Martyrs Orthodoxes ayant séjourné au Frontstalag 122 de Compiègne — camp de Royallieu, durant la seconde guerre mondiale, puis envoyés dans les camps d’extermination en Allemagne.

Quatre Martyrs de Paris - détail de l'icône peinte par A. Philippenko

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D’autre part :

Aperçu rapide de la vie des nouveaux canonisés

Mère Marie Skobtsov, née d’une famille aristocratique dans les dernières heures de la monarchie russe, instruite et cultivée, vedette des salons littéraires de Saint-Petersbourg, mariée deux fois, mère de trois enfants, divorcée, révolutionnaire, menacée de mort pendant la Révolution russe autant par les « Blancs » que par les « Rouges », exilée en Turquie, en Serbie puis en France, mère Marie Skobtsov était une passionnée de la vie. Devenue moniale en 1932 à l’âge de 41 ans, elle dirige sa passion pour la vie vers la Vie, le Crucifié-Ressuscité, et elle devient un apôtre de l’amour du prochain par le « sacrement du frère ». Elle se donne corps et âme pour tous les rejetés de la société : les pauvres, les sans-abri, les handicapés, les alcooliques, les prostituées, les drogués, les criminels, les malades mentaux et, en dernier lieu, en pleine guerre mondiale, les Juifs persécutés pendant l’Occupation allemande de la France. Son monastère était nul autre que le « désert du cœur des hommes ». Arrêtée par l’Occupant, déportée en Allemagne, elle meurt dans le chambre à gaz au camp de concentration de Ravensbrück le Samedi saint 31 mars 1945. Mère Marie est morte comme elle a vécu, suivant son Maître jusqu’au Golgotha pour ses bien-aimés.

Père Dimitri Klépinine, né en 1904, a été l’aumônier à la cantine et foyer établi par mère Marie à la rue de Lourmel à Paris. Marié à et père de deux enfants, Hélène et Paul, le père Dimitri a collaboré avec mère Marie à cacher des Juifs pendant l’Occupation de la France. Arrêté le 9 février 1943, quelques jours avant mère Marie, il a été déporté en Allemagne et est mort au camp de Dora le 9 février 1944.

Youri (Georges) Skobtsov, né en 1920, était le fils de mère Marie. Il servait comme sous-diacre à la chapelle de la rue de Lourmel et se destinait à la prêtrise. Arrêté le 8 février 1943, il a été emprisonné quelques temps avec père Dimitri Klépinine à Compiègne puis déporté au camp de Dora en Allemagne, où il est mort le 6 février 1944.

Ilya (Élie) Fondaminsky, né en 1881 à Moscou, juif d’origine, collaborait, avec mère Marie et d’autres, dans l’Action orthodoxe. Arrêté par les nazis, il a été baptisé dans le camp de détention de Compiègne peu avant d’être déporté à Auschwitz, où il est mort.

La vie du foyer rue de Lourmel

Le père Dimitri KLÉPININE et mère MARIE (Skobtsov), ainsi que leurs compagnons Georges SKOBTSOV, fils de mère MARIE, et Elie FONDAMINSKIÏ, ont témoigné de leur fidélité au Christ et de leur engagement à vivre complètement son Évangile, en sauvant, au prix de leur propre vie, de nombreux juifs sous l’Occupation nazie (SOP 276.7). En 1935, mère MARIE, une poétesse et artiste devenue moniale, avait fondé, au 77 de la rue de Lourmel, dans le 15e arrondissement de Paris, un centre d’accueil et un foyer pour personnes sans domicile fixe, donnant ainsi toute sa dimension spirituelle à l’action sociale et prônant le développement d’un “monachisme dans la cité, dans le désert des coeurs humains”. Aidée par un groupe de laïcs, membres de l’association “L’Action orthodoxe” qu’elle avait créée, elle était au service des chômeurs et des sans-papiers, organisant une cantine, des ateliers, un bureau d’aide sociale. Le père Dimitri KLÉPININE, jeune prêtre parisien, diplômé de l’Institut Saint-Serge, marié et père de deux enfants, fut chargé, à partir de 1939, de la paroisse dédiée à la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, qui avait été ouverte auprès du foyer. Durant l’Occupation, de nombreux juifs persécutés y furent accueillis et cachés. En 1942, lors de la rafle du « Vél’ d’hiv’ », mère MARIE réussit à pénétrer à l’intérieur de l’édifice et à sauver la vie de quelques enfants.

