Série - Dimanches du grand carême

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jeudi 21 février 2013

Grand carême - dimanche de Zachée

ODT

Extrait : « Le grand Carême[1] »

Lorsqu'un homme par en voyage, il doit savoir où il va Ainsi en est-il du carême. Avant tout, le carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâque, la « Fête des fêtes ». [...]

Ainsi nous célébrons à Pâque la Résurrection du Christ comme quelque chose qui est arrivé et qui nous arrive encore. Car chacun d'entre nos a reçu le don de cette vie nouvelle et la faculté de l'accueillir et d'en vivre. C'est un don qui change radicalement notre attitude envers toute chose en ce monde, y compris la mort, et qui nous donne le pouvoir d'affirmer joyeusement : « la mort n'est plus ! ». Certes, la mort est encore là, et nous l'affrontons toujours et un jour elle viendra nous prendre. Mais c'est là réside toute notre foi : par Sa mort, le Christ a changé la nature même de la mort, il en a fait un passage, une pâque, une « pescha », dans le royaume de Dieu, transformant la tragédie des tragédie en victoire suprême. « Écrasant la mort par la mort », il nous a rendus participants à Sa résurrection. C'est pourquoi à la fin des matines de Pâque nous disons : « Le Christ est ressuscité, et voilà la Vie qui gouverne ! Le Christ est ressuscité, et aucun mort ne reste au tombeau ! ». [...]

Bien avant le début du Carême, l'Église annonce son approche et nous invite à entrer dans la période préparatoire du pré-carême. [...] Cette préparation comprends cinq dimanches consécutifs précédents le Carême, chacun d'eux étant, avec son évangile particulier, consacré à un aspect fondamental du repentir.

  • dimanche de Zachée ;
  • dimanche du publicain et du pharisien ;
  • dimanche du fils prodigue ;
  • dimanche du jugement dernier ;
  • dimanche de l'expulsion d'Adam du Paradis.

Évangile du dimanche de Zachée

(Lc XIX,1-10)

Jésus, étant entré dans Jéricho, traversait la ville. Et voici, un homme riche, appelé Zachée, chef des publicains, cherchait à voir qui était Jésus ; mais il ne pouvait y parvenir, à cause de la foule, car il était de petite taille. Il courut en avant, et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu'il devait passer par là. Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit : « Zachée, hâte-toi de descendre ; car il faut que je demeure aujourd'hui dans ta maison. » Zachée se hâta de descendre, et le reçut avec joie. Voyant cela, tous murmuraient, et disaient : « Il est allé loger chez un homme pécheur. » Mais Zachée, se tenant devant le Seigneur, lui dit : « Voici, Seigneur, je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et, si j'ai fait tort de quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple. » Jésus lui dit : « Le salut est entré aujourd'hui dans cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d'Abraham. Car le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »




Pour mieux comprendre ceci, je vous prie d’entrer en esprit, et par la pensée dans la maison de Zachée, et de considérer de quelle manière il l’orna lorsque Jésus-Christ y devait entrer. Il n’alla point emprunter de ses voisins leurs plus magnifiques meubles. Il ne s’empressa point de tirer de ses coffres de riches tapisseries. Il ne voulut point d’autres ornements pour recevoir Jésus-Christ, que ceux qui plaisent à Jésus-Christ : « Je donne », dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres ; et je rends au quadruple tout ce que j’ai pris ». (Luc, XIX, 7) Parons de cette manière nos maisons, mes frères, pour mériter d’y recevoir le Sauveur. Nous ne pouvons lui rien préparer qui lui plaise davantage. Ces ornements, dont je vous parle, ne se font que dans le ciel. C’est de là qu’ils descendent sur la terre ; et partout où ils se trouvent, là se trouve aussi le Roi du ciel. Si vous pensez à quelque autre magnificence, et à ce luxe qui ne satisfait que les yeux, c’est le démon et ses anges que vous recevez dans votre cœur.
[...]
Si vous voulez donc attirer Jésus-Christ chez vous, travaillez à orner votre maison par l’aumône, par la prière, par les supplications, et par les veilles. Ce sont là les ornements qui plaisent au Roi que nous servons. Les autres ne plaisent qu’au démon qui est l’ennemi de Jésus-Christ. Ainsi, que les chrétiens ne rougissent plus de voir leurs murailles nues, puisque lorsque leurs maisons sont sans ces ornements extérieurs , ils les parent beaucoup mieux lar la sainteté de leur vie. Que les riches au contraire ne se glorifient point de leurs meubles somptueux, mais qu’ils en rougissent plutôt, et qu’ils préfèrent à leurs bâtiments magnifiques une petite cabane, puisque c’est là qu’ils mériteront de recevoir Jésus-Christ en cette vie, et d’être reçus de lui dans l’autre, par la grâce et par la miséricorde du même Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui est la gloire et t’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.[2]

Notes

[1] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine

[2] Saint Jean Chrysostome, homélie 83

samedi 23 février 2013

Grand carême - dimanche du publicain et du pharisien

ODT

L'humble en vérité est celui qui a secrètement de quoi s'enorgueillir et ne s'enorgueillit pas, mais ne voit là rien de plus en lui-même qu'un peu de terre. (St Isaac le Syrien)

Avec ce dimanche, l'Église nous fait faire un pas de plus vers Pâque en nous proposant d'une part le modèle à suivre du publicain qui se tient en retrait, reconnaît humblement ses péchés et demande avec espoir la miséricorde divine, sans pour autant la tenir pour méritée ; d'autre part comme exemple à fuir celui du pharisien satisfait de ses œuvres et pensant recevoir la Grâce divine comme un dû.

En ce dimanche le triode de carême[1] fait sa première apparition. Aux vêpres (lucernaire) :

Frères, ne prions pas comme le Pharisien * Car celui qui s'élève lui-même sera abaissé * Humilions nous devant Dieu * appelant dans le jeûne comme le Publicain * Dieu, pardonne nous qui avons péché.
Seigneur qui domines l'univers * Je sais combien peuvent les larmes * Des portes de la mort elles ont ramené Ezéchias * De longues fautes elles ont délivré la pécheresse * Plus que le Pharisien elles ont justifié le Publicain * Je Te prie, compte moi parmi eux, aie pitié de moi.

À toutes les matines dominicales, après le psaume 50 :

Ouvre moi les portes du repentir Toi qui donnes la vie * Car vers ton temple saint se lève mon esprit * portant tout souillé le temple de mon corps * Mais purifie moi compatissant dans la miséricorde de ton amour.
Conduis moi sur le chemin du salut, Mère de Dieu * Car dans les fautes infâmes j'ai souillé mon âme * dans la négligence j'ai dépensé ma vie * Par tes prières délivre moi de toute impureté.
Aie pitié de moi, ô Dieu, dans ton grand amour. Dans l'abondance de tes compassions efface mon péché.
Malheureux considérant le nombre de mes fautes * je crains le jour terrible du Jugement * Mais confiant dans l'amour de ta miséricorde * je T'appelle comme David * Aie pitié de moi, Dieu, dans ton grand amour.

Extrait : « Le grand Carême[2] »

Ces textes développent le second aspect du repentir : l'humilité. [...]

Mais qu'est-ce que l'humilité ? La réponse à cette question peut paraître paradoxale parce qu'elle s'appuie sur une affirmation étonnante : « Dieu lui-même est humble ». Pourtant, à celui qui connaît Dieu, qui le contemple dans sa création et dans ses actes sauveurs, il est évident que l'humilité est véritablement une qualité divine, qu'elle est le contenu même et le rayonnement de la gloire qui remplit le Ciel et la terre, comme la chante la Divine Liturgie.

Dans notre mentalité humaine, nous avons tendance à opposer « gloire » et « humilité », cette dernière étant pour nous le signe d'un manque ou d'une déficience. ...

Évangile du publicain et du pharisien

(Lc XVIII,10-14)

Le Seigneur dit cette parabole : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était pharisien et l’autre publicain. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers.” Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !” Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

De saint Isaac le Syrien

L'humilité est une puissance secrète que les saints parfaits reçoivent quand ils ont mené à bien toute l'ascèse de leur vie. Cette puissance en effet n'est donnée qu'à ceux qui parviennent à la perfection de la vertu par la force de la grâce, pour autant que la nature en soit capable. Car la vertu englobe tout en elle. C'est pourquoi il n'est pas possible de tenir pour humble le premier homme venu, mais ceux-là seuls auxquels a été donné cet ordre que nous avons dit.

Il ne suffit pas qu'un homme soit bon et calme, ou prudent ou doux, pour qu'il ait atteint le degré de l'humilité. L'humble en vérité est celui qui a secrètement de quoi s'enorgueillir et ne s'enorgueillit pas, mais ne voit là rien de plus en lui-même qu'un peu de terre. Nous n'appelons pas non plus humble, bien que la chose soit digne de louanges, celui qui s'humilie dans la mémoire de ses fautes et de ses erreurs et s'en souvient jusqu'à ce que soit brisé son cœur et que son intelligence ait effacé en elle les pensées d'orgueil. Car il a encore en lui la tentation de l'orgueil, il n'a pas acquis l'humilité, mais il s'en approche par les moyens qu'il met en œuvre. Même si la chose est louable. Comme j'ai dit, il n'a pas encore l'humilité. Il la veut, mais il ne l'a pas. L'humble parfait est celui qui n'a besoin de rien faire dans son cœur pour être humble. Mais parfaitement et naturellement il possède en tout l'humilité sans qu'il y travaille. Il l'a reçue en lui-même comme une grande grâce qui dépasse toute la création et toute la nature. Et se voit à ses propres yeux comme un pécheur, comme un homme de rien et méprisable. Il est entré dans le mystère de toutes les natures spirituelles, il porte en lui la sagesse de toute la création en toute exactitude, et cependant il considère qu'il ne sait rien. Ainsi il est humble dans son cœur sans rien faire pour cela et sans rien forcer.

- Mais est-il ou non possible qu'un homme devienne tel et change pareillement dans sa nature ?

N'en doute pas. La puissance qu'il a reçue des mystères accomplit tout en lui, en menant à bien toute vertu. C'est la puissance même que reçurent les bienheureux apôtres sous la forme du feu. Le Sauveur leur avait ordonné en effet de ne pas quitter Jérusalem jusqu'à ce qu'ils aient reçu la puissance d'en haut. Jérusalem est ici la vertu. La puissance est l'humilité. Et la puissance d'en haut est le Paraclet c'est-à-dire l'esprit Consolateur. Or c'est là ce qu'avait dit l’Écriture Sainte : les mystères sont révélés aux humbles. Aux humbles est donné de recevoir en eux-mêmes cet Esprit des révélations qui découvre les mystères. C'est pourquoi des saints ont dit que l'humilité accomplit l'âme dans les contemplations divines. Que nul donc n'aille s'imaginer qu'il est parvenu à la mesure de l'humilité parce qu'une pensée de componction lui sera venue à un certain moment, ou parce qu'il aura versé quelques larmes, ou parce qu'il portera un bien qu'il a naturellement ou qu'il aura obtenu en se faisant violence (car l'humilité accomplit tous les mystères et garde toutes les vertus), ou parce qu'il aura, en faisant des petites choses, acquis tout ce qui tient lieu de cette grâce.

Mais si un homme a vaincu tous les esprits contraires, s'il n'y a pas d’œuvre qu'il n'ait faite ni de vertu qu'il n'ait acquise, s'il a renversé et soumis toutes les forteresses des ennemis, et si alors il a senti en esprit qu'il a reçu cette grâce (quand l'esprit rend témoignage à son esprit, selon la parole de l'Apôtre), là est la perfection de l'humilité. Bienheureux celui qui la possède. Car à toute heure il embrasse le sein de Jésus.

- Mais quelqu'un dira : que faire ? Comment puis-je acquérir l’humilité ? Par quelle voie puis-je être digne de la recevoir ? Voici, je me fais violence à moi-même, et quand je pense l'avoir acquise, je m'aperçois que des pensées qui lui sont contraires tournent dans mon intelligence. Et je tombe désormais dans le désespoir.

Il sera répondu à celui qui interroge ainsi : « Il suffit au disciple d'être comme son Maître et au serviteur d'être comme son Seigneur. » Vois ce qu'a fait pour l'acquérir Celui qui a ordonné l'humilité et a donné cette grâce. Sois comme Lui et tu la trouveras. Car Il a dit : « Le prince de ce monde vient, et ne trouvera rien en moi. » Vois-tu comment il est possible d'acquérir l'humilité dans la perfection de toutes les vertus ? Imite Celui qui nous a donné son ordre. « Les renards, a-t-Il dit, ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Lui auquel ceux qui ont achevé, sanctifié et accompli leur vie dans toutes les générations rendent gloire ainsi qu'au Père qui L'a envoyé et au Saint-Esprit maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

Notes

[1] Livre liturgique contenant les textes propres aux offices du grand Carême et qui viennent s'intercaler et s'ajouter aux textes habituels des offices.

[2] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine

samedi 2 mars 2013

Grand carême - dimanche du fils Prodigue

ODT

Extrait : « Le grand Carême[1] »

[…] Le fils prodigue, nous dit-on, partit pour un pays lointain, et là dissipa tout ce qu’il possédait. « Un pays lointain » : telle est l’unique définition de notre condition humaine que nous devons assumer et faire nôtre, quand nous commençons à marcher vers Dieu. L’homme qui n’a jamais fait cette expérience, ne fût-ce que brièvement, qui n’a jamais senti qu’il est exilé de Dieu et de la vraie vie, n’a pas encore réellement compris ce qu’est le christianisme. Et celui qui est parfaitement « chez lui », en ce monde, et dans la vie de ce monde, qui n’a jamais été blessé par le désir nostalgique d’une autre réalité, celui-là n’a pas encore saisi ce qu’est le repentir.

Souvent le repentir est simplement identifié à une froide et objective énumération des péchés et des transgressions, à un aveu de culpabilité devant une accusation légale. Confession et absolution sont envisagés comme des actes de nature juridique. Mais on néglige une chose essentielle, sans laquelle ni la confession, ni l’absolution n’ont de signification réelle, ni de pouvoir. Et cette chose est précisément le sentiment d’être éloigné de Dieu, exilé de la joie de la communion avec Lui et loin de la vrai vie qui est donnée et créée par Dieu. […]

Extraits des textes du triode

Première stichère du lucernaire :

Jétais dans le vivant pays de l’innocence * mais j’ai semé le péché sur la terre * J’ai récolté sous la faucille les épis de la négligence * J’ai fait des meules avec les gerbes de mes actes * et ne les ai pas étendues sur l’aire du repentir * Mais je Te prie, notre Dieu qui es avant les siècles et cultives le monde * vanne au vent de ta miséricorde la paille de mes œuvres * verse dans mon âme le blé de l’absolution * porte moi dans les greniers du ciel et sauve moi.

Kondakion :

Quittant follement ta gloire paternelle * dans le mal j’ai dispersé la richesse que Tu m’avais donnée * Et je Te dis les paroles du fils prodigue * J’ai péché contre Toi, Père compatissant * Reçois moi qui me repens * Et fais de moi l’un de tes serviteurs.

Une particularité de ce dimanche, ainsi que des deux dimanches suivants, c’est le chant au matines du psaume 136 (137) de l’exil d’Israël à Babylone :

Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, au souvenir de Sion. Aux saules de leurs rives nous avions suspendu nos harpes. Là, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandaient de chanter des cantiques, et nos ravisseurs nous disaient : « Chantez-nous un cantique de Sion. » Comment chanterions-nous un cantique du Seigneur sur une terre étrangère ? Si je t’oublie, Jérusalem, qu’à l’oubli ma droite soit livrée. Que ma langue s’attache à mon palais si je ne me souviens plus de toi, si je ne fais de Jérusalem la première de mes joies. Souviens-toi, Seigneur, des fils d’Édom, qui disaient au Jour de Jérusalem : « Détruisez, détruisez-la jusqu’aux assises ! » Fille de Babylone, misérable, bienheureux qui te revaudra les maux que tu nous valus. Bienheureux celui qui saisira tes petits enfants, et les brisera contre la Pierre.

Évangile du Fils prodigue

(Lc XV,11-32)

En ce temps-là, Jésus fit cette parabole : « Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : “Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir”. Et le père leur partagea son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les pourceaux. Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. Étant rentré en lui-même, il se dit : combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : “Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes mercenaires”. Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa. Le fils lui dit : “Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils”. Mais le père dit à ses serviteurs : “Apportez vite la plus belle robe, et l’en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé”. Et ils commencèrent à se réjouir. Or, le fils aîné était dans les champs. Lorsqu’il revint et approcha de la maison, il entendit la musique et les danses. Il appela un des serviteurs, et lui demanda ce que c’était. Ce serviteur lui dit : “Ton frère est de retour, et, parce qu’il l’a retrouvé en bonne santé, ton père a tué le veau gras”. Il se mit en colère, et ne voulut pas entrer. Son père sortit, et le pria d’entrer. Mais il répondit à son père : “Voici, il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras !” “Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à toi ; mais il fallait bien s’égayer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et qu’il est revenu à la vie, parce qu’il était perdu et qu’il est retrouvé”. »

Homélie prononcée par père Boris à la crypte le 23 février 2003

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,

L’Église nous prépare à entrer dans ce temps béni du Saint Carême et nous instruit par des paraboles. D’année en année, nous réentendons ces paraboles et nous les réapprenons. Pour nous, elles ont toujours un sens nouveau, nous les découvrons comme si c’était la première fois.

Dimanche dernier, nous avons entendu la parabole du Publicain et du Pharisien, aujourd’hui c’est la parabole du Fils Prodigue.

