas au passé car, grâce au Saint Esprit, le Christ est là, vivant, en train de nous parler.

Notes

[1] Cf. Ac 2, 3

[2] Hb 12, 29

[3] Jn 16, 13

[4] Ac 15, 28

[5] Cf. Jn 3, 8

jeudi 27 juin 2013

La Pentecôte – père Cyrille Argenti (3/3)

ODT

S’ouvrir à l’œuvre de l’Esprit

Le Saint Esprit se présente, le jour de la Pentecôte, comme un coup de vent. Pourquoi ? Il faut nous rappeler que Jésus Lui-même disait à Nicodème que l’Esprit est comme le vent : « Le vent souffle où il veut et on entend sa voix, mais on ne sait ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. »[1] Effectivement, le mot « esprit » signifie étymologiquement « souffle ». Jésus Lui-même a comparé l’Esprit à un souffle qui nous inspire, qui nous conduit sans que nous sachions où. Il Le compare aussi au feu. Il est un peu comme le souffle qui gonfle la voile et pousse le bateau en avant sans que l’on sache où il va. Celui qui ouvre les voiles de son cœur au souffle de l’Esprit sait qu’il va là où Dieu veut qu’il aille mais sans savoir où, un peu comme Abraham lorsqu’il quitte son pays et sa patrie sans savoir où Dieu va le mener. Dans un acte de confiance totale, il sait que l’Esprit le conduit là où il faut. Nous aussi, donc, quand nous nous ouvrons aux sollicitations de l’Esprit, nous savons qu’Il nous conduira là où Dieu veut que nous allions.

Jésus invite Nicodème à renaître, à naître d’une nouvelle naissance. Nous vivons la vie que nous avons reçue de nos parents et il nous reste à découvrir la vie dont vit Dieu. Cette vie-là, nous y naissons par la foi et le baptême. C’est vraiment une autre vie qui commence. Cette vie éternelle, cette vie trinitaire, c’est le Saint Esprit qui nous y fait participer. Tout le but de la vie chrétienne est justement cette attente, ce désir, cette demande ardente de recevoir le Saint Esprit. Alors, on a tout.

Saint Paul nous dit : « Vous êtes des collaborateurs de Dieu »[2] et l’on peut illustrer cela par une image : si vous êtes un navigateur solitaire en train de traverser l’Atlantique dans un bateau à voile, c’est le vent qui va pousser le navire. Cela ne veut pas dire, cependant, que le navigateur va rester là les bras croisés. Non, il va tenir la barre, déplacer la voile pour qu’elle prenne le vent. Le rôle du navigateur sera souvent très fatigant, il va se donner en entier. La force qui pousse le navire n’est pourtant pas celle de ses muscles, mais celle du vent. Ce qui anime la vie du chrétien, la source de force, c’est le Saint Esprit. Toute la vie du chrétien, et celle de l’Église, est une invocation permanente au Saint Esprit. D’ailleurs, c’est le Seigneur Jésus Lui-même qui nous le dit : « Si vous qui êtes méchants, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-Il l’Esprit Saint à ceux qui L’en prient ! »[3] Nous sommes comme les voiles d’un bateau, auquel le vent n’appartient pas. Le Saint Esprit gonfle les voiles et pousse le bateau. Le Saint Esprit n’appartient pas à l’Église mais l’anime.

L’Esprit, principe de liberté

Le Saint Esprit est celui qui nous libère de la servitude de la Loi, comme disent l’épître aux Galates et l’épître aux Romains[4]. Il est le principe de la liberté. Il se cache à la racine même de notre volonté, en sorte que, lorsque nous agissons sous l’impulsion du Saint Esprit, nous sommes vraiment libres. Lorsque nous faisons quelque chose par amour, nous ne sentons nullement que nous sommes obligés de le faire, nous le faisons de nous-mêmes. Il se cache à la racine même de notre être. Si le Fils s’est caché dans ce petit paquet de chair qu’était le bébé de la crèche de Bethléem, le Saint Esprit se cache à la racine de notre volonté et de notre liberté, car nous ne sommes jamais si libres, nous ne sommes jamais tellement nous-mêmes, que lorsque nous agissons sous l’impulsion du Saint Esprit. Il ne nous force pas de l’extérieur, car « L’Esprit qui demeure en nous »[5], c’est vraiment nous.