Arrestation, internement au camp de Compiègne et déportation

Le 8 février 1943, une perquisition eut lieu dans les locaux de la rue de Lourmel. En l’absence des dirigeants de l’association, le fils de mère MARIE, Georges, âgé d’une vingtaine d’années, fut emmené en otage par la Gestapo. Le 9 février, soit un an jour pour jour avant sa mort, le père Dimitri KLÉPININE célébrait une dernière liturgie eucharistique dans la chapelle du foyer, avant de se rendre à la convocation de la Gestapo. Le lendemain, mère MARIE, venue obtenir la libération de son fils était elle aussi arrêtée. Tous trois furent internés, d’abord au fort de Romainville, puis au camp de Compiègne, avant d’être déportés en Allemagne. Le père Dimitri KLÉPININE mourut d’une pneumonie au camp de Dora, le 9 février 1944 (SOP 186.30), tout comme Georges SKOBTSOV, qui lui aussi avait été déporté à Dora. Proche collaborateur de mère MARIE à “L’Action orthodoxe”, Élie FONDAMINSKIÏ, un intellectuel russe d’origine juive, venu peu à peu à la foi chrétienne, avait été quant à lui arrêté par les nazis dès 1941. Il reçut le baptême alors qu’il était interné au camp de Compiègne (Oise), avant d’être déporté à Auschwitz où il devait périr le 19 novembre 1942. Mère MARIE fut gazée à Ravensbrück, le 31 mars 1945, selon certains témoignages elle aurait pris la place de l’une de ses codétenues (SOP 171.29). Un appel en vue de sa canonisation, recueillant de nombreuses signatures de personnalités orthodoxes, mais aussi catholiques et protestantes, avait été adressé au patriarche ALEXIS II de Moscou en août 1993 (SOP 171.18). Mère Marie SKOBTSOV et le père Dimitri KLÉPININE ont reçu de l’Etat d’Israël le titre de “Justes parmi les nations” et leurs noms sont inscrits au mémorial Yad Vashem, à Jérusalem. Une biographie spirituelle de Mère MARIE ainsi qu’un choix de poèmes et essais de sa main traduits en français ont été rassemblés dans un ouvrage publié par Hélène ARJAKOVSKY-KLÉPININE sous le titre Le sacrement du frère (éditions “Le Sel de la Terre”, 1995, 2e éd. 2001) (SOP 197.26). Une autre biographie, de Laurence VARAUT, Mère Marie Skobtsov est parue aux éditions Perrin en 2000.”

Vie dans le camp de Compiègne – Royallieu

(extraits de La sainte et l’incroyante de Dominique Desanti)

… On envoya les hommes à Compiègne-Royallieu. Le père Dimitri, Youri et Pianov y ont retrouvé Élie Fondaminski, qui, relâché une première fois en 1940, avait été repris. Ils formèrent leur « coin Lourmel » qui attira d’autres prisonniers, orthodoxes ou non, avec prières, discussions et conférences sur la théologie, la morale, et parfois la littérature. Le 18 septembre 1943, Dimitri put écrire au métropolite Euloge. « Ici aussi nous avons notre petite communauté. Avant-hier nous avons accueilli un protestant dans l’orthodoxie. »