Il y a des analogies entre les deux paraboles et aussi des différences.

Une des analogies c’est l’orgueil, le sentiment de la justice, le contentement de soi du pharisien d’une part, et du fils aîné d’autre part, lui qui a toujours accompli la volonté de son père. Tous deux ont le cœur dur. Le pharisien s’exalte au point de mépriser tous les autres hommes et, en particulier, le publicain qui se tient là en retrait. Quant au frère aîné, il n’a pas de compassion pour son frère dévoyé, il ne ressent pas la joie de le retrouver à la maison paternelle et refuse de participer au repas de fête.

Une autre analogie c’est l’humilité. Le publicain n’ose pas lever les yeux vers le ciel et ne peut que prononcer la prière « Mon Dieu, aie pitié de moi pécheur ». Cette parabole nous ramène ainsi aux origines de la prière de Jésus « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pécheur ». Quant au fils prodigue, tenaillé par la faim, il revient, mais il ne se sent pas digne d’être accueilli autrement que comme un des serviteurs. Voilà pour les analogies.

Une différence est que le publicain est un homme pécheur, mais c’est un homme pécheur dans lequel l’Esprit Saint œuvre pour éveiller en lui un début de conscience et de repentance. Ceci nous rappelle que nous ne devons jamais, au grand jamais, désespérer de qui que ce soit. Dans notre vie, nous ne devons mépriser personne autour de nous, car nous ne savons pas ce qui se passe dans le cœur intime de chacun de ceux que nous estimons au plus bas, comme le publicain, les prostituées, les voleurs, les brigands… Tandis que celui-là est un pécheur, le fils prodigue était un enfant de la maison, il était fils – comme aujourd’hui Dimitri qui a été baptisé est fils, fils de Dieu, et nous sommes tous enfants de Dieu. Et là est précisément le problème, car un enfant, tout aimé qu’il soit, tout gâté qu’il soit par l’abondance de l’amour et la richesse matérielle de la famille peut s’en éloigner. Il peut se révolter et partir, comme le dit la parabole aujourd’hui « il s’en alla en une terre lointaine ». Cette terre lointaine est un symbole de l’état de péché qui est un éloignement infini de Dieu. Mais, quel que soit cet éloignement, il n’est jamais un obstacle définitif pour la grâce de Dieu. L’Esprit Saint œuvre, Il œuvre non pas seulement en ceux qui sont loin depuis toujours, mais aussi en ceux qui se sont éloignés par l’usage de leur propre liberté ou par les choix du fond de leur cœur. Et c’est poussé par la faim que le fils prend le chemin du retour.

Ainsi celui-ci revient vers la maison paternelle, il est dignement accueilli, il reçoit une robe blanche, une robe de fête – comme aujourd’hui Dimitri a reçu une robe blanche –, le veau gras est immolé et il participe au festin – comme aujourd’hui Dimitri participera au banquet eucharistique.

Voilà donc pour les analogies et les différences. Mais à présent, nous pouvons nous interroger : « Ne fallait-il pas que le fils aîné montre de la compassion ? » ou bien encore « Ne fallait-il pas que, lui aussi, parte, non pas pour quitter la maison paternelle, mais pour se mettre à la recherche de son plus jeune frère ? ».

Or, le fils aîné n’a rien fait de tel. Par conséquent, en soulignant ce que le frère aîné a omis, cette parabole ne nous suggère-t-elle pas une autre réalité ? Celle d’un autre Fils aîné qui, Lui, s’en est allé au loin chercher celui qui était égaré et le ramener dans la maison du Père. Ainsi, par contraste et presque par contradiction, cette parabole nous suggère l’action du Christ qui a aimé Sa créature et qui n’a pas supporté de la voir s’en aller au loin dans la déchéance et dans la perdition. Cette lecture de la parabole nous est d’ailleurs confirmée par une parole du père qui m’a toujours frappé. Lorsque le fils aîné refuse d’entrer dans la maison, le père lui dit « Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. ». Nous retrouvons ces mêmes paroles dans l’évangile selon saint Jean lorsque le Seigneur Jésus, le Fils Unique, parle de son Père : « Tout ce qui est à mon Père est à Moi et tout ce qui est à Moi est au Père. »

Ces simples mots du père « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. » ne nous suggèrent-t-ils pas justement cet autre mystère qui est caché et que Jésus ne dévoilait pas encore, parce que le temps n’était pas encore venu d’en révéler la plénitude ? Il fallait en effet que Jésus s’en aille en terre lointaine, qu’Il soit bafoué par l’humanité, qu’Il soit mis en croix et que, ensuite, s’élevant vers le Père, soit élucidé le sens de cette parole « Et Moi, quand J’aurai été élevé de la terre, J’attirerai tous les hommes à Moi » . C’est ainsi que le Seigneur attire la brebis perdue, l’enfant dévoyé. C’est toute l’humanité, dans sa totalité, dans son ensemble qui est cet enfant perdu. C’est toute l’humanité, dans l’unité du genre humain qui est ce fils égaré, parti au loin, et que Jésus part rechercher, qu’Il retrouve et qu’Il ramène à la maison du Père. Quelle vision extraordinaire de salut et d’amour de Dieu nous révèle cette parabole !

Et je ne peux conclure sans vous rappeler ce moment qui ne cesse de me bouleverser : Après s’être levé pour aller vers son père, le fils prit le chemin du retour. Alors qu’il était encore loin, son père qui guettait son retour, le vit. C’est ému de compassion que le père courut se jeter à son cou et le baisa. Le père n’attendit pas fièrement, orgueilleusement, que le fils vienne se prosterner, il n’attendit pas comme un dû que son fils dise toutes ses phrases de repentance pour le recevoir comme un simple serviteur, mais au contraire il courut lui-même à sa rencontre. Et nous pouvons dire aussi que le Père céleste court à notre rencontre, Il est impatient de la conversion et du retour de chacun de nous. Cette impatience est une impatience d’amour parce que le cœur du Père, comme le cœur du Fils, est un cœur de feu, c’est un cœur d’amour qui brûle d’amour pour nous tous et pour chacun de nous sans exception.

Je pense que c’est tout cela que veut dire cette parabole. Puissions-nous nous en inspirer ! Puissions-nous être véritablement le fils prodigue qui, de tout son être, retourne vers la maison du Père. Soyons accueillis dans les bras éternels !

Amen.

Note

[1] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine

samedi 9 mars 2013

Grand carême - dimanche du Jugement dernier

ODT

Appelé aussi dimanche de carnaval, c’est le dernier dimanche où l’on peut consommer des produits carnés.

Extrait : « Le grand Carême[1] »

[…] En effet, qu’est-ce que l’amour, sinon ce pouvoir mystérieux qui permet de transcender l’extérieur et l’accidentel chez l’« autre » — son aspect physique, son rang social, son origine ethnique, ses qualités intellectuelles — pour atteindre l’âme, la racine unique et personnelle d’un être humain, autrement dit la part de Dieu en lui ? Si Dieu aime tout homme, c’est parce que, seul, il connaît l’inestimable trésor, absolument unique, « l’âme » ou « la personne » qu’il a donné à chaque homme. […]

Dans cette perspective, l’amour chrétien est parfois l’opposé de l’activisme social, si souvent identifié au christianisme. Pour un « activiste social » l’objet de l’amour n’est pas la personne, mais l’homme, l’unité abstraite d’une non moins abstraite humanité. Pour le christianisme, l’homme peut être objet d’amour parce qu’il est une personne. Là, la personne est réduite à l’homme ; ici, l’homme est considéré uniquement en tant que personne. L’activisme social n’a aucun intérêt pour le « personnel » et le sacrifie aisément au « bien commun ». […] L’activisme social est toujours « futuriste » dans ses perspectives ; il agit toujours au nom d’une justice, d’un ordre, d’un bonheur futur à réaliser. Le christianisme se préoccupe peu d’un avenir hypothétique, mais il donne toute l’importance au « maintenant », comme le seul temps décisif pour aimer. […]

La parabole du Jugement dernier traite de l’amour chrétien. […] Nous savons que, si des hommes sont en prisons, ont faim et soif, c’est parce que cet amour personnel leur a été refusé. Enfin nous savons que, si étroit et limité que soit le cadre de notre existence, chacun de nous a été rendu responsable d’une petite partie du Royaume de Dieu, rendu responsable par le don même de l’amour du Christ. Oui ou non, avons-nous accepté cette responsabilité ? […]

Extraits des textes du triode

Première stichère de lucernaire :

Quand Tu viendras faire le juste Jugement sur le siège de ta gloire, très juste Juge * un fleuve de feu terrifiant entraînera tous les êtres devant ton Trône[2] * Les puissances célestes et les hommes jugés chacun selon ses œuvres * dans la crainte T’entoureront * Alors épargne nous, Christ, donne nous la part des sauvés, en Ta miséricorde * Nous Te supplions dans la foi.

Stichère de la litie :

Nous qui connaissons les commandements du Seigneur * menons en eux notre vie * Nourrissons ceux qui ont faim, donnons à boire à ceux qui ont soif * revêtons ceux qui sont nus, recevons les étrangers * visitons les malades et ceux qui sont dans les prisons * afin que nous dise Celui qui viendra juger toute la terre * Venez les bénis de mon Père, hériter le Royaume préparé pour vous.

Kondakion :

Lorsque Tu viendras, Dieu, dans la gloire sur la terre et que tremblera l’univers * un fleuve de feu emportera tout devant le Trône * les livres seront ouverts et les secrets seront révélés * Alors délivre moi du feu qui ne s’éteint pas * et donne moi d’être à ta droite, très juste Juge.

Première stichère des laudes :

Je songe à ce jour et à cette heure * où nus et comme des condamnés nous devrons tous comparaître devant le Juge intègre * Alors sonnera la grande trompette * trembleront les fondements de la terre et les morts ressusciteront des tombeaux * tous n’auront plus qu’un même âge et leurs secrets seront devant Toi * Ceux qui jamais ne se sont repentis seront retranchés et renvoyés pleurant dans le feu extérieur * Mais l’héritage des justes exultera dans la joie * il entrera dans la demeure du ciel.

Évangile du Jugement dernier

(Mt XXV,31-46)

En ce temps-là, Jésus déclara : « Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs ; et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ? Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi ? Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. Ils répondront aussi : Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim, ou ayant soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et ne t’avons-nous pas assisté ? Et il leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites. Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle. »

Les temps derniers[3]

[…]
Devant le tribunal du Christ et de ses Saints, la liberté de chacun sera sauvegardée. Chaque homme verra clairement toutes ses actions passées, ses pensées, ses sentiments. Les hommes se connaîtront aussi totalement les uns les autres. La Justice divine fera clairement apparaître la valeur de chacun, c’est-à-dire son repentir et son humilité devant le Dieu Juge et son adhésion à Dieu qui est notre Défenseur. Il ne faut pas comprendre le résultat de ce jugement comme une punition ou une récompense : il s’agira du fruit juste et nécessaire produit par la vie de chacun. Dès notre vie présente, nous devons faire mûrir ce fruit et ressentir dans notre cœur les prémices du Royaume des Cieux.

Toutes les facultés trouveront leur plénitude dans le Royaume futur. De nombreux docteurs de l’Église parlent de la Béatitude comme d’un progrès continu dans l’union avec Dieu et avec les créatures qui reflètent Sa beauté et Son image. L’éternité apparaît comme une éternelle nouveauté, un émerveillement toujours renouvelé. Quant à la condamnation, on pourrait dire qu’elle vient de l’homme lui-même : tous les hommes seront plongés dans l’amour divin, car « Dieu sera tout en tous ». Mais ceux qui refusent de s’ouvrir à cet amour par le repentir et l’humilité le ressentiront comme un feu qui consume au lieu de restaurer. St Isaac dit à ce propos de « regret de l’amour offensé ».

Dans le siècle futur, une unité absolue s’établira entre l’état intérieur, spirituel de l’homme, et son état extérieur, dans la souffrance ou la béatitude.

Les premiers chrétiens attendaient avec impatience le Retour du Seigneur. Telle doit être également notre attitude, si notre amour pour Lui est véritable, car « l’amour véritable ne connaît pas la crainte ». Cet amour et cette impatience, joints à la pénitence, doivent déterminer notre vie entière. Les écrits du Nouveau Testament s’achèvent sur l’appel : « Viens, Seigneur Jésus »[4].

De la pensée de la Mort[5]

Les premiers chrétiens attendaient le retour imminent du Seigneur, et ce sentiment imprégnait profondément leur vie et leur permettait de relativiser les choses du “monde” en face du Royaume. L’Église enseigne que garder constamment le sentiment que nous pouvons nous présenter devant le Seigneur d’un instant à l’autre, ce que les Pères appellent “souvenir de la Mort”, “pensée de la Mort”, est une arme puissante pour nous inciter à secouer la torpeur de notre âme. Ce sentiment n’est pas un sentiment morbide, et il ne doit surtout pas le devenir, mais il est le premier pas vers humilité et la reconnaissance de notre impuissance à nous sauver par nous-mêmes. Transformé petit à petit par la Grâce, il devient un sentiment joyeux de l’attente de la rencontre avec Celui qu’on aime, comme l’évoque le parabole des dix vierges chargées d’attendre l’Époux[6]. (ndlr)

1. La pensée précède nécessairement les paroles qui l’expriment. C’est ainsi que la pensée de la mort et le souvenir des péchés précédent les larmes et les gémissements que l’une et l’autre font répandre ; c’est pourquoi nous allons parler de ces deux choses dans ce lieu, selon leur ordre et leur rang.

2. Ainsi nous disons que la pensée de la mort est une espèce de mort quotidienne, et que le souvenir de notre dernière heure est un gémissement continuel.

3. Ce fut la désobéissance de l’homme, qui donna naissance à la crainte de la mort, et c’est pour cette raison que la crainte de la mort nous est devenue, en quelque sorte, naturelle. Mais savez-vous ce que nous démontre cette crainte ? C’est que notre âme n’est pas parfaitement lavée ni purifiée par les larmes et les austérités de la pénitence.

4. Le Christ, pour nous apprendre qu’il est Dieu et homme tout ensemble, et pour nous enseigner que les attributs de la nature divine et de la nature humaine sont son partage, s’est effrayé à la vue de la mort ; mais ce divin Sauveur ne l’a pas redoutée.

5. Or, comme de tous les aliments dont nous nourrissons nos corps, c’est le pain qui nous est le plus nécessaire ; de même, de toutes les choses qui doivent nourrir et faire vivre notre âme, rien ne lui est plus nécessaire que le souvenir et la pensée de la mort.

6. C’est la pensée de la mort qui a fait embrasser aux moines qui vivent en communauté, tous les travaux et toutes les austérités de la pénitence ; c’est elle qui leur fait aimer avec délices les mépris et les humiliations ; c’est encore la pensée de la mort qui fait que les solitaires qui vivent dans les déserts et loin de tout tumulte, ont généreusement renoncé à tout soin pour les choses présentes, afin de se consacrer uniquement aux saints exercices de la prière et de la méditation, et de veiller assidûment sur leur esprit et sur leur cœur. Or ces vertus sont également filles et mères de la pensée de la mort.

7. Mais observons ici que, bien que l’étain ait beaucoup de ressemblance avec l’argent, on le distingue néanmoins facilement, si on le rapproche de ce dernier métal ; de même ceux qui ont quelque expérience dans les choses qui regardent le salut, savent bien mettre une différence essentielle entre la crainte de la mort produite par un sentiment et un mouvement de la nature, et la crainte de la mort causée par l’impression de la grâce.

8. La preuve certaine et indubitable que nous craignons la mort par un mouvement de la grâce, c’est lorsque cette crainte nous porte à nous dépouiller de toute affection pour les choses créées, et nous fait renoncer parfaitement à notre propre volonté.

9. Il est louable de penser tous les jours à la mort, comme si chaque jour elle devait nous frapper ; mais c’est une marque de sainteté, de la désirer et de l’attendre.

10. Gardons-nous cependant de croire que tout désir de la mort soit bon et salutaire : car il en est qui souhaitent la mort, parce qu’ils se voient, par des penchants qu’ils n’ont pas encore pu vaincre entièrement, et par des habitudes dont il ne leur a pas été possible de se corriger parfaitement, exposés sans cesse à faire de nouvelles chutes et de nouveaux péchés ; il en est d’autres qui ne désirent la mort que par un mouvement de désespoir : ce sont des gens qui ne veulent pas faire pénitence ; il en est encore d’autres qui appellent la mort, parce qu’ils se croient affranchis de la servitude de leurs passions, et qu’ils sont parvenus à l’impassibilité ; enfin il en est d’autres qui, mus et conduits par le mouvement et les lumières du Saint-Esprit, désirent de sortir de ce monde. Mais ces derniers sont bien rares.

11. Quelques-uns sont en peine, et voudraient savoir pourquoi Dieu, vu que la pensée de la mort est si salutaire, n’a pas voulu que nous connaissions le moment où elle doit nous frapper. Mais ces personnes ne considèrent pas que Dieu, en Se conduisant de la sorte, n’a eu en vue que le plus grand intérêt de notre salut. En effet, si l’heure de la mort était connue, quel serait, parmi les hommes, celui qui s’empresserait de recevoir le baptême, de se convertir et d’embrasser la vie religieuse ? Hélas ! La plupart passeraient leur vie dans le crime ; et ce ne serait qu’à la dernière heure, qu’ils penseraient à recourir aux eaux saintes du baptême ou de la pénitence.