N’oublions pas qu’à l’origine de la création, nous avons été faits à l’image et à la ressemblance de Dieu par le Souffle de Dieu. C’est l’Esprit Saint qui fait partie de notre personne. Il y a Dieu en nous. Nous sommes les « temples du Saint Esprit » et par le baptême cet Esprit de Dieu est renouvelé. Souvenons-nous que lorsque le Christ rend l’âme, le texte de saint Jean nous dit qu’« Il rendit l’esprit »[6], l’Esprit Saint qui repose sur Lui. L’Esprit Saint et notre esprit sont donc en communion et lorsque l’Esprit Saint vient se cacher dans l’esprit de l’homme, celui-ci est vraiment libre.

L’Esprit Saint est « principe de liberté », le Christ est « principe de vérité » et si l’on rompt cet équilibre entre le Fils et l’Esprit, on rompt la vie de l’Église, l’équilibre entre la vérité et la liberté. Si l’on sacrifie l’Esprit, on sacrifie la liberté et l’Église devient autoritaire. Si l’on sacrifie la place du Fils, on tombe dans un illuminisme individuel et l’on sacrifie la Vérité. Il faut toujours maintenir la réciprocité de la place du Fils et de l’Esprit dans l’Église, de même qu’il faut maintenir l’équilibre entre l’aspect personnel et l’aspect ecclésial du Christ dans l’Église et du don de l’Esprit dans l’Église.

Oui, désormais c’est le Saint Esprit qui dirige l’Église en lui transmettant la Parole du Christ. Certes, la Parole transcrite par écrit dans le Nouveau Testament sera le critère objectif qui permettra à l’Église de ne pas se laisser égarer par un faux illuminisme. Il faudra toujours que « ce que l’Esprit dit aux Églises » soit conforme à la Parole qui avait été prononcée par le Christ, car l’Esprit ne peut rien dire d’autre que ce que le Fils Lui communique et que le Fils reçoit du Père. Il ne peut jamais y avoir de contradiction entre la voix du Fils et la voix de l’Esprit car il n’y a qu’un Dieu, qu’une Pensée divine et qu’une volonté divine. Par conséquent le Fils et le Saint Esprit agiront toujours de concert. Mais l’Église apostolique n’est pas une institution avec une organisation en quelque sorte gouvernementale, ce qui d’ailleurs aurait été tout-à-fait impossible dans les conditions de dispersion et de persécution de l’époque. Il n’y a pas d’administrateur d’Église au sens moderne du terme. C’est le Saint Esprit qui fait la liaison entre les Églises locales, qui suggère aux apôtres et aux Églises locales d’agir d’une façon coordonnée, conformément à la même Parole. Le Christ lui-même nous dit : « Le Saint Esprit vous rappellera tout ce que Je vous ai enseigné. »[7] L’Esprit rend l’enseignement du Christ présent à notre cœur et à notre vie. C’est par Lui, par la présence de l’Esprit, que toute l’action du Christ nous atteint.

Présence du Saint Esprit dans les sacrements

Cela nous fait déboucher sur le mystère liturgique, car toute liturgie évoque l’action du Fils. Mais commémorer la mort et la Résurrection du Christ ne serait qu’une cérémonie d’anciens combattants, ne serait que du théâtre si le Christ n’était pas réellement présent actuellement. C’est le Saint Esprit qui le rend actuel. Non seulement, Il rend présent à notre mémoire tout l’enseignement du Christ, mais Il rend le Christ présent. Tout ce que le Christ nous a offert sur la Croix et en ressuscitant, nous le recevons par l’action du Saint Esprit aujourd’hui.

Lors de la liturgie eucharistique, quand le président de l’assemblée, au nom de tout le peuple, supplie Dieu le Père d’envoyer son Saint Esprit, c’est le renouvellement de la Pentecôte. Le Christ fait don de son Esprit en permanence : chaque dimanche les disciples du Seigneur Jésus se rassemblent au nom du Christ, si possible d’un seul cœur, pour inviter le Saint Esprit à descendre sur toute l’Église et sur chacun de ses membres. L’Église continue ainsi à être le lieu de la présence de la Parole de Dieu et, en se séparant à la fin de l’office, en allant en paix, les fidèles annoncent par leur vie et leur témoignage, par leurs mots, la Résurrection du Christ. C’est cela, l’Église : le Saint Esprit rendant l’action et la présence du Christ actuelles aujourd’hui.

