Appelé aussi dimanche de carnaval, c’est le dernier dimanche où l’on peut consommer des produits carnés.

Extrait : « Le grand Carême[1] »

[…] En effet, qu’est-ce que l’amour, sinon ce pouvoir mystérieux qui permet de transcender l’extérieur et l’accidentel chez l’« autre » — son aspect physique, son rang social, son origine ethnique, ses qualités intellectuelles — pour atteindre l’âme, la racine unique et personnelle d’un être humain, autrement dit la part de Dieu en lui ? Si Dieu aime tout homme, c’est parce que, seul, il connaît l’inestimable trésor, absolument unique, « l’âme » ou « la personne » qu’il a donné à chaque homme. […]

Dans cette perspective, l’amour chrétien est parfois l’opposé de l’activisme social, si souvent identifié au christianisme. Pour un « activiste social » l’objet de l’amour n’est pas la personne, mais l’homme, l’unité abstraite d’une non moins abstraite humanité. Pour le christianisme, l’homme peut être objet d’amour parce qu’il est une personne. Là, la personne est réduite à l’homme ; ici, l’homme est considéré uniquement en tant que personne. L’activisme social n’a aucun intérêt pour le « personnel » et le sacrifie aisément au « bien commun ». […] L’activisme social est toujours « futuriste » dans ses perspectives ; il agit toujours au nom d’une justice, d’un ordre, d’un bonheur futur à réaliser. Le christianisme se préoccupe peu d’un avenir hypothétique, mais il donne toute l’importance au « maintenant », comme le seul temps décisif pour aimer. […]

La parabole du Jugement dernier traite de l’amour chrétien. […] Nous savons que, si des hommes sont en prisons, ont faim et soif, c’est parce que cet amour personnel leur a été refusé. Enfin nous savons que, si étroit et limité que soit le cadre de notre existence, chacun de nous a été rendu responsable d’une petite partie du Royaume de Dieu, rendu responsable par le don même de l’amour du Christ. Oui ou non, avons-nous accepté cette responsabilité ? […]

Extraits des textes du triode

Première stichère de lucernaire :

Quand Tu viendras faire le juste Jugement sur le siège de ta gloire, très juste Juge * un fleuve de feu terrifiant entraînera tous les êtres devant ton Trône[2] * Les puissances célestes et les hommes jugés chacun selon ses œuvres * dans la crainte T’entoureront * Alors épargne nous, Christ, donne nous la part des sauvés, en Ta miséricorde * Nous Te supplions dans la foi.

Stichère de la litie :

Nous qui connaissons les commandements du Seigneur * menons en eux notre vie * Nourrissons ceux qui ont faim, donnons à boire à ceux qui ont soif * revêtons ceux qui sont nus, recevons les étrangers * visitons les malades et ceux qui sont dans les prisons * afin que nous dise Celui qui viendra juger toute la terre * Venez les bénis de mon Père, hériter le Royaume préparé pour vous.

Kondakion :

Lorsque Tu viendras, Dieu, dans la gloire sur la terre et que tremblera l’univers * un fleuve de feu emportera tout devant le Trône * les livres seront ouverts et les secrets seront révélés * Alors délivre moi du feu qui ne s’éteint pas * et donne moi d’être à ta droite, très juste Juge.

Première stichère des laudes :

Je songe à ce jour et à cette heure * où nus et comme des condamnés nous devrons tous comparaître devant le Juge intègre * Alors sonnera la grande trompette * trembleront les fondements de la terre et les morts ressusciteront des tombeaux * tous n’auront plus qu’un même âge et leurs secrets seront devant Toi * Ceux qui jamais ne se sont repentis seront retranchés et renvoyés pleurant dans le feu extérieur * Mais l’héritage des justes exultera dans la joie * il entrera dans la demeure du ciel.

Évangile du Jugement dernier

(Mt XXV,31-46)

En ce temps-là, Jésus déclara : « Lorsque le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, avec tous les anges, il s’assiéra sur le trône de sa gloire. Toutes les nations seront assemblées devant lui. Il séparera les uns d’avec les autres, comme le berger sépare les brebis d’avec les boucs ; et il mettra les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; prenez possession du royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde. Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu étranger, et t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ? Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison, et sommes-nous allés vers toi ? Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites. Ensuite il dira à ceux qui seront à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits ; allez dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas recueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. Ils répondront aussi : Seigneur, quand t’avons-nous vu ayant faim, ou ayant soif, ou étranger, ou nu, ou malade, ou en prison, et ne t’avons-nous pas assisté ? Et il leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n’avez pas fait ces choses à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne les avez pas faites. Et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle. »

Les temps derniers[3]

[…]
Devant le tribunal du Christ et de ses Saints, la liberté de chacun sera sauvegardée. Chaque homme verra clairement toutes ses actions passées, ses pensées, ses sentiments. Les hommes se connaîtront aussi totalement les uns les autres. La Justice divine fera clairement apparaître la valeur de chacun, c’est-à-dire son repentir et son humilité devant le Dieu Juge et son adhésion à Dieu qui est notre Défenseur. Il ne faut pas comprendre le résultat de ce jugement comme une punition ou une récompense : il s’agira du fruit juste et nécessaire produit par la vie de chacun. Dès notre vie présente, nous devons faire mûrir ce fruit et ressentir dans notre cœur les prémices du Royaume des Cieux.