12. Vous qui pleurez vos péchés, gardez-vous bien des ruses du démon : il cherchera à vous tromper, en vous inspirant que Dieu est bon et miséricordieux. C’est une vérité que nous ne devons savoir que pour nous préserver du désespoir ; mais le démon, en vous la suggérant, veut par là bannir de votre cœur l’horreur et la douleur de vos péchés, et vous faire perdre la crainte de Dieu, laquelle, seule, donne la véritable sécurité.

13. Savez-vous à qui l’on doit comparer ceux qui, voulant nourrir dans leur âme la pensée de la mort et le souvenir du jugement dernier, ne laissent pas de s’embarrasser dans toute sorte de soins et d’occupations profanes ? Comparez-les hardiment à des personnes qui prétendraient nager sans avoir les pieds et les mains en liberté.

14. La pensée de la mort, que nous devons regarder pour véritable et efficace, c’est celle qui éteint en nous l’intempérance ; car, une fois qu’on a triomphé de cette passion, on en vient à facilement triompher les autres.

15. L’insensibilité du cœur produit l’aveuglement dans une âme ; mais la multitude des viandes fait tarir entièrement la source des larmes ; et la soif, la faim et les veilles affligent le cœur ; mais un cœur affligé et mortifié selon Dieu répand des larmes abondantes et salutaires. Sans doute, ces vérités paraîtront dures à ceux qui aiment la bonne chère, et impraticables à ceux qui vivent dans les bras de la paresse, mais un cœur fervent et généreux les goûtera et les pratiquera avec joie ; et par l’habitude qu’il en aura acquise, il y sera fidèle avec une indicible facilité. Celui qui ne cherchera à les connaître que pour en parler, n’y trouvera que peine et tristesse.

16. Comme nos pères enseignent communément que la charité parfaite est exempte de chute, je dis de même que la parfaite méditation de la mort est exempte de toute crainte.

[…]

Notes

[1] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine

[2] Pour les Pères, c’est le même fleuve de Feu qui entourera tous les hommes, fleuve de l’Amour divin, joie et délice pour ceux qui l’ont espéré, sensation douloureuse pour ceux qui le rejettent.

[3] Catéchisme Orthodoxe, Mgr Alexandre (Semenoff-Tian-Chansky, YMCA Press

[4] Ap 22, 20

[5] St Jean Climaque, L’échelle sainte, sixième degré.

[6] Mt 25, 1-13. Thème qui reviendra régulièrement durant les offices du carême.

samedi 16 mars 2013

Grand carême - dimanche d'Adam chassé du Paradis

ODT

Extrait : « Le grand Carême[1] »

Dans l’Église Orthodoxe, le dernier dimanche avant le Grand Carême – jour où lors des Vêpres, on annonce et inaugure officiellement le Carême – ce dimanche est appelé Dimanche du Pardon. Le matin de ce dimanche-là, durant la Divine Liturgie, nous entendons les paroles du Christ :

Car, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste aussi vous les pardonnera; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus[2].

Ensuite après les Vêpres – après y avoir entendu l’annonce du Carême dans le Grand Prokimenon :

Ne détourne pas Ta Face de Ton serviteur, car je suis dans l’affliction; hâte-Toi de m’exaucer * Prête attention à mon âme et délivre-la ![3]

après avoir fait notre entrée dans la liturgie du Grand Carême, avec ses commémorations spéciales, avec la prière de saint Éphrem le Syrien, avec ses prosternations – nous nous demandons pardon les uns les autres, nous accomplissons le rite du pardon et de la réconciliation. Et pendant que nous nous adressons les uns les autres les paroles de réconciliation, le chœur entonne les hymnes de Pâques, remplissant l’église de l’anticipation de la joie Pascale.

Quelle est la signification de ce rite ? Pourquoi est-ce que l’Église veut que nous commencions la période du Carême par le pardon et la réconciliation ? Ces questions ont du sens, parce que pour beaucoup trop de gens, le Grand Carême signifie principalement, et quasiment exclusivement, un changement de régime alimentaire, la conformité avec les règles ecclésiales concernant le jeûne. Ils comprennent le jeûne comme une fin en soi, comme une “bonne action” requise de la part de Dieu et portant en elle-même son mérite et sa récompense. Mais l’Église n’épargne aucun effort pour nous révéler que jeûner n’est qu’un moyen, un parmi beaucoup d’autres, pour parvenir à un but bien plus élevé : le renouvellement spirituel de l’homme, son retour à Dieu, la véritable repentance, et dès lors, la véritable réconciliation. L’Église déploie tous les efforts possibles pour nous mettre en garde contre un jeûne hypocrite et pharisaïque, contre la réduction de la religion à quelques simples obligations externes. Comme le dit une hymne de Carême :

En vain te réjouis-tu à ne pas manger, Ô âme ! Car tu t’abstiens de nourriture, Mais n’es pas purifiée des passions. Si tu persévère dans le péché, tu auras jeûné pour rien.

Le pardon se trouve au centre même de la Foi Chrétienne et de la vie Chrétienne parce que le Christianisme lui-même est, par dessus tout, la “religion” du pardon. Dieu nous pardonne, et Son pardon est en Christ, Son Fils, Qu’Il nous envoie, afin qu’en partageant Son humanité, nous puissions partager Son amour et être vraiment réconciliés avec Dieu. En effet, le Christianisme n’a pas d’autre contenu que l’amour. Et c’est en premier lieu le renouvellement de cet amour, le retour à cet amour, la croissance en cet amour, que nous recherchons dans le Grand Carême, en jeûnant et priant, dans tout l’esprit et tout l’effort de cette période. C’est donc de manière appropriée que le pardon est à la fois le commencement et la condition même pour la période du Carême.

L’on pourrait objecter : pourquoi devrais-je accomplir ce rite, alors que je n’ai pas “d’ennemis” ? Pourquoi devrais-je demander pardon à des gens qui ne m’ont rien fait et que je ne connais qu’à peine? Poser ces questions, c’est méconnaître l’enseignement Orthodoxe au sujet du pardon. Il est vrai que l’inimitié ouverte, la haine personnelle, la réelle animosité peuvent être absents de notre vie, quoique si nous en faisions l’expérience, il nous serait plus facile de nous repentir, car ces sentiments contredisent ouvertement les divins Commandements. Mais l’Église nous révèle qu’il y a des manières bien plus subtiles d’offenser l’Amour Divin. C’est l’indifférence, l’égoïsme, le manque d’intérêt pour autrui, du vrai souci pour eux – en bref, ce mur que nous érigeons habituellement autour de nous-mêmes, pensant qu’étant “polis” et “amicaux”, nous accomplissons les Commandements de Dieu. Le rite du pardon est si important précisément parce qu’il nous fait prendre conscience – fut-ce au moins une minute durant – que toute notre relation à autrui est faussée, il nous fait expérimenter cette rencontre d’un enfant de Dieu avec un autre, d’une personne créée par Dieu avec une autre, il nous fait ressentir la “reconnaissance” mutuelle qui manque si terriblement dans notre monde froid et déshumanisé.

En ce soir unique, tout en écoutant les joyeuses hymnes Pascales, nous sommes appelés à faire une découverte spirituelle : goûter à un autre mode de vie et de relation à autrui, à une vie dont l’essence c’est l’amour. Nous pouvons découvrir que partout et toujours, Amour Divin Incarné, le Christ Se tient au milieu de nous, transformant notre aliénation mutuelle en fraternité. En m’avançant vers l’autre, alors que l’autre vient vers moi – nous commençons à réaliser que c’est le Christ Qui nous amène l’un vers l’autre, par Son amour pour chacun d’entre nous.

Et parce que nous faisons cette découverte – et parce que cette découverte est celle du Royaume de Dieu en lui-même, le Royaume de Paix et d’Amour, de réconciliation avec Dieu et, en Lui, avec tout ce qui existe – nous entendons les hymnes de cette Fête, qui une fois par an “nous ouvrent les portes du Paradis.” Nous savons pourquoi nous allons jeûner et prier, nous savons ce que nous allons chercher durant ce long pèlerinage du Grand Carême. Le dimanche du Pardon: le jour où nous acquérons le pouvoir pour accomplir notre jeûne – le véritable jeûne; notre effort – l’effort vrai ; notre réconciliation avec Dieu – l’authentique réconciliation.

Extraits des textes du triode

Stichères du Lucernaire :

Tous efforçons nous par la tempérance de rendre humble la chair * en traversant le stade divin du jeûne * Dans les prières et les larmes, recherchons le Seigneur qui nous sauve * Oublions profondément la malice et appelons * Nous avons péché contre Toi, Christ, Roi, sauve nous comme les Ninivites * et ouvre nous le Royaume céleste en ta miséricorde.

Considérant mes œuvres dignes de tout châtiment * Seigneur, je désespère de moi-même * Car j’ai transgressé, Sauveur, tes ordres vénérables en dépensant ma vie dans le désordre * je Te prie, purifie moi sous les pluies du repentir * Illumine moi dans le jeûne et la prière, seul Compatissant * Ne me rejette pas, Dieu qui combles de biens l’univers en ta bonté infinie.

De Théodore : Commençons joyeusement le temps du jeûne. Menons les combats de l’Esprit * Faisons l’âme chaste et purifions la chair * Livrons nous au jeûne des nourritures et de toute passion * Et jouissons des vertus de l’Esprit * Persévérant en elles dans notre désir, puissions nous être dignes de voir la Passion toute vénérable du Christ notre Dieu * et dans la joie spirituelle la sainte Pâque.

Épître du saint apôtre Paul aux Romains

(Ro XIII,11-XIV,4)

Frères, le salut est désormais plus près de nous qu’au temps où nous avons cru. La nuit s’avance, le jour est proche. Laissons là les œuvres de ténèbres et revêtons les armes de lumière. Comme en plein jour, conduisons-nous avec dignité : point de ripailles ni d’orgies, pas de luxure ni de débauche, pas de querelles ni de jalousies. Mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ, et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises. Envers celui qui est faible dans la foi, soyez accueillants, sans vouloir discuter des opinions. Tel croit pouvoir manger de tout, tel autre n’a pas cette force et poursuit sa diète de végétarien. Que celui qui mange de tout ne méprise pas l’abstinent, et que l’abstinent ne juge pas celui qui mange de tout, puisque Dieu l’a reçu. Toi, qui es-tu pour juger le serviteur d’autrui ? Qu’il demeure ferme ou qu’il tombe, cela ne regarde que son maître. D’ailleurs il restera ferme, car le Seigneur a le pouvoir de le soutenir.

Évangile selon Saint Matthieu

(Mt VI,14-21)

En ce temps-là, le Seigneur dit : « Si vous pardonnez leurs fautes aux hommes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos fautes. Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se prennent une mine défaite, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage, afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais seulement à ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Ne vous amassez pas de trésors sur la terre, où les vers et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent ; mais amassez-vous des trésors dans le ciel où ni les vers ni la rouille ne détruisent, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent : car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »

Stichères de Pâque

Après la prière lue par le prêtre et le rite du pardon, pendant lequel le chœur chante à voix basse les Stichères de Pâques – ton 5 :

Que Dieu se lève et ses ennemis seront dispersés.

Pâque, une Pâque sainte nous est apparue aujourd’hui, * Pâque nouvelle et sainte, * Pâque mystérieuse, * Pâque très vénérable, * Pâque, le Christ libérateur, * ô Pâque immaculée, * Pâque très grande, * Pâque des croyants, * Pâque qui nous ouvre les portes du Paradis, * Pâque qui sanctifie tous les fidèles.

Qu’ils se dissipent comme la fumée.

Femmes annonciatrices de la bonne nouvelle * revenez de votre vision et dites à Sion : * Reçois de nous la bonne et joyeuse nouvelle * de la Résurrection du Christ. * Exulte de joie * et réjouis-toi, Jérusalem, * voyant le Christ Roi * sortir du tombeau comme un époux.

Qu’ainsi périssent les pécheurs devant la Face de Dieu, que les justes soient dans la joie.

Portant des aromates, * de grand matin, * les femmes accourent au tombeau du Donateur de vie * et trouvent assis sur la pierre * un ange qui leur dit : * Pourquoi chercher parmi les morts le Vivant, * pourquoi pleurer l’Incorruptible ? * Allez porter la bonne nouvelle à ses disciples.

Ce jour, le Seigneur l’a fait, soyons dans la joie et dans l’allégresse.

Ô belle Pâque, * Pâque, * Pâque du Seigneur, * Pâque très vénérable qui brille sur nous, * Pâque, embrassons-nous les uns les autres dans la joie, * ô Pâque, c’est le terme de toute tristesse, * car du tombeau aujourd’hui, * comme d’un palais nuptial, * le Christ resplendit. * Il a rempli de joie les femmes en disant : * Allez l’annoncer aux apôtres.

Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit, et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

C’est le jour de la Résurrection, * soyons illuminés par le triomphe, * embrassons-nous les uns les autres, * disons : “Frères”, * même à ceux qui nous haïssent ; * pardonnons tout dans la Résurrection * et ainsi chantons : * Le Christ est ressuscité des morts, * par la mort Il a vaincu la mort ; * à ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie.

Puis une fois :

Le Christ est ressuscité des morts, * par la mort Il a vaincu la mort ; * à ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie.

Notes

[1] Père Alexandre Schmemann, traduit par St Materne d’après cette source. Ce texte rare, ne fait pas partie du Grand Carême, le livre édité par Bellefontaine.

[2] Mt 6,14-15

[3] Ps 68,18-19

samedi 23 mars 2013

Grand carême - dimanche du triomphe de l'Orthodoxie

ODT

Mandilion - 12e siècleAvec les dimanches de pré-carême :

  • dimanche de Zachée
  • dimanche du publicain et du pharisien
  • dimanche du fils Prodigue
  • dimanche du Jugement dernier
  • dimanche d’Adam chassé du Paradis

l’Église nous a exposé le chemin qu’Elle nous propose de suivre. Et c’est bien normal de savoir où l’on va et comment y aller, avant de s’engager dans un long et difficile voyage. Mais durant le grand Carême, c’est d’encouragements dont nous avons besoin et chaque dimanche, l’Église nous montre un aspect des fruits que l’on récolte en parcourant ce chemin spirituel qui nous amène à Pâque :

  • dimanche du triomphe de l’Orthodoxie
  • dimanche de St Grégoire Palamas
  • dimanche de la Croix
  • dimanche de St Jean Climaque
  • dimanche de Ste Marie l’Égyptienne

L’Icône : Et le Verbe s’est fait chair[1]

En ce premier des cinq dimanches du Carême pascal — dimanche du triomphe de l’orthodoxie —, l’Église consacre la victoire de la vérité Orthodoxe sur les iconoclastes, avec le rétablissement de la vénération des icônes, et plus généralement, la victoire de la vérité sur toutes les erreurs doctrinales. Et le thème de ce dimanche est la restauration de l’Image de la Gloire de Dieu en nous. Mais cette restauration n’est possible que par l’Incarnation du Christ, et comme le rappelle St Jean Damascène[2] :

Comment faire une image de l’Invisible ? Comment représenter les traits de ce qui n’est à nul autre pareil ? Comment représenter ce qui n’a ni quantité, ni grandeur, ni limites ? Si tu as compris que l’Incorporel s’est fait homme pour toi, alors c’est évident, tu peux exécuter son image humaine. Puisque l’Invisible est devenu visible en prenant chair, tu peux exécuter l’image de celui qu’on a vu. Puisqu’il s’est réduit à la quantité et à la qualité et s’est revêtu des traits humains, grave donc sur le bois et présente à la contemplation celui qui a voulu devenir visible.

Les Pères de l’Église vont plus loin en affirmant que celui qui ne comprend pas la vénération (pas l’adoration qui s’adresse uniquement à Dieu) due à la Croix, aux icônes, aux reliques, aux Saints, n’a pas compris toutes les implications de l’Incarnation du Christ : nous sommes sauvés corps et âme et la sanctification de notre âme se propage dans la création.

Extraits des textes du triode

Tropaire du jour :

Dieu bon, nous vénérons ta sainte icône * demandant le pardon de nos fautes, Christ, Dieu * Tu as voulu monter sur la croix dans la chair * pour délivrer de l’esclavage de l’ennemi ceux que Tu as créés * Nous Te rendons grâce et Te chantons * Tu as empli de joie l’univers, notre Sauveur venu sauver le monde.

La Parole devenue Visage

« Fais-moi voir ta Gloire ! » Cette imploration de Moïse résume bien le désir des hommes à travers les siècles : voir la face de Dieu. Mais comment penser l’Illimité, l’Intemporel, en un mot l’Invisible, sans en faire une caricature et tomber dans l’idolâtrie ? D’où l’interdiction formelle, omniprésente dans l’Ancienne Alliance : « Tu ne te feras pas d’images. »

Et le Verbe s’est fait chair. La Parole prend Visage ! Celui que les prophètes ont annoncé et qui s’est manifesté à maintes reprises dans l’histoire humaine se laisse circonscrire dans un corps, se soumet à l’espace et au temps, unit sans mélange et sans confusion sa divinité à notre humanité. En Jésus-Christ, le Père se révèle aux hommes de tous les temps, donne à voir le Visage de la Deuxième personne de la Tri-Unité sainte.

Cette incarnation de Dieu dans l’histoire permet dès lors de circonscrire son image divino-humaine par la forme et les couleurs sur une planche de bois et sur tout support matériel approprié. Il revient à cette image mystérique de témoigner de l’hominisation de l’Émmanuel : Dieu avec nous. L’icône est née !

Mais il ne suffit pas de naître, encore faut-il grandir et atteindre la maturité. L’icône s’élabore au fil des siècles marqués par de sanglants affrontements entre partisans et détracteurs, qui y perçoivent des enjeux vitaux pour la vie des chrétiens. La victoire de ses défenseurs en 843 est à marquer d’une pierre blanche : triomphe de l’orthodoxie, c’est-à-dire de la foi juste, cette victoire est commémorée chaque année par les fidèles orthodoxes le 1er dimanche de carême.