Le Saint Esprit conduit jusqu’à nous ce que le Christ a fait une fois pour toutes. Le Saint Esprit transcende le temps. Ainsi, dans le sacrement de réconciliation, la main guérissante et pardonnante du Christ, par l’action du Saint Esprit, vient jusqu’aux fidèles. Après avoir prié pour le pardon de la personne qui reçoit le sacrement, le prêtre dit : « Que la grâce du Saint Esprit, par mon indignité, te délie et te pardonne. »

Ainsi, dans le mystère de l’eucharistie, c’est le Saint Esprit qui confirme et actualise pour nous, aujourd’hui, l’unique sacrifice du Christ et, par conséquent, nous donne, à nous aujourd’hui, tous les bénéfices du sacrifice rédempteur et de la Résurrection du Christ. De même, dans le sacrement des saintes huiles, Il nous transmet la puissance guérissante du Christ. On peut en dire autant de tous les autres sacrements. Le Saint Esprit nous donne tout ce qui est en Dieu.

Le Saint Esprit rend le Christ présent dans les sacrements comme dans l’Écriture sainte. Par Lui, les prophètes entendaient à l’avance parler le Christ, Isaïe entend le Messie lui dire : « L’Esprit du Seigneur est sur Moi, Il M’a oint pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres »[8]. Les prophètes entendent déjà le Christ parler parce que le Saint Esprit est en eux, et nous, deux mille ans après, nous L’entendons parler par le don de l’Esprit. Le Saint Esprit court-circuite donc le temps, Il rend éternellement présent le Fils coéternel du Père coéternel. Par Lui, tout est vivifié.

Dans l’Église, le Saint Esprit rassemble les personnes, non pas dans une simple communication sentimentale, mais autour et dans la vérité du Christ. Ce n’est pas simplement communiquer pour communiquer. Le Saint Esprit nous rassemble autour du centre, autour de la Parole de vérité, Il nous unit au Christ et, ainsi, entre nous : c’est une union dans la Vérité. Dans la liturgie, nous prions pour l’unité de foi et la communion du Saint Esprit. On le ressent essentiellement au moment de la communion, après laquelle nous chantons : « Nous avons vu la vraie lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la vraie foi… » La communion, c’est le Saint Esprit qui nous unit en Christ, pas simplement une unité intellectuelle autour du message du Christ, le Saint Esprit nous greffe au Christ, Il fait vraiment de nous les membres d’un seul corps, le corps dont le Christ est la tête et le sang qui circule dans ce corps est le Saint Esprit. Si les orthodoxes cessent de vivre du Saint Esprit, ils cessent d’être orthodoxes. Il ne faut pas pour autant, cependant, oublier le Fils : c’est dans l’équilibre entre « les deux mains du Père », comme le dit Saint Irénée, que se trouve l’orthodoxie.

L’ordre de la Révélation

Saint Basile, dans son Traité du Saint Esprit, nous rappelle que le parcours du croyant se fait dans l’ordre inverse de la Révélation. Le Père nous envoie le Fils et le Fils nous envoie l’Esprit : c’est l’ordre chronologique de la Révélation, Père, Fils, Saint Esprit. Inversement, c’est lorsque l’Esprit éclaire le cœur et l’esprit du croyant que celui-ci peut contempler le visage du Fils, qui alors fait connaître le Père. Dans la vie du chrétien, tout commence par le don du Saint Esprit qui nous conduit vers la Parole du Fils, qui nous fait connaître le Père.

En recevant le don de l’Esprit, les apôtres annoncent la Parole du Fils. Le Fils leur envoie l’Esprit et l’Esprit rend le Fils présent. Remarquons cette réciprocité de l’action du Fils et de l’Esprit dans l’Église. Cet équilibre entre le Fils et l’Esprit définit étymologiquement l’orthodoxie. Cet équilibre est celui qui maintient dans l’Église l’équilibre entre la vérité et la liberté. Car le Fils est celui qui a dit : « Je suis la Vérité »[9] (pas simplement « je vous apporte la vérité »). Le Logos, le Verbe divin est la Vérité, la Vérité objective. « L’Esprit Saint vous conduira vers la Vérité toute entière »[10] c’est-à-dire vers le Christ tout entier. « Il vous rappellera tout ce que Je vous ai enseigné »[11]. Ainsi, l’action du Saint Esprit est toujours dirigée vers le Fils, vers la Vérité.

Notes

[1] Jn 3,8

[2] Cf. 1 Cor 3, 9

[3] Lc 11, 13

[4] Cf. Ga 4, 4 ; Rom 8, 2

[5] Cf. Rom 8, 9

[6] Jn 19, 30

[7] Jn 14, 26

[8] Lc 4, 18

[9] Jn 14, 6

[10] Jn 16, 13

[11] Jn 14, 26