Pianov exprimera, après la guerre, son admiration croissante pour Dimitri Klépinine : « Dieu peut parler à travers un homme. J’ai appris quel immense secours spirituel, mental et moral un homme peut être pour d’autres hommes, comme ami, comme camarade et comme confesseur. » Le prêtre, comme Marie, est inventif. Ils ont découvert une baraque déserte, avec des lits désaffectés. Ils en ont renversé deux latéralement, posant en travers un sommier: voilà un porche orné d’images saintes découpées avec, derrière, une table qui servirait d’autel. Fier de son ingéniosité, Dimitri en envoie un croquis aux siens. Il continue à jouer. Ils ont droit aux colis et aux livres. Youri sent s’affermir sa vocation, l’écrit à sa grand-mère et à son père, avouant que «quelques questions l’embarrassent encore», celle du mariage entre autres. Mais il pense que cela « se résoudra tout seul ». Ici, Élie Fondaminski prend la plus difficile décision de sa vie. Lui, qui répétait n’être pas digne du baptême, le réclame, pressentant peut-être ce qui l’attend.

Lors de l’Occupation, il avait écrit à une amie, découvrant pour la première fois la profondeur de ses appartenances (il était seul citoyen français du groupe Lourmel). « Oui, je l’avoue, je suis profondément malheureux, comme j’ai été malheureux quand le malheur personnel m’a frappé. » De sa seconde captivité, à Compiègne, il dit au contraire, le 29 juin 1941 : « Je me sens merveilleusement bien, paisible et de bonne humeur. Seule me manque la Bibliothèque nationale, mais je lis quand même beau­coup. »

Et le 25 janvier 1942 : « On dit de moi que je suis le prisonnier le plus joyeux du camp. » Un Lourmélien proche de Marie, Georges Fédotov, plaisantait : « Je ne sais pas si je peux me dire l’ami de Fondaminski, il est l’ami de tous. » Il cherchait, comme Marie, l’être malheureux pour le tirer vers sa joie à lui, répétant son éternel « parfait, parfait ». La privation, la souffrance n’éveillait en lui que la compassion.

À propos du baptême, Fédotov assurera, peut-être en réponse à des doutes exprimés par la famille Fondaminsk i: « Aucune pression ne fut exercée sur lui. Ce fut au contraire le prêtre qui célébra son baptême qui subit son ascendant, sa supériorité spirituelle et théologique. »
Ce prêtre (le père Dimitri) raconta qu’après le baptême, pendant la liturgie précédant la première communion d’Élie, des gardiens ont interrompu l’office, exigeant que l’église ferme sur l’heure. Le sacrement fut achevé dans un baraquement. « C’est ainsi que le vieux clandestin rencontra clandestinement son Christ. »
Ce fut sans doute la dernière de ses heures bleues (il attribuait ce nom de parfum à ses moments heureux). Fédotov confirme que la mort d’Élie fut « en partie volontaire ». Comment aurait-il ignoré la menace de déportation qui pesait sur lui ? Peu après, il tomba gravement malade et le médecin obtint son transfert à l’hôpital de Compiègne où des amis socialistes avaient préparé son évasion. Il refusa, inventant une devise: « Vivre avec les chrétiens et mourir avec les Juifs. »
Les circonstances exactes de sa fin demeurent incertaines. Après la guerre, sa famille fut informée de sa mort en déportation le 19 novembre 1943. (Donc il a su la résistance de l’Urss, et a dû se réjouir que sa patrie d’origine soit désormais « du bon côté. ») Sans doute finit-il à la chambre à gaz d’Auschwitz. Il avait soixante-quatre ans et vécut vingt ans en symbiose «avec les chrétiens ».
Élie fut parmi les plus proches de Marie, apportant conseil et secours, fondant Novy Grad (« La cité nouvelle »), la revue où elle aimait s’exprimer, premier auditeur de ses écrits, confident de ses doutes, de ses angoisses, de ses élans (sans compter son aide fréquente aux fins de mois difficiles). …

Le père Dimitri et Youri se trouvaient encore à Royallieu quand, dans la nuit du 20 avril, des prisonnières de Romainville y furent amenées en camion, et entassées dans des baraques infestées de rats. Ce doit être à leur arrivée que Danili Skobtsov, sur la route, a vu « sa femme » dans le camion de transport. Rosane Lascroux se souvient du regard qu’ils ont échangé. Et en conclut qu’il était fou amoureux d’elle.