Élaborée dans l’Eglise indivise, l’icône a poursuivi son développement dans l’Église orthodoxe qui en est ainsi la gardienne. Expression la plus vraie de sa liturgie, de sa vision cosmique marquée par la présence du Ressuscité, l’icône en est l’image liturgique. Elle en réfléchit la foi, écho des textes sacrés utilisés dans les divers offices au cours de l’année. C’est assez dire que peindre une telle image ne s’improvise pas. L’iconographe digne de ce nom a pour vocation de vivre en symbiose avec ce vécu liturgique, faute d’en trahir le message. Dans les visages tracés sur la planche, chaque trait doit tendre à exprimer l’Indicible dans le respect de la Tradition qui puise son dynamisme dans une Pentecôte toujours renouvelée : pour représenter le Feu sans se brûler, il faut y communier intensément !

Icône par excellence, l’icône du Christ interpelle, remémore, s’adresse au cœur plus qu’à l’esprit ; purifié, celui-ci peut descendre dans le cœur pour que l’Éternel y dresse sa tente. L’icône ne se raconte pas, elle se vit comme se vit toute rencontre authentique avec le Christ qui réchauffe le cœur par sa présence, comme autrefois sur le chemin d’Emmaüs. L’icône parle de la création qui fournit sa matière et les matériaux servant à sa réalisation. Son rapport au temps est paradoxal. D’un côté, elle extrait du temps, introduit dans le Royaume mystériquement présent. De l’autre, elle permet une rentrée dans le temps qui, réinventé, ouvre au regard une dimension nouvelle de la création pénétrée des énergies divines, laisse percevoir en chaque homme créé à l’image de Dieu une invitation à ressembler au Christ, à devenir icône.

Témoignage de l’Incarnation et de la présence cosmique du Christ depuis le matin de Pâques, l’icône anticipe déjà son retour dans le face à Face qu’elle instaure. Elle manifeste aussi à nos yeux de chair le monde invisible des puissances célestes et la nuée des élus de tous les temps, hommes et femmes transfigurés par leur pleine participation à la divino-humanité du Ressuscité. Le visage du Christ récapitule en lui tous les visages appelés à lui ressembler !

La Mère de Celui que les chrétiens confessent «vrai Dieu et vrai homme» est appelée Theotokos : celle qui a enfanté Dieu. Jamais représentée isolément dans l’icône, elle présente le plus souvent le Sauveur du monde. Première de cordée dans la grande famille humaine, c’est le corps de son âme que le Maître de la Vie vient recueillir dans l’icône de la Dormition (fête le 15 août), image de ce qui attend chaque serviteur fidèle au terme de son périple terrestre.

Théologie en couleur, image liturgique de l’Église orthodoxe, l’icône est intemporelle parce qu’elle représente l’Intemporel. Transparence, lumière, chaleur, douloureuse joie sont ses attributs. Présence silencieuse dont le hiératisme extérieur cache une dynamique interne, elle est un seuil qu’il revient à chacun de franchir pour que s’établisse la relation à Dieu. Elle est enfin un appel à la conversion par laquelle l’œil du cœur purifié s’ouvre à une vision seconde : c’est le monde transfiguré.[3]

Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux

(Hb XI,24-26,32-XII,2)

Frères, à cause de sa foi, Moïse, « devenu grand », refusa d’être appelé fils d’une fille de Pharaon, aimant mieux être maltraité avec le peuple de Dieu que de connaître l’éphémère jouissance du péché : tel un bien supérieur aux trésors de l’Egypte lui parut « l’opprobre du Christ », car il avait les yeux fixés sur la récompense. Et que dire de plus ? Car le temps me manquerait si je voulais parler en détail de Gédéon, de Barak, de Samson et de Jephté, de David ainsi que de Samuel et des Prophètes, eux qui, grâce à leur foi, conquirent des royaumes, exercèrent la justice, obtinrent l’accomplissement des promesses, fermèrent la gueule des lions, éteignirent la violence du feu, échappèrent au tranchant du glaive, tirèrent force de leur faiblesse, montrèrent leur vaillance au combat, mirent en fuite des armées d’étrangers. Par la foi, certains ont ressuscité pour des femmes leur enfant mort ; d’autres se sont laissé torturer, refusant leur délivrance afin d’obtenir une meilleure résurrection. D’autres encore ont subi la dérision, les coups de fouet, en plus des chaînes et de la prison. On les a lapidés, sciés, torturés, livrés par le glaive à la mort. Ou bien, ils durent aller çà et là, sous des toisons de chèvres ou des peaux de moutons, dénués, opprimés, maltraités. Eux, que le monde n’était pas digne d’accueillir, ils ont erré dans les déserts et sur les monts, habitant les cavernes, les trous de la terre. Néanmoins, tous ceux-là, tous ces martyrs de la foi, n’ont pas bénéficié de ce que Dieu avait promis, puisqu’il avait prévu pour nous un sort meilleur, afin qu’ils ne puissent pas sans nous parvenir à la perfection. Voilà donc pourquoi, nous aussi, entourés que nous sommes d’une si grande foule de témoins, débarrassons-nous de tout ce qui nous alourdit, et d’abord du péché qui nous entrave ; alors, nous pourrons courir avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine de notre foi et qui la mène à son ultime perfection.

Lecture de l’Évangile selon Saint Jean

(Jn I,43-51)

Le lendemain (du jour où Il avait nommé Simon Pierre), Jésus résolut de se rendre en Galilée. Il trouve Philippe et lui dit : « Suis-moi ! » Philippe était de Bethsaïda, la ville d’André et de Pierre. Il va trouver Nathanaël et lui dit : « Celui dont ont écrit Moïse, dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l’avons trouvé : c’est Jésus, le fils de Joseph, celui de Nazareth ». Et Nathanaël lui dit : « De Nazareth peut-il venir quoi que ce soit de bon ? » Philippe lui dit : « Viens et vois ! » Jésus vit Nathanaël venir vers lui et dit à son sujet : « Voici un véritable Israélite : il n’y a pas de ruse en lui. » Nathanaël lui dit : « D’où me connais-Tu ? » et Jésus de répondre : « Avant même que Philippe ne t’appelât, quand tu étais sous le figuier, Je t’ai vu. » Nathanaël lui répondit : « Rabbi, Tu es en vérité le Fils de Dieu, Tu es le roi d’Israël ! » Jésus lui répondit : « Parce que Je t’ai dit que Je t’ai vu sous le figuier, tu as la Foi ? Tu verras bien plus que cela ! » Et Il lui dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’Homme ! »

Homélie de Mgr Joaquim Giosanu, 1995

Nous célébrons aujourd’hui le premier des cinq dimanches du Carême pascal, appelé dimanche du triomphe de l’orthodoxie, car il consacre la victoire de la vérité orthodoxe sur les iconoclastes, avec le rétablissement de la vénération des icônes, et plus généralement, la victoire de la vérité sur toutes les erreurs doctrinales.

Le passage de l’évangile, offert aujourd’hui à notre méditation, ne semble pas, à première vue, avoir un rapport direct avec la vénération des icônes ou avec la fidélité à l’égard de la vérité. Le thème principal en est la rencontre de l’homme avec le Seigneur. C’est la rencontre de l’apôtre Philippe et celle de Nathanaël avec le Christ. Nathanaël, dès qu’il rencontre le Christ, reconnaît en lui le visage du Fils de Dieu l’icône du Père : “Rabi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d’Israël”, nous voyons ainsi apparaître le thème de ce jour.

Le but même de la venue du Christ sur la terre est de restaurer cette image de Dieu tout d’abord dans le Christ lui même et ensuite en tout homme. “Jésus s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu”. Dieu a versé de son amour pour que l’homme vive cette dimension d’amour en lui-même et avec autrui. Dieu vient pour restaurer cet amour dans l’homme, restaurer l’image de Dieu en chaque homme sur la terre. Pour que cela soit possible, il faut tout d’abord que nous reconnaissions dans le Verbe de Dieu l’image de Dieu qui se rend visible pour restaurer l’image de Dieu dans l’homme, image pervertie par le péché. Restaurer cette image signifie la rendre visible, rayonnante, nettoyer tout ce qui l’empêche de briller et de transparaître.

Comme vous le savez, pour restaurer une icône il faut enlever minutieusement, centimètre par centimètre toutes les saletés afin de retrouver la couche de peinture primitive.

De la même façon l’homme doit renouveler l’icône qui est dans son être et la rendre brillante et digne d’avoir en face d’elle l’icône du Fils de Dieu, icône de la Sainte Trinité.

L’Orthodoxie que nous fêtons aujourd’hui n’est rien d’autre que cette plénitude de vie divine qui nous est offerte et que nous devons tout d’abord accueillir en nous, comme une semence. Nathanaël a mis l’image du Christ en son cœur et il a commencé à se transformer. Mettre le Christ en nous, c’est aussi le faire naître, le faire apparaître afin qu’il nous transforme, qu’il nous pénètre de sa douceur, de sa grâce. C’est cela l’Orthodoxie, c’est cette plénitude de la vie divine en nous, vie dans laquelle nous comprenons la parole de St Paul : “Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi” ou celle de St Jean le Baptiste : “Lui, il doit grandir et moi je dois diminuer”. C’est-à-dire que notre existence entière doit être un transfert constant, dans lequel le vieil homme en nous doit mourir et l’homme nouveau, le Christ doit naître, grandir, s’instaurer et siéger sur le trône divin qu’est notre cœur.

Cette Orthodoxie dont nous sommes porteurs nous en sommes également les témoins, car c’est en chacun de nous que s’opère ce lien d’amitié et d’amour avec Dieu, avec le Christ, dans la puissance du Saint Esprit.

Le mot d’ordre aujourd’hui est donc : grandir dans le Christ, non seulement personnellement, dans notre individualité propre, mais aussi tous ensemble, car l’Orthodoxie c’est l’Église et l’Église ce n’est pas seulement cette communauté ici présente rassemblée dans le mystère du Christ, ce sont aussi les saints du passé et du présent, ce sont les défunts, tous ceux qui se sont nourris du corps du Christ, tous ceux qui ont été abreuvés de son sang, tous ceux qui ont été immergés, baignés dans l’eau vive de l’Esprit Saint.

L’Église est cette totalité, cette plénitude dans laquelle tous les hommes sont appelés à entrer, à vivre. Les limites de l’Église sont un mystère, nous ne les connaissons pas, elles nous dépassent. Nous n’avons pas à juger, nous n’avons pas à enfermer qui que ce soit en dehors de l’Église. L’Église est là accueillante, appelant et invitant à rencontrer le Christ, à le découvrir et à lui faire allégeance.

L’orthodoxie devient alors une orthodoxie vivante, l’orthodoxie de notre communauté, liée à toutes les autres communautés de la terre et nous en témoignons, comme le faisaient les anciens chrétiens dont on disait : “regardez comme ils s’aiment”. L’amour des chrétiens non seulement entre eux dans la communauté, mais rayonnant en dehors de la communauté, était et doit être le signe véritable, le symbole, la vérification aussi de la vérité même de l’Église. Sans amour la vérité de l’orthodoxie est une vérité froide et morte.

Que Dieu nous aide à garder intacte l’orthodoxie que nous avons reçue de nos ancêtres et que nos enfants se réjouissent, eux aussi, de recevoir de nous, ce trésor inestimable qui nous plonge dan la vie éternelle.

Notes

[1] Jean 1, 14

[2] St Jean Damascène, La défense des icônes.

[3] Michel Quenot — Orthodoxe, professeur de langues modernes au gymnase de Bulle (Suisse), Michel Quenot est l’auteur de plusieurs livres sur les icône, L’icône, fenêtre sur l’Absolu (Cerf-Fides, 1991) et de La Résurrection et l’Icône, Mame, 1992, traduits en plusieurs langues.

samedi 30 mars 2013

Grand carême - dimanche de St Grégoire Palamas

ODT

St Grégoire Palamas

Homélie[1]

Les deux premiers dimanches de Carême, l’église ponctue notre effort de purification en mettant l’accent sur l’intégrité de la foi. Dimanche dernier, il s’agissait de la proclamation de la foi orthodoxe, telle qu’elle est formulée de manière définitive depuis le VIIIe siècle, de la foi des sept Conciles Œcuméniques, en particulier de la réalité de la nature humaine assumée par la Personne divine du Christ. Cela concerne aussi notre salut, car la réalité du salut est inséparable de la vérité de la foi. Les pères ont l’habitude de dire que ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé.

Aujourd’hui, le deuxième dimanche complète cette affirmation de la foi par les précisions apportées au XIVe siècle, et qui ont une valeur permanente pour notre vie spirituelle. C’est à Grégoire Palamas qu’il a été donné d’exprimer, en termes clairs, la foi de l’église à un moment où elle était menacée par la confusion avec la pensée humaniste de la Renaissance [occidentale], soutenue par Barlaam.

Je ne vais pas parler ici de la tradition hésychaste, ni de la doctrine des énergies incréées [c’est l’objet du podcast ci-dessous]. Je voudrais seulement retenir avec vous quelques arguments de Grégoire Palamas concernant l’articulation de la nature et de la Grâce. (Dans ce mot nature, il faut entendre la nature créée, notre nature humaine avec toutes ses facultés, ce que nous sommes en tant qu’êtres créés.)

Ces précisions du XIVe siècle gardent toute leur actualité en notre temps qui ignore la grâce de Dieu et qui met sa foi dans les capacités naturelles de l’homme, dans notre société où il faut être performant, avec un culte excessif du corps (être bien dans son corps…) et une absolutisation de la raison depuis le siècle des lumières.

Or les moyens naturels et nos propres capacités sont insuffisants pour nous assurer notre déification. « Porte-nous secours dans la tribulation, car le salut qui vient de l’homme est vanité » dit un psaume[2]. La nature créée a besoin de la grâce pour s’accomplir, pour se dépasser et devenir conforme à sa vocation qui est de participer à la nature divine.

Lorsque le Christ guérit le paralytique, dans l’évangile que nous venons d’entendre, Il ne se contente pas de la guérison physique, Il lui pardonne les péchés, Il le restaure dans son intégrité et dans sa vocation à la sainteté. La maladie du paralytique est un symbole de notre paralysie spirituelle. La paralysie spirituelle, n’est-ce pas d’être privé de la grâce ?

Et comment comprendre le commandement : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Soyez saints car Je suis saint. »[3] ? La nature humaine n’a pas sa perfection en elle-même, mais dans la communion avec Dieu, qui seul est Saint. La perfection, c’est lorsque la nature a revêtu la grâce de Dieu.  « Vous êtes le Temple de Dieu, votre corps est le Temple de l’Esprit Saint » dit l’Apôtre Paul[4]. « Le but de la vie chrétienne est l’acquisition du Saint Esprit » dit saint Séraphim de Sarov. Ignorer cela, rester dans l’autonomie d’une nature refermée sur elle-même, coupée de Dieu, c’est déjà le péché.

À la base, Grégoire distingue nettement entre don de nature et don de grâce. Par exemple la faculté de connaissance qui, « même si on en fait bon emploi, est un don de nature et non de grâce, que Dieu accorde à tous sans exception et que l’on peut développer par l’exercice. Le fait qu’il n’échoit à personne sans effort et sans exercice est une preuve évidente qu’il s’agit d’un don naturel et non spirituel. »[5]

À cela s’ajoute une complication : le péché qui pervertit nos facultés naturelles. « Aucune chose mauvaise n’est mauvaise en tant qu’elle est, mais en tant qu’elle s’est écartée de l’action qui lui est propre et de la fin qui lui est assignée. »[6]

Ainsi, la santé rendue au paralytique n’est une bonne chose que si elle est utilisée pour faire le bien, pour glorifier Dieu par sa vie. Si nous demandons la santé pour continuer à vivre dans le désordre ou pour mieux satisfaire nos convoitises, ce n’est plus une bonne chose.

C’est pourquoi il y a une purification et des renoncements nécessaires. Et Grégoire met à juste titre ces renoncements en relation avec la foi, l’espérance de la grâce divine et l’humilité. Voici un passage qui me semble tout à fait approprié pour ce temps de Carême : « Celui qui ne croit pas à ce grand mystère de la grâce nouvelle, celui qui ignore l’espérance de la déification, ne peut mépriser les plaisirs de la chair, l’argent, la richesse et la gloire humaine. Et s’il le peut pour un bref moment, c’est l’orgueil d’avoir déjà atteint la perfection qui prend place en lui et il retombe dans la catégorie des impurs. Celui qui désire cette espérance, même s’il a accompli toutes les bonnes actions, recherche la perfection plus que parfaite et infinie : il ne considère pas qu’il ait acquis quoi que ce soit et progresse ainsi dans l’humilité ; il pleure et s’écrie comme Isaïe : Malheur à moi ! Je suis impur, j’ai des lèvres impures et j’ai vu de mes yeux le Seigneur Sabaoth[7]. Mais ces larmes font progresser dans la purification et le Seigneur de la grâce y ajoute la consolation et l’illumination. »[8]

Par ailleurs, cette purification n’a rien à voir avec une mortification. Pour Grégoire Palamas, « seules les passions mauvaises doivent mourir. » En effet, lorsque l’Apôtre dit : Faites mourir les membres qui sont sur la terre,[9] il parle de l’impudicité, de l’impureté, de la cupidité et autres mauvaises passions[10].