… Il (Danili Skobstsov) aimait à raconter comment, averti du transfert à Compiègne, il avait guetté le camion et l’y avait vue, comment leurs yeux s’étaient trouvés, et qu’elle lui avait souri du sourire d’autrefois, le sourire de Lisa, plein de vie, de joie, d’espoir. Il a même écrit un texte sur elle. La rencontre des regards s’est faite à l’arrivée des prisonnières, puisque Youri en parle dans une lettre au père et à babouchka. « J’ai vu maman… Elle m’a dit qu’elle avait vu papa, qu’il avait une expression trop triste, qu’ elle l’aime fortement et tendrement, qu’ il ne fallait pas s’inquiéter pour elle. » Youri avait pu parler à sa mère, et prier avec elle avant sa déportation, dans la nuit du 21 au 22 avril 1943. Il transportait, dit Rosane Lascroux, des bidons pour avoir un prétexte d’approcher le groupe des femmes. Et elles avaient toutes monté la garde pour garantir ces heures à la mère et au fils. « Elle avait un moral extraordinaire », écrit-il. Il lui a promis de toujours « se comporter honorablement », de « ne jamais perdre la tête ». À la fin de leur longue prière commune, elle l’avait adjuré de ne pas avoir peur.

On avait proposé au jeune homme de rejoindre les émigrés russes enrôlés sous le drapeau nazi que commandait le général Vlassov. Il refusa par deux fois. Le père Kiépinine n’accepta aucune intervention pour le libérer, ou simplement lui éviter la déportation ce que le métropolite aurait voulu tenter. Il refusa d’être privilégié en tant que prêtre.

Youri, Klépinine et Pianov seront emmenés vers le camp de Buchenwald le 16 décembre. Le 25 janvier 1944, le prêtre et Youri (qui refusa une seconde fois l’armée Vlassov) furent sélectionnés pour l’usine de fusées souterraine construite à Dora, à quarante kilomètres. On savait déjà au camp qu’on y mourait d’épuisement. La furonculose de Youri dégénéra en septicémie. Le 6 février 1944, on l’emporta au Revier, infirmerie surpeuplée. J’ignore par quelle voie et quand sa mère apprit sa mort. Le père Dimitri subit la haine des nazis pour les prêtres réfractaires, adversaires redoutés. D’où l’acharnement des surveillants et des kapos. À l’arrivée, dans un transport de 921 hommes de Compiègne, le père Dimitri avait été immatriculé comme Français, tatoué d’un F. Mais, indigné par le sadisme des gardiens envers les Russes, il se déclara solidaire d’eux, et se laissa tatouer un R qui l’exposait aux coups et à des tâches, pour lui, physiquement, littéralement meurtrières. À un camarade demandant s’il pourrait tenir, Dimitri avait répondu, forçant son sourire: «Oui, mais pas très longtemps. » C’est en 1995 que sa fille Hélène apprit, indirectement, qu’un détenu russe, devenu kapo par instinct de conservation, passait par un jour glacial de février devant le Schonung (bureau d’exemption du travail) où gisaient, à même le sol gelé, des malades incapables de se mouvoir et que le Revier ne pouvait plus accueillir. Il reconnut un prêtre, dont des Russes lui avaient parlé et dit le nom. Horrifié par ce mourant abandonné, il se pencha, lui parla en russe. L’agonisant lui demanda de prendre sa main droite gonflée, qu’il ne pouvait plus bouger, et de lui faire exécuter le signe de croix sur lui. L’homme avouait, vingt et un ans plus tard, qu’il avait soudain compris sa propre lâcheté. Dans son dernier souffle, Dimitri avait transformé cet inconnu terrifié en pénitent.

Le père Klépinine est mort, comme Youri, en février 1944.