Ni le corps, ni même la partie passionnée de l’âme, comme la puissance de désir et la combativité, ne sont à rejeter : « L’impassibilité ne consiste pas à faire mourir la partie passionnée de l’âme, mais à la transférer du mal vers le bien, à la diriger vers les choses divines. Car c’est le mauvais usage des puissances de l’âme qui engendre les passions. Mais si l’on s’en sert convenablement, on les fera agir en conformité avec le but que Dieu leur a proposé en les créant : avec l’appétit concupiscible, on embrassera la charité ; avec l’appétit irascible, on assumera la persévérance. »[11] « Il faut donc offrir à Dieu la partie passionnée de l’âme, vivante et agissante, afin qu’elle soit un sacrifice vivant, de même que nos corps, comme l’a dit l’Apôtre : Je vous exhorte, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu[12]. »[13]

C’est tout notre être qui a besoin de Dieu : « Mon âme a soif de Toi, ma chair Te désire… » dit encore un psaume.[14]

C’est aussi de tout notre être qu’il faut prier pour demander l’Esprit Saint. Grégoire cite ces paroles de l’Apôtre Paul : Priez en tout temps dans l’Esprit[15], ainsi que du Seigneur : Dieu ne refusera pas l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent[16], ou encore de la prophétesse Anne :  Dieu donne la prière à celui qui prie[17]. Et il ajoute : « Appliquons-nous à la prière continue, par nos actions, nos paroles et nos pensées, jusqu’à ce que nous recevions le don. »[18]

Alors, lorsqu’elle « reçoit les dons de l’Esprit », notre nature est régénérée, elle « devient différente de ce qu’elle était : nouvelle, déiforme, spirituelle… »[19]

Dans ces précisions sur les relations entre la nature et la grâce, Grégoire Palamas n’invente rien de nouveau, il réaffirme la conception chrétienne et biblique. Saint Paul n’exprime pas autre chose lorsqu’il oppose l’homme charnel à l’homme spirituel[20]. Il ne veut pas dire que la chair est mauvaise en elle-même. La chair, d’ailleurs, dans le langage biblique, ne désigne pas seulement ce qui est corporel en nous, mais tout ce que nous sommes en tant qu’êtres créés. Saint Paul n’oppose pas deux parties de l’homme : le corps qui serait voué au péché et l’âme qui seule appartiendrait à Dieu, mais deux orientations, deux mouvements contraires.

L’homme spirituel est celui qui se tourne vers Dieu pour recevoir l’Esprit Saint et agir selon l’Esprit Saint, tandis que dans l’homme charnel, l’humain reste livré à ses seules forces, coupé de sa relation à Dieu.

Tout cela fait bien sûr partie de notre prière quotidienne, par exemple dans de nombreux psaumes : « Ce n’est pas dans mes propres forces, mais dans le Seigneur, que je mets ma confiance et mon espérance. »[21] Mais souvent il y a une dichotomie entre notre prière et le reste de notre vie.

Les conceptions modernes ambiantes (un certain humanisme païen) présentent bien des affinités avec la pensée humaniste réfutée au XIVe siècle par Grégoire Palamas. Et comme elles ne sont pas sans générosité, on peut être tenté de considérer que les valeurs du monde et les valeurs de la religion se rejoignent. Or il y a un discernement à opérer entre les pensées du monde et les exigences de la vie spirituelle. Rendons grâces à Dieu de nous avoir donné des pères comme Grégoire Palamas pour nous rappeler comment rendre au monde ce qui appartient au monde et à Dieu ce qui appartient à Dieu.

Amen.

La théologie des énergies divines selon St Grégoire Palamas

“L’Église orthodoxe aujourd’hui”, émission du dimanche 21 novembre 2010. Bogdan-Florin Vlaïcu interroge Jean-Claude Larchet, patrologue et théologien orthodoxe renommé, sur saint Grégoire Palamas et sur sa théologie des énergies divines.

Lecteur audio intégré

Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux

(Hb I,10-II,3)

« Au commencement, Seigneur, tu as fondé la terre, et les cieux sont l’œuvre de tes mains. Ils périront, mais toi, tu demeures, et tous ils vieilliront comme un vêtement. Tu les changeras, tel un manteau, et ils seront changés ; mais toi, tu restes le même, et tes années ne passeront point. » Et auquel des Anges Dieu a-t-il jamais dit : « Siège à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds » ? Ne sont-ils pas tous des esprits officiants, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut ? C’est pourquoi nous devons porter une plus grande attention aux enseignements que nous avons entendus, de peur d’être entraînés à la dérive. Car, si la parole annoncée par les Anges a un effet, et si toute transgression et désobéissance a reçu une juste rétribution, comment nous-mêmes échapperons-nous en négligeant pareil salut, qui, annoncé tout d’abord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui l’ont entendu ?

Lecture de l’Évangile selon Saint Marc

(Mc II,1-12)

En ce temps-là, Jésus rentra à Capharnaüm quelques jours après la guérison d’un lépreux. On apprit qu’Il était à la maison, et l’on s’y rassembla en si grand nombre qu’il n’y avait plus de place, même devant la porte ; et Jésus leur annonçait la Parole. Des gens viennent et lui amènent un paralytique porté par quatre hommes ; comme ceux-ci ne peuvent pas le lui présenter à cause de la foule, ils découvrent le toit au-dessus de l’endroit où se trouve Jésus, font une ouverture et descendent le grabat où gît le paralytique. Voyant leur foi, Jésus dit au paralytique : « Mon fils, tes péchés te sont remis. » Or, il y avait là, assis, quelques scribes, et ils pensaient en leur cœur : « Comment celui-là parle-t-il ainsi ? Il blasphème ! Qui a le pouvoir de remettre les péchés, si ce n’est Dieu ? » Connaissant aussitôt en Esprit ce qu’ils disaient en eux-mêmes, Jésus leur dit : « Pourquoi une telle pensée dans vos coeurs ? Qu’est-ce qui est le plus facile, dire au paralytique “tes péchés te sont remis” ou dire “lève-toi et marche” ? Afin que vous sachiez que le Fils de l’Homme a le pouvoir sur terre de remettre les péchés », Il dit au paralytique : « Je te le dis : lève-toi, prends ton grabat et rentre chez toi ! » Celui-ci se leva et, aussitôt, prenant son grabat, il sortit devant tout le monde, si bien que tous étaient stupéfaits, louaient Dieu et disaient : « Jamais nous n’avons vu quelque chose de semblable ! »

Notes

[1] Homélie prononcée le 27 mars 2005, à la Crypte, par le père André

[2] Ps. 59, 13

[3] Mat. 5, 48 ; I Pi. 1, 16 ; Lév. 19, 2

[4] I Co. 3, 16 ; I Co. 6, 19 ; II Co. 6, 16

[5] Tr. I, 1, 22. (Tr. est une abréviation de Triades pour la défense des saints hésychastes)

[6] Tr. I, 1, 19

[7] Cf. Is. 6, 5

[8] Tr. I, 3, 52

[9] Col. 3, 5

[10] Cf. Tr. II, 2, 22

[11] Cf. Tr. II, 2, 19

[12] Rom. 12, 1

[13] Tr. II, 2, 20

[14] Ps. 62, 1 & 2

[15] Éph. 6, 18

[16] Luc 11, 13

[17] Cf. I Rois 2, 9, texte des Septante

[18] Tr. II, 1, 31

[19] Cf. Tr. I, 1, 9

[20] Par exemple : I Co. 3…

[21] Condensé de nombreux versets de psaumes

samedi 6 avril 2013

Grand carême - dimanche de la vénération de la Sainte Croix

ODT

Sainte et vivifiante Croix

Extrait : « Le grand Carême[1] »

Le 3e dimanche du Grand Carême est appelé vénération de la Croix. Lors de la Vigile de ce jour, après la Grande Doxologie, la Croix est apportée en procession solennelle au centre de l’église et y demeurera toute la semaine durant – il y aura un rite spécial de vénération à la suite de chaque office. Il est remarquable que le thème de la Croix qui domine l’hymnologie de ce dimanche est développé en termes non pas de souffrance mais de victoire et de joie. Plus encore, les chants donnant le thème (hirmoi) du Canon du dimanche sont issus de l’Office Pascal – “Le Jour de la Résurrection” – et le Canon est une paraphrase du Canon de Pâques. La signification de tout ceci est claire. Nous sommes à la mi-Carême. D’un côté, l’effort physique et spirituel, s’il est effectué de manière sérieuse et constante, commence à être ressenti, son fardeau commence à être pesant, notre fatigue plus évidente. Nous avons besoin d’aide et d’encouragement.

D’un autre côté, ayant enduré cette fatigue, ayant gravi la montagne jusqu’à ce point-ci, nous commençons à voir la fin de notre pèlerinage, et les rayons de Pâques commencent à croître en intensité. Le Carême est notre propre crucifixion, notre expérimentation, aussi limitée soit-elle, du commandement du Christ entendu dans l’Évangile de ce dimanche : “Si quelqu’un veut Me suivre, qu’il renonce à lui-même, prenne sa croix et Me suive”[2]. Mais nous ne savons pas prendre notre croix et suivre le Christ à moins que nous n’ayons Sa Croix, qu’Il a prise pour nous sauver. C’est Sa Croix, et pas la nôtre, qui nous sauve. C’est Sa Croix qui donne non seulement signification mais aussi puissance aux autres. C’est ce qui nous est expliqué dans le Synaxaire du Dimanche de la Croix :

« Ce même jour, troisième Dimanche de Carême, nous célébrons comme une fête la Vénération de la précieuse et vivifiante Croix. Puisque, par le jeûne des 40 jours, nous sommes en quelque sorte crucifiés nous aussi, […], et que nous avons une sensation d’amertume à cause de notre négligence ou de notre découragement, voici qu’est exposée la vivifiante Croix, comme pour nous ranimer et nous soutenir, nous encourager en nous rappelant les Souffrances de notre Seigneur Jésus Christ […]

« Tout comme ceux qui, ayant encore un long et rude chemin à parcourir et se trouvant épuisés par la fatigue, s’ils trouvent ombre et fraîcheur sous le feuillage d’un arbre, s’y assoient pour se reposer un peu et, comme régénérés, parcourent le reste du chemin, ainsi maintenant au milieu de ce temps de Carême, de cette pénible course et de ce parcours difficile, les saints Pères ont planté la vivifiante Croix, qui nous procure fraîcheur et repos, et qui soulage les voyageurs fatigués, les rendant légers et alertes pour la suite de leurs peines. Ou bien, comme cela se produit pour la venue d’un roi, lorsque le précèdent ses étendards et ses sceptres, et qu’il vient ensuite lui même, dans la joie et l’allégresse de sa victoire, que partagent également ses sujets, de même aussi le Christ notre Seigneur, devant bientôt montrer Son triomphe sur la mort et s’avancer avec gloire au jour de Sa Résurrection, envoie en avant Son sceptre, Son royal étendard, la vivifiante Croix, pour nous inviter à nous tenir prêts, à Le recevoir comme Roi et à l’acclamer au cours de Son triomphe resplendissant. Et, en cette semaine qui se trouve au milieu du Carême, parce que le saint Carême est comparé aux eaux de Mara à cause de la contrition, du découragement et de l’amertume qui sont en nous par suite du jeûne, ainsi donc qu’au milieu de ces eaux le divin Moïse jeta le bois pour les rendre douces, ainsi également Dieu, qui nous a sauvés en esprit de la mer Rouge et du Pharaon, par le bois de la précieuse et vivifiante Croix adoucit l’amertume d’un jeûne de 40 jours et nous console pour cette nouvelle traversée du désert, jusqu’à ce que nous arrivions à la mystique Jérusalem, par Sa Résurrection. Et, puisque la Croix est pour nous, comme on dit, l’arbre de Vie et que cet arbre se trouvait planté au milieu du Paradis de l’Eden, les très saints Pères ont eu raison de planter le bois de la Croix au milieu du saint Carême, puisqu’ils y commémorent l’avidité d’Adam, en même temps qu’ils nous décrivent comment elle fut annulée par ce nouvel arbre; car, y ayant goûté, nous ne mourons pas, mais sommes vivifiés. »

Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux

(Hb IV,14-V,6)

Frères, puisqu’en Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence, celui qui a pénétré au-delà des cieux, tenons ferme la profession de notre foi. En effet, le grand prêtre que nous avons n’est pas incapable, lui, de partager nos infirmités, mais en toutes choses il a connu l’épreuve, comme nous, et il n’a pas péché. Avançons donc, avec pleine assurance, vers le trône de sa tendresse, pour obtenir miséricorde et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours. Tout grand prêtre, en effet, est pris parmi les hommes, il est chargé d’intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. Il est en mesure de comprendre ceux qui pèchent par ignorance ou par égarement, car il est, lui aussi, revêtu de faiblesse et, pour cela même, il doit offrir des sacrifices pour ses propres péchés comme pour ceux du peuple. Nul ne s’attribue cet honneur à soi-même, on le reçoit par un appel de Dieu, comme Aaron. De même, ce n’est pas le Christ qui s’est attribué la gloire de devenir grand prêtre, mais il l’a reçue de celui qui lui a dit : « Tu es mon Fils, aujourd’hui je t’ai engendré », comme il déclare dans un autre psaume : « Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melchisédech. »

Lecture de l’Évangile selon Saint Marc

(Mc VIII,34-IX,1)

En ce temps-là, Jésus, ayant appelé la foule avec ses disciples, leur dit : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera. Et que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme ? Que donnerait un homme en échange de son âme ? Car quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura aussi honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges. » Il leur dit encore : « Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance. »

Homélie[3]

Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,

[…] La Sainte Croix récapitule en elle-même non seulement la Passion mais encore le Salut opéré par Dieu, ce Salut trinitaire qui manifeste l’amour infini de Dieu envers l’homme. Ainsi la Croix, instrument de dérision, de haine, de souffrance infinie, de solitude, cette croix devient le symbole de l’amour infini de Dieu envers Sa créature.

Cet Amour infini fait que le mal est renversé, la souffrance est transformée, la mort est abolie, le péché est vaincu. Et pour que cela soit possible il fallait qu’il y ait ce mouvement de descente, d’abaissement, d’humiliation infinie du Fils de Dieu, du Fils du Père, du Fils éternel, de Celui qui éternellement – c’est à dire avant et indépendamment de la création du monde – partage avec l’Esprit Saint la gloire éternelle divine. Il partage cette gloire dont aucun mot, aucune parole, aucune expression, aucune image même ne peut rendre compte.

Cette gloire devant laquelle nous ne pouvons, nous ne devons que faire silence. Faire silence pour que par le silence même nous puissions appréhender ce qui est au delà de toute parole.

Cette gloire divine est la forme, l’expression aussi, de l’amour de Dieu, car Dieu est Amour, nous le savons mais nous l’oublions quelques fois : quand nous voyons la souffrance autour de nous on se demande comment est-ce possible qu’un Dieu d’amour ait pu et puisse permettre encore aujourd’hui cet océan de souffrances qui contredit et qui conteste l’amour de Dieu. Pourtant Dieu est amour. Non seulement cet amour se manifeste dans la vie trinitaire où le Père engendre et communique tout son être au Fils et dans la puissance, dans la gloire de l’Esprit Saint qui procède du Père et qui repose éternellement sur le Fils comme un lien d’amour entre les deux, mais encore cet amour se révèle lorsque Dieu crée. En effet, Dieu crée par amour, dans l’amour et pour l’amour si je peux me permettre un peu ce jeu de prépositions : Par l’amour du Père, dans l’amour du Fils et pour l’amour du Saint Esprit, c’est ici que nous voyons que l’amour trinitaire embrasse la Création dans son projet, dans sa réalisation et dans sa finalité.

L’homme a été créé pour porter en lui ce signe, pour porter cette image de l’amour de Dieu, c’est en ce sens aussi que l’homme est créé à l’image de Dieu. Et cette image est un très grand mystère qui fait que nous ne devons pas non plus tenter de cerner davantage le mystère de l’homme lui-même. L’homme est inconnu. « L’homme, cet inconnu » écrivait un auteur, médecin français, Alexis Carrel, et un apologète, saint Théophile d’Antioche, répondait à ceux qui niaient « Montre-moi ton homme et moi je te montrerai mon Dieu ! ». Dieu a créé l’homme pour qu’il puisse jouir de la vie divine, pour qu’il puisse, ayant été créé petit enfant, grandir et entrer dans la pleine et toujours croissante, certes toujours incomplète, communion de la vie divine.

Pour cela, il fallait que l’homme passe par l’enfance et qu’il passe par la Loi, par la Loi d’obéissance qui pourrait paraître dure et étrangère mais qui est en réalité une Loi d’amour, une Loi filiale. Il fallait que l’homme apprenne qu’être enfant de Dieu signifie soumettre totalement sa volonté à l’Autre.

Lorsque à cause de la séduction du serpent, l’homme par son innocence et par la fragilité de sa volonté et de sa conscience s’est éloigné de Dieu dans la désobéissance, lorsque les cieux se sont fermés et que la terre elle-même s’est révoltée, lorsque l’homme a dû se nourrir à la sueur de son front et qu’entre l’homme et la femme s’établit ce désir de jouissance, de possession, Dieu, malgré tout, n’a jamais abandonné Sa créature. Invisiblement Dieu continue à porter l’homme dans Sa main aimante, à le conduire, à créer en lui cette nostalgie du paradis perdu et, je dirai plus, Dieu continue à susciter pour nous autres cette nostalgie et cette attente du Royaume. Pour que cela se fasse, il fallait détruire le mal et anéantir la mort qui a surgi, car on peut dire que la mort n’est rien d’autre que l’interruption du flot de vie divine qui coulait dans le paradis et qui berçait et nourrissait Adam et Ève jouissant alors d’une telle vie divine. Quand le flot de vie divine s’interrompt, alors la mort intervient, la mort instaure une loi humaine et inexorable, et cette loi apparaît pour nous autres comme une fin, comme une malédiction.

Pour contrecarrer tout cela, pour rompre ce processus et briser cette fatalité, il n’y avait pas d’autre moyen que le Fils Lui-même vienne assumer notre nature humaine, vienne prendre sur Lui cette nature pécheresse, cette nature corrompue. Lui qui ne connaissait pas le péché « est devenu péché pour nous », comme écrit saint Paul. Il fallait qu’Il devienne comme un agneau, comme le dit saint Jean-Baptiste en voyant Jésus s’approcher du Jourdain pour être baptisé « voici l’Agneau de Dieu qui prend sur Lui le péché du monde ». Le péché du monde signifie cette globalité du péché dans lequel nous baignons, cette totalité des péchés de chacun de nous. Puis enfin, prenant sur Lui le péché du monde il fallait que l’Agneau aille jusqu’à la fin et qu’il soit immolé comme un agneau sans défaut, comme une brebis sans tache, qui va sans lever la voix vers celui qui l’immole.

En obéissance aimante au Père, selon Sa propre volonté s’accordant avec celle du Père, Jésus a assumé toutes les souffrances que pouvait connaître la nature humaine. Il a pris sur Lui nos souffrances, Il a pris sur Lui nos maladies à l’exception bien sûr de la seule maladie qu’Il ne pouvait prendre, à savoir la maladie du péché. Le péché en effet est une infidélité, le péché est un esclavage mais le péché est aussi une maladie et Jésus vient guérir notre âme et notre corps.

Et lorsque cela se fait Jésus va encore plus loin, Il descend encore plus bas. Il descend encore plus bas pour une rencontre indicible, car il est impossible que Celui qui est le Principe même de la vie rencontre la mort. Et voilà pourquoi c’est par une ruse qu’Il rencontre la mort.

Quand Satan pense pouvoir Le saisir, Le crucifier sur la Croix et par conséquent devenir le vainqueur, alors Satan est trompé comme le disent les Pères. Comme le dit saint Jean Chrysostome « le trompeur est trompé ! »

Ainsi se soumettant par amour, Lui qui n’avait pas de péché et qui par conséquent, si on peut le dire, ne méritait pas la mort, Jésus va volontairement vers la mort et se laisse prendre par elle. Et, plus encore, Il se laisse descendre dans les profondeurs des enfers, jusqu’où se trouvaient nos ancêtres Adam et Ève et toute l’humanité entière. Et c’est alors que Celui qui est descendu aux fins fonds des enfers et de la mort n’est plus simplement un mortel parmi les autres mais en vérité Celui qui illumine l’enfer par la lumière et l’éclat de Sa divinité. La Lumière divine est dévoilée en Lui et il s’opère ainsi un retournement extraordinaire car la mort devient désormais le passage à la vie.

Désormais, la croix, cette croix d’ignominie et de souffrance, devient le lieu et le moment dans lesquels Satan est définitivement vaincu.

Maintenant le “prince de ce monde” est vaincu, car « quand je serai élevé de terre, avons-nous entendu aujourd’hui dans l’Évangile, j’attirerai tous les hommes à moi ! »

D’une part, « Quand je serais élevé de terre » annonce la Croix, car Jésus est véritablement monté vers Jérusalem pour être élevé sur la croix, et d’autre part proclame qu’ensuite Jésus montera de plus en plus haut vers le Père, s’asseyant à Sa droite pour attirer tous les hommes à Lui.

Par conséquent la Croix signifie pour nous ce symbole, cette force extraordinaire d’attraction qui contrecarre l’attraction terrestre, la pesanteur de la terre et, surtout, notre pesanteur à chacun de nous. La Croix désormais est, en vérité, ce chemin ouvert, cette montée, cette échelle, ou encore pourrait-on dire ce souffle de vent chaud qui nous élève et qui nous fait monter.

Ainsi, la Croix devient le symbole de la Résurrection, la Croix d’ignominie devient une Croix vivifiante, le tombeau devient non seulement un tombeau vide mais un tombeau lumineux. Désormais, la mort – la mort dans le Christ – perd son caractère de désastre et de totale désespérance. La mort est le passage, l’exode, le chemin car il n’y a qu’une seule mort par laquelle nous pouvons, à présent, entrer dans le Royaume, c’est la mort du Christ.

Par conséquent, notre chemin à nous – il n’y en a pas d’autre – est de suivre le Seigneur. « Celui qui veut être mon disciple qu’il donne ce qu’il possède aux pauvres, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ». Prendre notre croix c’est tout simplement dire “oui” au Seigneur, prendre notre croix c’est dire au Seigneur « que Ta volonté se fasse dans ma propre vie, dans mon existence entière au plus profond de moi-même, que Ta volonté se fasse et non la mienne ».

Peu à peu dans la vie de chacun et de chacune de nous s’opère cette conformation, cette coïncidence, cette correspondance de notre propre volonté qui obéit volontairement pour que s’accomplisse non pas notre volonté mais celle du Seigneur. À ce moment là s’opère en chacun de nous la parole de saint Paul « ce n’est plus moi qui vit – c’est-à-dire le “moi” haïssable, le “moi” égoïste – mais le Christ qui vit en moi. »

Dès lors, nous regardons le monde avec un œil différent. « Ayez, dit saint Paul, les mêmes sentiments que le Christ Jésus. » Les “mêmes sentiments” c’est à dire le même regard d’amour, la même écoute, la même compassion sur le monde et sur ceux qui souffrent que le Christ a Lui-même, Lui qui S’est tourné vers le Père et qui était entièrement tourné vers le monde avec une compassion infinie. Cette compassion infinie du Christ nous devons apprendre à nous en nourrir nous aussi, à la partager, à la découvrir pour qu’elle soit véritablement une compassion trinitaire dans laquelle nous sommes portés et fortifiés par l’Esprit Saint.

C’est cette compassion du Christ pour le monde, pour ceux qui souffrent et pour les pauvres qui doit être le programme de notre vie. Un philosophe russe disait « notre programme social c’est la Trinité » et nous pouvons dire nous aussi « Notre programme c’est la compassion ». Par conséquent, dans cette compassion la Croix est le chemin, la Croix est le symbole, la Croix est l’icône, la Croix est porteuse d’une puissance de l’Esprit Saint, de cette puissance d’amour par laquelle nous nous dépassons nous-même. Je dirais que par cette puissance de l’Esprit Saint nous commençons “à marcher sur les eaux”. Portés par la grâce du Saint Esprit nous oublions notre propre pesanteur.

Devant Ta croix, nous nous prosternons, ô Maître, et Ta sainte Résurrection nous la glorifions.

Notes

[1] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine

[2] Mc 8,34

[3] Homélie prononcée par Père Boris, à la Crypte le 14 septembre 2003 à l’occasion de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. Son contenu s’applique aussi à commémoration de ce dimanche.

samedi 13 avril 2013

Grand carême - dimanche de saint Jean Climaque

ODT

Échelle sainte Aujourd’hui l’Église attire notre attention sur St Jean Climaque, parce que ce Père, qui a vécu au VIIe siècle réalisa dans sa vie cet idéal de pénitence et de prière que tous nous devrions avoir sous nos yeux pendant le carême. Ce mot de Klimakos signifiant échelle est devenu le qualificatif de Jean l’higoumène du monastère du Sinaï (mort en 670) parce qu’il a écrit un livre ascétique célèbre sous le titre de l’échelle du Paradis. Parce que le temps du carême que nous vivons actuellement,une montée, comme sur une échelle, vers la Pâque, les Saints Pères de l’Église ont établi que ce Père ascète serait célébré un dimanche du milieu du carême, pour que tout au long de cette période nous apprenions et acquérions les vertus nécessaires à notre montée vers la Résurrection. [][1]

Présentation de l’ “Échelle sainte” — podcast

“L’Église orthodoxe aujourd’hui”, dimanche 28 novembre 2010, Bogdan Florin Vlaïcu propose une présentation de la vie de ce père de l’Église et de son ouvrage, qui a réalisé la dernière traduction française de ce livre pour les éditions Bellefontaine. Le père Placide Deseille est l’archimandrite du monastère Saint-Antoine-le-Grand et il considère que ce livre “est une sorte de manuel de base pour la vie spirituelle de tout chrétien”.

Lecteur audio intégré

Texte du triode

Cathisme de St Jean Climaque (aux matines)

Élevé par les vertus vers la lumière du ciel * parvenu à la certitude immuable en ta piété * tu es revenu vers l’immense abîme de la vision * Tu as dénoncé tous les pièges des démons * Et tu protèges les hommes de leurs ravages * Ô Jean, échelle des vertus, tu intercèdes maintenant pour le salut de tes serviteurs.

Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux

(Hb VI,13-20)

Frères, lorsque Dieu fit promesse à Abraham, il ne pouvait jurer par un plus grand que lui ; il jura donc par lui-même en disant : « Certes, je te comblerai de bénédictions et je te multiplierai grandement. » Et c’est ainsi qu’Abraham, ayant persévéré, obtint ce qui lui était promis. Les hommes, en effet, jurent par un plus grand ; et, entre eux, la garantie du serment met un terme à toute contestation.
C’est en ce sens que Dieu, voulant bien davantage montrer aux héritiers de la promesse l’immuable fermeté de son dessein, fit intervenir le serment, afin que par un engagement doublement infaillible, puisqu’il est impossible à Dieu de mentir, nous soyons puissamment encouragés, comme y trouvant refuge, à saisir fortement l’espérance qui nous est proposée. Et nous la tenons comme l’ancre de notre âme, cette espérance sûre et solide, qui au-delà du voile a pénétré, là où pour nous, en précurseur, est entré Jésus, devenu « selon l’ordre de Melchisédech grand prêtre à jamais ».

Lecture de l’Évangile selon Saint Marc

(Mc IX,17-31)

En ce temps-là, quelqu’un de la foule dit à Jésus : « Maître, je t’ai amené mon fils ; qui est possédé d’un esprit muet. En quelque lieu qu’il le saisisse, il le jette par terre ; l’enfant écume, grince des dents, et devient tout raide. J’ai prié tes disciples de chasser l’esprit, et ils n’ont pas pu ». « Race incrédule », leur dit Jésus, « jusques à quand serai-je avec vous ? Jusques à quand vous supporterai-je ? Amenez-le-moi ». On le lui amena. Et dès que l’enfant vit Jésus, l’esprit l’agita avec violence ; il tomba par terre, et se roula en écumant. Jésus demanda au père : « Depuis combien de temps cela lui arrive-t-il ? » « Depuis son enfance », répondit-il, « et souvent l’esprit l’a jeté dans le feu et dans l’eau pour le faire périr. Mais, si tu peux quelque chose, aide-nous, aie pitié de nous. » Jésus lui dit : « Si tu peux !… Tout est possible à celui qui croit. » Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité ! »
Jésus, voyant accourir la foule, menaça l’esprit impur, lui disant : « Esprit muet et sourd, je te l’ordonne, sors de cet enfant, et n’y rentre plus ». Et il sortit, en poussant des cris, et en l’agitant avec une grande violence. L’enfant devint comme mort, de sorte que plusieurs disaient qu’il était mort. Mais Jésus, l’ayant pris par la main, le fit lever. Et il se tint debout. Quand Jésus fut entré dans la maison, ses disciples lui demandèrent en particulier : « Pourquoi n’avons-nous pu chasser cet esprit ? » Il leur dit : « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et par le jeûne ». Ils partirent de là, et traversèrent la Galilée. Jésus ne voulait pas qu’on le sût. Cependant, il enseignait ses disciples, et il leur dit : « Le Fils de l’homme sera livré entre les mains des hommes ; ils le feront mourir, et, trois jours après qu’il aura été mis à mort, il ressuscitera ».

La foi qui sauve[2]

Dans l’épître qui a été lue aujourd’hui, saint Paul nous explique comment, dans la promesse faite à Abraham, Dieu nous montre “l’immuable fermeté de Son dessein”.

Et comment la fidélité de Dieu est source de foi : « Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide ; elle pénètre au-delà du voile, là où Jésus est entré pour nous comme précurseur, ayant été fait souverain sacrificateur pour toujours, selon l’ordre de Melchisédek. »

Alors, la foi devient une foi qui sauve. « Ta foi t’a sauvé » dit Jésus à plusieurs occasions : à la femme hémorroïsse qui a été guérie en touchant Son vêtement, ou encore à la femme pécheresse venue oindre Ses pieds . La foi se nourrit de la prière et en même temps s’exprime dans la prière et anime la prière. Il y a un lien étroit, une profonde unité, entre la foi, la prière et toute notre vie. Elle se traduit en particulier dans l’effort spirituel qui doit être le nôtre en cette période de Carême.

Homélie (suite de l’homélie de Mgr Joaquim)

Aujourd’hui je me suis proposé, justement de parler de l’une des vertus dont il est question justement dans l’échelle de St Jean Climaque : “la prière”, et l’évangile d’aujourd’hui en parle également. Après avoir guéri l’enfant épileptique, Jésus a été questionné par ses disciples qui eux n’ont pas pu le faire. Alors Jésus leur dit : “Ce genre de démons ne sort que par le jeûne et la prière”.

Du jeûne et de sa signification dans la vie d’un chrétien nous en avons déjà parlé au début du carême. Nous allons voir aujourd’hui que vraiment les diables des passions peuvent être mis en fuite par la prière également.

Saint Jean Climaque considère la prière comme un degré supérieur de la vie spirituelle, la prière doit alors devenir prière incessante et une étape du silence intérieur, où toute méditation du mystère divin est suspendu, pour que dans l’intellect ainsi immobilisé descende la lumière divine. Pour utiliser encore les expressions de Saint Jean Climaque, la prière est encore la respiration de l’âme, par elle l’âme respire dans l’atmosphère du ciel. Elle est la nourriture de l’âme, par elle l’âme communie à la puissance divine.

Donc, pour un chrétien, prier c’est prier le Père, par son Fils dans l’Esprit Saint, c’est laisser l’Esprit Saint du Père confesser en nous la filiation divine de Jésus-Christ. Quand nous prions vraiment, le Saint Esprit fait fondre notre pauvre cœur de pierre avec les larmes du repentir. Prier, c’est confesser que Dieu est Père et que Jésus-Christ est son Fils consubstantiel et coéternel. C’est être alors “menés par l’Esprit de Dieu” comme dit Saint Jean Climaque, et se comporter véritablement comme fils de Dieu. C’est invoquer l’Esprit afin qu’il vienne remplir notre vide, combler notre concavité, c’est supplier instamment le Père de nous envoyer la puissance sanctificatrice de son Esprit Saint. C’est intérioriser dans le quotidien de nos existences l’essentiel du miracle eucharistique. C’est appeler le Souffle vital du Père, le Saint Esprit qui divinise ceux qu’il transfigure en temples vivants de sa sainteté et de sa gloire. En confessant, dans notre prière que Jésus de Nazareth est le Fils unique de Dieu qu’il est le Christ éternel sur lequel repose l’Esprit, le Seigneur de nos âmes pécheresses et repenties, nous crions vers le Père céleste que notre nature humaine, assumée par le Fils en son Incarnation rédemptrice, est pré-construite pour être comme “sanctifiée et rayonnante d’énergie divine par le dynamisme de l’Esprit” (Père Staniloaë).

Et de même que c’est la Puissance du Saint Esprit qui en une nouvelle Pentecôte rend divinement agissante la parole du Christ rappelée par l’Église dans les paroles de l’institution eucharistique, de même encore que la communion au Corps et au Sang divinisants du Christ ressuscité nous communique l’Esprit Céleste, de même la prière adressée au Père par le Fils dans l’Esprit, fait descendre sur nous une autre Pentecôte le Saint Esprit qui procède du Père et divinise notre nature.

C’est pourquoi la prière exclut la tristesse et le découragement, car ces dernières mettent en fuite l’Esprit Saint, c’est donc le propre de la prière que de réaliser l’acquisition de la Joie. La Joie, que seul l’Esprit peut procurer, est le critère de l’authenticité de la prière. Le climat de la prière chrétienne se situe au Thabor beaucoup plus qu’à Gethsémani. Acquisition du Saint Esprit, la prière est joie dans la mesure où la grâce répandue par l’Esprit est lumière incréée, énergie divine opérant une divinisation réelle de l’homme.

C’est ainsi que tous les saints ont compris les dimensions de la prière et maintenant leur âme brille dans le Royaume de Dieu.

En guise de conclusion j’ajouterai la très belle description de Saint Jean Climaque : “La prière, mes frères et sœurs, est l’hypostase des choses espérées, l’amour opérant, le mouvement angélique, le pouvoir de ce qui est immatériel, l’action et la joie de tout ceci… la confiance du cœur, l’espérance du salut, le symbole de sa pureté, l’image de la sainteté, la connaissance de Dieu, la manifestation du baptême, le bain de la purification, les arrhes de l’Esprit Saint , la joie de Jésus, l’allégresse de l’âme, la miséricorde de Dieu, le signe de la réconciliation, le sceau du Christ, le rayon du Soleil intelligent, l’astre des cœurs… la grâce de Dieu, la sagesse de Dieu… la manifestation de Dieu… Et pourquoi tout énumérer ? La prière est Dieu qui opère tout en tous, car l’œuvre est unique, œuvre du Père, du Fils et du Saint Esprit qui opère tout en Jésus Christ”.

Notes

[1] Prononcée par Mgr Joaquim Giosanu en 1994

[2] Extrait de l’homélie prononcée par Père André Jacquemot, le 2 avril 2006 à la Crypte

samedi 20 avril 2013

Grand carême - dimanche de sainte Marie l'Égyptienne

ODT

Ste Marie l'Égyptienne Extrait de l’introduction écrite par le hiéromoine Nicolas Molinier pour sa traduction de la Vie de Ste Marie l’Égyptienne composée par Sophrone archevêque de Jérusalem, et éditée par le monastère St Antoine-le-Grand. Vous trouverez le texte intégral de l’introduction ci-dessous et la vie de Ste Marie l’Égyptienne composée par le patriarche Sophrone ici.

La Sagesse utilise au profit de l’homme jusqu’à son péché. Dieu guérit du péché en le laissant agir, cette tactique est mise en œuvre dans la passion du Fils. Les circonstances de sa mort furent toutes déterminées par le péché des hommes. Jésus s’est librement livré aux mains des pécheurs et des impies, et ceux-ci ont fait de Lui ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que la mort a été prise au piège, que l’enfer a englouti Celui qu’il ne pouvait retenir captif, et a été contraint par la Sagesse divine de libérer ceux qu’il tenait enchaînés. Dieu a utilisé le péché, qu’il n’a certes pas voulu, pour que son Fils bien-aimé aime comme personne n’a jamais aimé car il conduit inéluctablement le pécheur à la ruine.

Textes du triode

Tropaire de sainte Marie l’Égyptienne - ton 8

En toi mère fut sauvée précisément * la ressemblance à l’image * Car tu as pris la croix, tu as suivi le Christ * et tu a enseigné par tes actes * à surmonter la chair car elle passe * et à veiller à la cause immortelle de l’âme * Avec les anges sainte Marie se réjouit ton esprit.

Kondakion de sainte Marie l’Egyptienne, ton 3

Autrefois tu étais pleine de toutes les prostitutions * Mais aujourd’hui par le repentir tu es devenue l’épouse du Christ * désirant la vie des anges * et foulant les démons par la force de la Croix * glorieuse Marie, épouse du Royaume.

Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux

(Hb IX,11-14)

Frères, le Christ a paru comme grand prêtre des biens à venir, il a traversé un tabernacle plus grand et plus parfait, celui qui n’est pas fait de main d’homme, c’est-à-dire qui n’appartient pas à cette création, et ce n’est pas avec le sang des boucs ou des jeunes taureaux, mais avec son propre sang, qu’il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, nous ayant acquis l’éternelle rédemption. Si le sang des taureaux et des boucs, si la cendre des génisses, en effet, sanctifient par leur aspersion ceux qui sont souillés et leur procurent la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ, qui par l’éternel Esprit s’est lui-même offert à Dieu comme victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience de ses œuvres de mort, pour nous permettre de rendre un culte au Dieu de vie !

Lecture de l’Évangile selon Saint Marc

(Mc X,32-45)

En ce temps-là, les disciples étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Ils étaient troublés, et le suivaient avec crainte. Et Jésus prit de nouveau les douze auprès de lui, et commença à leur dire ce qui devait lui arriver : « Voici, nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes. Ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux païens, qui se moqueront de lui, cracheront sur lui, le battront de verges, et le feront mourir ; et, trois jours après, il ressuscitera. »
Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » « Accorde-nous, lui dirent-ils, d’être assis l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, quand tu seras dans ta gloire. » Jésus leur répondit : « Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire, ou être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ? » « Nous le pouvons, dirent-ils. » Et Jésus leur répondit : « Il est vrai que vous boirez la coupe que je dois boire, et que vous serez baptisés du baptême dont je dois être baptisé ; mais pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, cela ne dépend pas de moi, et ne sera donné qu’à ceux à qui cela est réservé. »
Les dix, ayant entendu cela, commencèrent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela, et leur dit : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les dominent. Il n’en est pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. »

Vie de Sainte Marie L’Égyptienne

Vie dans le péché

La racine du péché

« Du vivant de mes parents, à douze ans accomplis, je rejetai toute tendresse à leur égard et me rendis à Alexandrie… ». Cette affirmation initiale n’est simple qu’en apparence. La confession de sainte Marie l’Égyptienne nous introduit en fait au cœur de cette énigme qu’est le péché en l’homme. La mention des « douze ans accomplis » n’est pas fortuite. Cet âge est celui d’un changement de statut social. L’enfant n’est plus considéré comme tel sans pour autant jouir de la totalité des prérogatives de l’adulte. Comme tous les changements, tous les passages de la vie sociale, l’acquisition d’une liberté neuve mais limitée est l’occasion d’une crise qui affecte non seulement l’adolescent mais aussi son milieu. Celui-ci doit désormais le reconnaître à la fois comme identique et différent.
La mention de l’âge de douze ans renvoie aussi le lecteur au passage évangélique ou Jésus, à douze ans précisément, laisse s’éloigner ses parents sur le chemin de Nazareth, tandis qu’il demeure dans le temple de Jérusalem assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant : il doit être aux affaires de son Père[1].
Cette affirmation d’autonomie de la part d’un adolescent qui assume sa vocation est uniquement l’expression de sa volonté d’acquiescement au vouloir divin. Ce n’est en rien une rupture violente par rapport au milieu familial. Jésus accomplit toute la Loi, bien plus, en sa personne, il est la Loi. Il ne peut y avoir en Lui d’opposition entre le premier commandement du Décalogue et le cinquième : « honore ton père et ta mère »[2]. Il est inséparablement la Gloire du Père qui l’a engendré avant les siècles et la Gloire et la fierté de tout Israël. Plus il est aux affaires de son Père et plus il est l’honneur de sa mère et de toute la lignée de David : « bienheureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés »[3].
La péricope évangélique à laquelle nous nous référons montre que la prise de distance de Jésus n’est pas une rupture haineuse. C’est bien plutôt une conséquence de la mission confiée par le Père : la soumission qu’il doit à ses parents se situe à l’intérieur du cadre plus vaste de son acquiescement au vouloir divin. Elle en est l’icône. Marie, ainsi éclairée sur la profondeur de la relation qui l’unissait à son fils dans l’ordinaire de la vie quotidienne, gardait tout cela et le méditait dans son cœur. Dès lors, il leur était soumis, et cette soumission était la plus haute expression de sa liberté.
Marie l’Égyptienne a pris un parti bien différent. « A douze ans accomplis, je rejetai, dit-elle, toute tendresse à l’égard de mes parents ». A la lumière du passage évangélique que nous venons de citer, il est aisé de comprendre la nature réelle de cette révolte. La racine de son péché est une rébellion profonde, non dite. Entrant dans l’âge adulte, elle ne remet pas sa jeune liberté à l’Auteur de la liberté pour acquérir une liberté plus grande. Elle ne veut pas comprendre qu’on ne possède réellement que ce que l’on a offert et que le mystère de l’obéissance oblative régit la vie trinitaire toute entière. Elle s’empare du privilège qui lui a été accordé, s’en fait la propriétaire. Elle use contre le Créateur lui-même de cette liberté qu’il lui a concédée et qui la constitue comme image de Dieu. Par cet acte intérieur de convoitise au sens biblique et patristique, elle s’interdit l’action de grâces et rejette de fait le premier et le plus grand des commandements. Ainsi : «  Nos pères ont tous été sous la nuée… cependant ce n’est pas le plus grand nombre qui plut à Dieu… ces faits se sont produits pour nous servir d’exemples, pour que nous n’ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes »[4]
Elle se rend ainsi incapable d’accomplir celui qui le suit immédiatement et qui commande d’honorer son père et sa mère. Elle renie toute paternité divine, toute confession de la divine Providence, elle apostasie et renonce à entendre l’appel à la sainteté. Séparée de Dieu, elle perd logiquement toute tendresse pour ses parents : elle se coupe de la communauté humaine en laquelle sa vie prend son sens. Elle veut être l’unique artisan de sa propre aventure. Coupée de son histoire et de toute solidarité, elle est désormais seule. Elle n’est plus une personne mais un individu séparé. Elle a voulu ravir la liberté mais, dans cet effort illusoire et ruineux, elle n’a acquis qu’une pernicieuse autonomie.
On comprend ainsi que le péché de Marie l’Égyptienne n’est pas d’abord la violation de l’ordre moral ou social, mais bien une rupture de la communion avec Dieu qui la livre à elle-même, abandonnée à ses propres forces.

La révolte

Le péché en sa racine, cet état pécheur intérieur, donne naissance au multiples rejetons que sont les actes peccamineux. Ayant renoncé à rendre un culte au vrai Dieu, Marie l’Égyptienne n’en reste pas moins une créature spirituelle destinée à l’adoration, même si elle le refuse. La perversité de son intention l’amène donc à s’adorer elle-même. Désormais elle rend un culte à sa chair ou plutôt, par elle, recherche l’ivresse du plaisir, pauvre substitut à la béatitude promise aux serviteurs de Dieu. Renonçant à la dépossession de l’amour, elle s’abandonne à la possession du plaisir. « Satisfaire en tout temps le mouvement passionné de la nature, voilà ce qui faisait ma vie et en réglait la conduite ».
Marie l’Égyptienne menait donc une lutte incessante. Car le plaisir voulu pour lui-même est, au moins dans les commencements, à la fois violent et fugitif. Mais au fil du temps, il perd de son intensité. La passion devient frustrante, elle requiert, pour satisfaire une sensualité toujours plus exigeante, la réitération des actes et une perversité croissante. C’est ainsi que Marie l’Égyptienne, dans son expérience de l’athéisme, subit l’esclavage des sens et de la passion. Sous prétexte de l’exercice de sa liberté, elle est dépossédée d’elle-même. Elle perd toute pudeur, donne libre cours aux dépravations, et recherche un nombre toujours croissant de partenaires.
On le voit, Marie l’Égyptienne expérimente l’enfer. Elle s’épuise dans une course effrénée contre la frustration que cette course même engendre. C’est ainsi que refusant le culte en esprit et en vérité qu’elle devait à Dieu, elle s’est de fait éloignée d’elle-même et est descendue par le péché au-dessous de sa nature. Dans son idolâtrie du plaisir sensuel elle est retournée à l’animalité. « L’envie insatiable, l’irrépressible amour de me rouler dans la fange me possédait ». Sans s’en rendre compte, à ce jeu, Marie l’Égyptienne s’est désagrégée. Son corps n’est plus elle-même mais seulement l’instrument de son désir. Elle en fait ce qu’elle veut. Elle le possède comme un objet: « J’ai un corps, dit-elle, ils le prendront pour prix de la traversée ».

Haine et envie

Mais les dommages qu’elle subit sont plus graves encore. Saint Sophrone nous montre Marie l’Égyptienne non seulement comme un animal, mais aussi comme un démon. Elle est devenue « le vase d’élection du diable » et, comme son maître, elle « rôde cherchant qui dévorer »[5]. Elle fait entrer en tentation, et ses procédés sont rigoureusement identiques à ceux du Mauvais qui l’inspire.
Tout commence par une sorte de liaison, Marie l’Égyptienne fait irruption, puis prononce des propos indécents, et enfin, pousse à rire. Après avoir obtenu ce premier accord non explicite, il est aisé de passer à l’acte. Cependant cette première victoire ne saurait la satisfaire. Ayant acquis par elle quelque emprise, la voici qui enseigne de nouvelles perversions, faisant expérimenter d’autres plaisirs. Ceux qui ont été attirés sont désormais subjugués et c’est ainsi que ces malheureux en viennent à se laisser contraindre à faire même ce qu’ils ne veulent pas. Ils sont réduits à un véritable esclavage. La servante du démon leur apparaît désormais comme un maître tyrannique.
Toute cette stratégie de Marie l’Égyptienne est au service d’une haine et d’une envie dont les raisons sont multiples, mais dont la première est sans doute, paradoxalement, son impuissance. Les hommes lui sont nécessaires pour assouvir sa passion, mais quel n’est pas son dépit de se voir dépendante du vouloir d’autrui, elle qui revendique sa totale libération. La nécessité où elle est de devoir séduire est le signe de sa faiblesse. Elle ne peut rien contre ceux qui ne lui cèdent pas ou même qui ne lui prêtent pas attention. Elle en vient seulement à être « offerte au peuple comme un combustible disponible à tous pour le feu de la débauche ».
Mais sa haine des hommes s’accroît aussi, et peut-être surtout, parce qu’il subsiste en elle, et sans qu’elle se l’avoue, la nostalgie de la beauté spirituelle à laquelle elle a volontairement renoncé : elle veut « piéger l’âme des jeunes gens », comme si cette capture lui fournissait un aliment nécessaire. Elle mène l’existence misérable et pathétique d’un être déchiré entre l’attrait de la Beauté et l’incapacité d’y consentir. Marie l’Égyptienne fait l’œuvre du diable, lui qui « est homicide dès le commencement…, menteur et père du mensonge »[6].

La vie de pénitence

La conversion

« A ce qu’il me semble, Dieu voulait mon repentir, il ne veut pas la mort du pécheur, il attend patiemment et accueille de grand cœur la conversion ». La conversion de sainte Marie l’Égyptienne a pour cause première la volonté divine. Dieu agit avec elle comme il a agi à l’égard de son peuple. Il a pour elle une patience qui est à la fois pitié, fidélité, tendresse. Sa pitié à l’égard de Marie l’Égyptienne est une bienveillance gratuite : il s’incline, consent, attend, se fait discret. Mais cette pitié s’accompagne de son irrévocable fidélité : jamais Dieu notre Père ne renonce à son dessein de salut. De cette manière se déploie une mystérieuse tendresse que la Bible n’hésite pas à qualifier de maternelle. Nul ne peut désespérer car son être même est inscrit dans la mémoire de Dieu : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t’oublierai pas »[7].
Mais il ne faudrait pas se laisser leurrer par le terme de tendresse que nous venons d’employer. Il ne s’agit en aucun cas d’un sentiment doucereux. La tendresse divine ne s’exerce qu’en vue du repentir[8]. La Sagesse utilise au profit de l’homme jusqu’à son péché. Dieu guérit du péché en le laissant agir, cette tactique est mise en œuvre dans la passion du Fils. Les circonstances de sa mort furent toutes déterminées par le péché des hommes. Jésus s’est librement livré aux mains des pécheurs et des impies, et ceux-ci ont fait de Lui ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que la mort a été prise au piège, que l’enfer a englouti Celui qu’il ne pouvait retenir captif, et a été contraint par la Sagesse divine de libérer ceux qu’il tenait enchaînés. Dieu a utilisé le péché, qu’il n’a certes pas voulu, pour que son Fils bien-aimé aime comme personne n’a jamais aimé car il conduit inéluctablement le pécheur à la ruine. L’homme découvre ainsi le tort qu’il se fait en ne suivant que son désir. Toute l’histoire du peuple d’Israël suit cette logique, elle est rythmée par la célébration de l’alliance à laquelle succède l’infidélité du peuple de Dieu et l’effondrement historique lié à ce péché. Le retour au Dieu sauveur est l’inéluctable conséquence du désastre. La célébration du renouvellement de l’Alliance inaugure une période de restauration.
C’est ainsi que Marie l’Égyptienne par l’impossibilité où elle est d’entrer dans le temple pour vénérer la divine et vivifiante Croix, instrument du salut universel, est mise en face de son excommunication de fait. Elle seule est empêchée et repoussée dans le parvis de l’église où elle ne peut que se réfugier dans un coin, symbole de l’impasse où elle s’est fourvoyée. Il faut du temps à notre héroïne pour comprendre que cette impossibilité ne vient pas de quelque faiblesse physique qui l’affecterait. Elle ne saurait en dire plus, incapable de connaître la cause de l’enfer qu’elle expérimente. Elle est une énigme pour elle-même, accablée par son effondrement : « J’en étais découragée, je n’avais plus de force, mon corps était brisé ». C’est par pure grâce que lui seront accordés les prémices du salut. « Le Verbe Sauveur toucha les yeux de mon cœur me montrant que c’était la fange de mes actions qui me fermait l’entrée ». Le Christ vient briser les verrous qui la tenaient captive en les exposant en pleine lumière. La voilà désormais libre.
La Lumière de l’Esprit-Saint inaugure en elle un saint deuil. « Je commençais à pleurer, à me lamenter, à me frapper la poitrine en gémissant du fond du cœur ». Cette manière de parler n’est pas un artifice littéraire tout oriental. C’est bien plutôt la description d’un enchaînement spirituel logique dans le processus d’une pénitence authentique. L’irruption de l’Esprit a provoqué le brisement du cœur dont les larmes sont le signe. Les lamentations sont celles-là même d’Adam qui se voit désormais soumis à une condition mortelle, mais bien plus encore celles que l’on fait sur le cadavre que l’on est devenu.
Mais dans le même temps, ces larmes de componction se mêlent aux eaux vives de l’Esprit qui jaillissent en vie éternelle. C’est pourquoi lorsque Marie l’Égyptienne se frappe la poitrine, elle confesse qu’elle est pleinement responsable.
Elle désigne son cœur, non seulement comme la source véritable de ses iniquités, mais aussi comme le lieu où s’accomplit l’œuvre de l’Esprit. Le gémissement qu’elle ne peut s’empêcher de pousser est l’expression de son espérance contre toute espérance, appel inarticulé à la miséricorde divine.
L’action bouleversante du Sauveur qui envoie l’Esprit, l’Illuminateur, donne à Marie l’Égyptienne, dans l’impasse de sa solitude, les larmes du repentir. Mais ce n’est qu’un don préparatoire. A travers ces larmes qui lavent son regard, elle peut désormais discerner dans l’icône de la Mère de Dieu le signe de sa présence compatissante. Dès lors, et c’est là le véritable bien spirituel, celle qui est maintenant une pénitente peut confesser explicitement sa faute à la Toute Pure. Retrouvant la parole, elle peut conclure avec elle un pacte, une alliance, où elle offre son propos de conversion contre l’assurance d’être secourue.
Et la montée vers la Lumière se poursuit. Tout lui est désormais montré puisqu’elle accueille « le feu de la foi comme quelque chose de certain ». Les portes de l’Église, lieu du salut, lui sont ouvertes. Guidée par l’Esprit, elle peut voir le Bois vivifiant, la Croix du Fils, et comprendre comment le Père attend le repentir des pécheurs : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions par Lui justice de Dieu »[9]. Elle contemple Jésus qu’elle persécute et comprend le mystère de la divine Économie.
On aurait tort de croire qu’il s’agit là seulement d’une saisie purement intellectuelle. Les verbes grecs employés désignent tous une connaissance impliquant une participation. Marie l’Égyptienne communie de tout son être de pécheresse pardonnée à l’amour qui la sauve.
Dans le mouvement même de la charité retrouvée, elle s’incline devant tous. Son péché n’a pas seulement été un refus du Ciel. Il fut tout autant une injure à la terre. De là provient son étonnement : « Comment la terre n’a-t-elle pas ouvert la bouche et fait descendre en enfer toute vivante celle qui prenait tant d’âmes dans ses pièges ?  ». Elle comprend que tout a été créé pour elle et que, se détournant de sa vocation, elle a privé la création de son sens. Elle est coupable de tout devant tous. C’est pourquoi en signe de repentir, elle s’abaisse et vénère cette terre sanctifiée par les pas du Sauveur et qu’elle a offensée.
Dès lors, remplie d’action de grâces, elle retourne en hâte vers l’icône de la Mère de Dieu pour apprendre d’elle ce qu’il lui convient désormais de faire. La vérité de la conversion de sainte Marie l’Égyptienne se reconnaît à son obéissance exemplaire. L’obéissance de sainte Marie l’Égyptienne est un sacrifice, dont le prototype est celui qu’accomplit naguère Abraham offrant à Dieu pour l’holocauste l’objet même de la Promesse : Isaac, son fils. Et dont la source et l’accomplissement parfait se trouvent dans le sacrifice rédempteur du Fils unique : Lui qui « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit lui-même… obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix »[10] résolu de sa volonté propre sur l’autel de la Foi. Elle consiste d’abord en une attitude intérieure d’écoute attentive de la volonté divine, accompagnée d’une imploration sincère pour avoir la force de la mettre en pratique. L’action en découle naturellement. L’obéissance s’accomplit dans la foi, sans tergiversation inutile, et de façon décidée.
Le sacrifice de sainte Marie l’Égyptienne est accepté par Dieu. Réconciliée, elle est réintégrée dans la solidarité humaine : quelqu’un ayant vu son dénuement lui fit l’aumône de trois pièces de monnaie. Elle fait partie désormais de ces pauvres que Dieu aime et qui reçoivent tout de Lui. Elle comprend que ce qui est donné par charité est icône du don permanent que Dieu fait de lui-même. « J’emportai l’offrande qui m’était faite et j’achetai grâce à elle trois pains que je considérais comme un viatique de bénédiction ».

Une vie de pénitence

Parvenue au bord du Jourdain, Marie l’Égyptienne inaugure son existence nouvelle par un acte liturgique, une célébration de l’Alliance. Priant dans le sanctuaire de saint Jean le Baptiste, elle communie à la Parole du prophète : « Préparez le chemin du Seigneur… toute chair verra le salut de Dieu… produisez donc de dignes fruits du repentir… »[11]. Puis elle accomplit la parole : baignant ses mains dans l’eau du fleuve elle reconnaît que son péché n’est pas une simple faute morale que l’on pourrait oublier mais bien une blessure qui doit être purifiée et guérie.
Mais, elle ne baigne pas seulement ses mains, elle plonge aussi son visage dans l’eau sanctifiée par Celui qui, pur de tout péché, daigna y être baptisé. Elle laisse ainsi s’exprimer son désir de recouvrer sa beauté spirituelle. Dès lors, elle peut communier au corps très pur et au sang précieux du Seigneur Jésus. Elle s’expose à l’action salvatrice du Fils de Dieu et redevient temple du Saint-Esprit. Ainsi s’accomplit la prophétie que le prophète Malachie adressait au peuple d’Israël : « Il entrera dans son sanctuaire le Seigneur que vous cherchez; et l’ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient! dit le Seigneur Sabaot.. Il est comme le feu du fondeur et la lessive des blanchisseurs. Il siégera comme fondeur et nettoyeur Il purifiera les fils de Lévi et les affinera comme or et argent. Alors l’offrande de judas et de Jérusalem sera agréée de Yahvé comme aux jours anciens »[12].
Ayant fait de Dieu son abri, elle demeure dans le monde comme n’en étant pas. Elle communie au Christ Sauveur et l’Esprit la pousse au désert, lieu de l’union transformante. Elle s’abandonne à l’action de Celui qui est seul à connaître et la profondeur de son cœur et l’étendue de son mal. Elle comprend et accepte que l’œuvre de sa régénération, déjà acquise en Dieu, ne s’accomplisse que progressivement puisqu’elle est encore dans le temps. Dans son obéissant désir, franchissant le Jourdain, elle fera l’expérience de la vie pénitente. Elle s’avance donc hardiment dans le feu du désert.
Dépouillée de tout appui humain, solitaire dans un milieu hostile, Marie l’Égyptienne voit inexorablement diminuer le peu d’autosuffisance qu’elle possède encore : les pains qu’on lui a offerts s’épuisent et le vêtement qu’elle porte s’use. La voici réduite à ne devoir sa subsistance qu’aux herbes du désert et à vivre nue. Sans abri, elle fait l’expérience de la vie de pauvre qui lui rappelle sans cesse et sa fragilité et sa dépendance. Elle n’a d’espérance qu’en Dieu seul. Elle comprend qu’Il élève les humbles. Elle grandit dans la Foi. Elle accepte de demeurer volontairement immobile sous l’action divine. Faisant taire tout raisonnement humain, elle a confiance. Sa vie présente en la chair, elle la vit dans la foi au Fils de Dieu[13]. Son existence dans ce lieu de mort et de désolation qu’est le désert est un miracle par lequel lui est donnée la crainte de Dieu. Il n’est pas ici question de peur mais plutôt du sentiment paradoxal de celui qui, tout en reconnaissant son néant, se sait aimé et garde fidèlement l’espérance d’être sauvé. L’authenticité de cette sainte crainte est vérifiée par l’obéissance : Dieu dit à Abraham :« je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils unique »[14]. Ainsi, espérance, foi, crainte de Dieu et obéissance sont les multiples aspects d’une attitude unique qui ne dit pas encore son nom et qui n’est rien d’autre que la charité.
Dans cette synergie avec Celui qui la conduit et la sauve, Marie l’Égyptienne est semblable à Israël au désert. La purification de son cœur a pour condition les contraintes de la vie risquée, mais elle ne s’accomplit que dans le combat contre les suggestions diaboliques. C’est pour cette lutte qu’elle a été conduite au-delà du Jourdain en ces contrées hostiles. Il faut que se révèlent au grand jour les puissances ténébreuses qui, bien que terrées depuis sa conversion, l’habitent encore après avoir régi sa vie. Elle les terrassera non par sa vigueur mais bien plutôt par sa faiblesse. Elle sera vainqueur par l’appui qu’elle prendra sur le Roc du Salut grâce à l’intercession de la Mère de Dieu. Prosternée à terre, elle obtient d’échapper au filet de l’oiseleur. Bien plus, par cette victoire qu’un Autre remporte pour elle, elle est transformée.
Quand l’assaut des tentations met en demeure Marie l’Égyptienne de se jeter à terre, elle confesse par son attitude sa condition de créature égarée. Telle est son humilité. Elle s’offre ainsi, dans l’immobilité, à une mystérieuse Lumière qui vient d’en-haut par grâce et qui est tout autant la réponse du Père à sa détresse que l’action du Christ sauveur, Lumière du monde ou le don de l’Esprit, l’Illuminateur qui purifie de toute souillure. Cette épiclèse accomplit le renouvellement de son être.
C’est ainsi que d’alliance en alliance, de hauteur en hauteur, Marie l’Égyptienne est guérie, purifiée, installée dans des dispositions stables pour la vie de charité, d’union à Dieu. Communiant au seul qui est Saint, elle n’a plus de vie, de repos qu’en Lui. Il est l’objet unique de son attention. Rien n’a d’intérêt qu’en Lui. Marie l’Égyptienne, pauvre de tout, riche de Dieu, recouvre sa virginité spirituelle et redevient elle-même, telle que Dieu l’a désirée avant la création du monde.
Le temps passé au désert dans cette lutte spirituelle se compte en années. Dix-sept ans. Une durée égale à celle où elle a vécu dans la débauche.

La vie en Dieu

Marie l’Égyptienne entre dans ce que l’on peut considérer comme la troisième étape de sa vie spirituelle, si l’on peut employer ce langage. Purifiée par la solitude, la nudité, les dangers encourus, elle accepte de ne devoir son existence qu’à une grâce dont elle se sait indigne. Accoutumée à devoir supplier pour tout, elle vit pour Dieu et demeure en Lui. On n’insistera jamais trop sur le caractère concret de cette communion à Dieu dans laquelle progressivement elle se détourne de la préoccupation de soi et en vient à aimer Dieu pour Lui-même. Elle Lui parle dans la chasteté d’une charité véritable. Objet de la grâce divine, initiée à la communion avec Dieu, elle est le trésor que Dieu a caché au désert.
Dans cet acte apparemment fou qui consiste à se renier soi-même aussi totalement, et qui devrait la conduire à une mort certaine, Marie l’Égyptienne trouve la vraie vie. Elle fait l’expérience de la foi et, par la foi, est introduite dans le mystère d’une existence eucharistique. Elle voit et comprend de quelle façon mystérieuse seule la bénédiction divine lui permet de subsister dans un monde si hostile. Elle habite un permanent miracle. Elle est tout entière revêtue de l’Esprit. Le Père qui la protège Le lui confère. L’Esprit l’inspire et la conduit à la Vérité tout entière. Par Lui, elle est initiée à la Parole de salut. Elle est introduite dans la connaissance des Écritures sans qu’elle ait jamais appris les lettres. Elle est théodidacte, enseignée par Dieu. Communiant à la Parole, Marie l’Égyptienne devient compagne de vie du Verbe de Vérité. Dans cette union mystique elle trouve désormais nourriture et protection. Dans la Présence du Père, elle est conduite par l’Esprit au Sauveur crucifié et glorifié, et reçoit de Lui, en retour, une participation accrue à la grâce de ce même Esprit-Saint. Prise ainsi entre les deux mains du Père, elle est le lieu docile où peut s’accomplir le désir divin exprimé dans le secret trinitaire: « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance »[15]. C’est ainsi que Marie l’Égyptienne vit dans la communion trinitaire dès ici-bas. En cette existence eucharistique, elle devient ce qu’elle contemple. Encore sur terre, elle ne vit que du Ciel. Elle confesse que la grâce de l’Esprit suffit à conserver dans son intégrité l’être de sa personne. Cependant comme son passage sur l’autre rive n’est pas encore accompli, elle reste affamée et assoiffée de la communion au corps même et au sang même de son Seigneur et Sauveur.
Cet élan spirituel qui conduit Marie l’Égyptienne de commencements en commencements ne lui confère en rien l’assurance d’avoir gagné un havre de salut. Bien plutôt, malgré la permanence des prévenances divines, Marie l’Égyptienne demeure consciente de sa faiblesse. Elle sait que tout se joue dans le mouvement oblatif de sa liberté. Elle confesse sa condition de créature, poussière et cendre, pécheresse protégée par le rempart du Saint Baptême. Son identité profonde, même dans cet état spirituel élevé n’est jamais que celle d’une pécheresse pardonnée. C’est pourquoi elle se confie en tout à sa sainte protectrice, à Celle qui se porte garant de la vérité de sa conversion devant le Christ Sauveur. La très pure et toute bénie Mère de Dieu ne cesse de l’accompagner de sa sollicitude maternelle et de la conduire par la main sur le chemin étroit de l’obéissance aimante.
Non contente d’implorer encore le secours du Ciel, elle supplie aussi abba Zossima qu’elle a rencontré par la volonté divine d’intercéder pour elle afin de trouver grâce au jour du jugement. Même ornée des charismes les plus étonnants, elle ne se considère pas comme spirituelle. Elle se tient devant Dieu et devant toute créature dans une pieuse crainte. Amenée par Dieu à confesser ses errements passés, elle redoute que cette évocation ne fasse resurgir malgré elle des tentations dont elle n’a sûrement pas l’orgueil de croire qu’elle peut les vaincre à nouveau. Elle craint parce qu’elle sait la Puissance du Malin, aussi habile à duper l’intelligence qu’à utiliser la mémoire : le récit de sa confession pourrait comporter des dangers tant pour elle que pour d’autres. Et sa délicatesse est telle qu’elle craint même, en faisant le récit de ses turpitudes, de salir l’air. Elle sait quel drame le péché des hommes constitue pour eux et quelle catastrophe il entraîne pour le cosmos.
Qu’on n’aille pas cependant croire que Marie l’Égyptienne, vivant en Dieu, est en proie à une perpétuelle terreur. La crainte que nous venons d’évoquer s’exerce toujours dans le cadre de la communion aimante. Car si Marie l’Égyptienne, comme les trois jeunes gens dans la fournaise, vit consciemment au milieu des dangers, elle sait aussi quelles sont ses armes de salut. Outre la protection de sa Garante, elle est munie du signe de la divine et vivifiante Croix qu’elle a vénérée à Jérusalem. Par le signe de la croix, elle foule les flots du Jourdain pour aller communier à son Seigneur. Par le signe de la croix, elle scelle son front, sa bouche et sa poitrine pour les fermer à l’Adversaire. Par le signe de la croix elle connaît l’humble assurance de ceux qui sont sauvés par grâce.
Ainsi donc communiant à Dieu, comme nous l’avons dit, elle a part à l’élan de l’Esprit vers le Père. Sa synergie aux gémissements ineffables de l’Esprit est telle qu’elle est soulevée de terre lorsqu’elle s’adresse à Dieu. L’ascèse du désert et la grâce divine ont rendu à son corps sa légèreté spirituelle, c’est pourquoi elle peut traverser le Jourdain en marchant sur les eaux. Sa douceur aux motions de l’Esprit, son ardente obéissance lui font parcourir en une heure la distance qu’abba Zossima mettra vingt jours à franchir.
Mais le don de l’Esprit ne consiste pas seulement en cet accomplissement de sa personne. Cette perfection ne serait rien si elle n’était mise au service de la vocation de tout homme à entrer dans l’intimité divine. Tout ce travail solitaire de régénération trouve sa perfection dans le mouvement apostolique de son cœur. Marie l’Égyptienne mène une vie angélique, unissant étroitement le service de la liturgie céleste et celui de la divine philanthropie. L’amour de Dieu ne saurait se diviser, opposer le premier commandement au second. De fait, Marie l’Égyptienne a fait siennes les pensées et les volontés divines. C’est pourquoi, rencontrant abba Zossima, elle commence d’abord par s’inquiéter des affaires de l’Église, de l’empire, de la vie des chrétiens. Il ne s’agit pas là d’une vaine curiosité mondaine, mais du désir aimant de voir la paix divine s’étendre à toute créature. Habitée par l’Esprit-Saint, elle a le cœur pur. Elle sonde les cœurs et les reins. Elle connaît les pensées cachées et perçoit chacun dans la lumière de Dieu. Sans l’avoir jamais rencontré, Marie l’Égyptienne connaît le nom et la dignité sacerdotale d’abba Zossima. C’est dire qu’elle a une juste perception du mystère de sa vocation personnelle. Elle peut contempler en lui le nom prononcé de toute éternité par le Père dans le sein de la sainte Trinité et qui le constitue. Elle voit la place assignée par Dieu à abba Zossima dans le corps du Christ qu’est l’Église et lui transmet avec autorité, de la part de Dieu, des recommandations et des directives. Cela ne l’empêche pas d’accepter de lui les services voulus par Dieu, et de donner tous les signes de la soumission à son autorité sacerdotale.
Mais ce qui constitue son œuvre apostolique est bien moins ce qu’elle transmet de la part de Dieu, que son être même transfiguré par le don de Dieu et le récit des merveilles accomplies en sa faveur. Elle montre à abba Zossima qu’il est encore bien éloigné de la perfection mais surtout avive en lui le désir d’avoir part à l’Esprit qui confère un tel accomplissement et une telle beauté spirituelle.
Après la mort de la sainte, et jusqu’à nos jours, beaucoup trouveront dans cette confession, mieux qu’un exemple, une assistance. Et cette aide, ce renouvellement de leur courage dans l’élan vers Dieu, les remplit d’étonnement et d’émotion de sorte qu’ils gardent toutes ces choses et les méditent dans leur cœur. Tel est le stade qui nous est ouvert maintenant.

Notes

[1] Lc 2, 41-52

[2] Dt 5, 6-22 ; Ex 20, 1-17

[3] Lc 11, 27

[4] 1Cor. 10, 10

[5] 1Pierre 5, 8

[6] Jn 8,44

[7] Is 49, 15

[8] Sag 11, 24

[9] 2Cor 5, 21

[10] Phil. 2, 68)

[11] Lc 3, 4-5 et 7

[12] Mal 3, 1-4

[13] cf. Gal 2, 20

[14] Gen. 22,12

[15] Gen 1, 26