Toutes les facultés trouveront leur plénitude dans le Royaume futur. De nombreux docteurs de l’Église parlent de la Béatitude comme d’un progrès continu dans l’union avec Dieu et avec les créatures qui reflètent Sa beauté et Son image. L’éternité apparaît comme une éternelle nouveauté, un émerveillement toujours renouvelé. Quant à la condamnation, on pourrait dire qu’elle vient de l’homme lui-même : tous les hommes seront plongés dans l’amour divin, car « Dieu sera tout en tous ». Mais ceux qui refusent de s’ouvrir à cet amour par le repentir et l’humilité le ressentiront comme un feu qui consume au lieu de restaurer. St Isaac dit à ce propos de « regret de l’amour offensé ».

Dans le siècle futur, une unité absolue s’établira entre l’état intérieur, spirituel de l’homme, et son état extérieur, dans la souffrance ou la béatitude.

Les premiers chrétiens attendaient avec impatience le Retour du Seigneur. Telle doit être également notre attitude, si notre amour pour Lui est véritable, car « l’amour véritable ne connaît pas la crainte ». Cet amour et cette impatience, joints à la pénitence, doivent déterminer notre vie entière. Les écrits du Nouveau Testament s’achèvent sur l’appel : « Viens, Seigneur Jésus »[4].

De la pensée de la Mort[5]

Les premiers chrétiens attendaient le retour imminent du Seigneur, et ce sentiment imprégnait profondément leur vie et leur permettait de relativiser les choses du “monde” en face du Royaume. L’Église enseigne que garder constamment le sentiment que nous pouvons nous présenter devant le Seigneur d’un instant à l’autre, ce que les Pères appellent “souvenir de la Mort”, “pensée de la Mort”, est une arme puissante pour nous inciter à secouer la torpeur de notre âme. Ce sentiment n’est pas un sentiment morbide, et il ne doit surtout pas le devenir, mais il est le premier pas vers humilité et la reconnaissance de notre impuissance à nous sauver par nous-mêmes. Transformé petit à petit par la Grâce, il devient un sentiment joyeux de l’attente de la rencontre avec Celui qu’on aime, comme l’évoque le parabole des dix vierges chargées d’attendre l’Époux[6]. (ndlr)

1. La pensée précède nécessairement les paroles qui l’expriment. C’est ainsi que la pensée de la mort et le souvenir des péchés précédent les larmes et les gémissements que l’une et l’autre font répandre ; c’est pourquoi nous allons parler de ces deux choses dans ce lieu, selon leur ordre et leur rang.

2. Ainsi nous disons que la pensée de la mort est une espèce de mort quotidienne, et que le souvenir de notre dernière heure est un gémissement continuel.

3. Ce fut la désobéissance de l’homme, qui donna naissance à la crainte de la mort, et c’est pour cette raison que la crainte de la mort nous est devenue, en quelque sorte, naturelle. Mais savez-vous ce que nous démontre cette crainte ? C’est que notre âme n’est pas parfaitement lavée ni purifiée par les larmes et les austérités de la pénitence.

4. Le Christ, pour nous apprendre qu’il est Dieu et homme tout ensemble, et pour nous enseigner que les attributs de la nature divine et de la nature humaine sont son partage, s’est effrayé à la vue de la mort ; mais ce divin Sauveur ne l’a pas redoutée.

5. Or, comme de tous les aliments dont nous nourrissons nos corps, c’est le pain qui nous est le plus nécessaire ; de même, de toutes les choses qui doivent nourrir et faire vivre notre âme, rien ne lui est plus nécessaire que le souvenir et la pensée de la mort.

6. C’est la pensée de la mort qui a fait embrasser aux moines qui vivent en communauté, tous les travaux et toutes les austérités de la pénitence ; c’est elle qui leur fait aimer avec délices les mépris et les humiliations ; c’est encore la pensée de la mort qui fait que les solitaires qui vivent dans les déserts et loin de tout tumulte, ont généreusement renoncé à tout soin pour les choses présentes, afin de se consacrer uniquement aux saints exercices de la prière et de la méditation, et de veiller assidûment sur leur esprit et sur leur cœur. Or ces vertus sont également filles et mères de la pensée de la mort.

7. Mais observons ici que, bien que l’étain ait beaucoup de ressemblance avec l’argent, on le distingue néanmoins facilement, si on le rapproche de ce dernier métal ; de même ceux qui ont quelque expérience dans les choses qui regardent le salut, savent bien mettre une différence essentielle entre la crainte de la mort produite par un sentiment et un mouvement de la nature, et la crainte de la mort causée par l’impression de la grâce.

8. La preuve certaine et indubitable que nous craignons la mort par un mouvement de la grâce, c’est lorsque cette crainte nous porte à nous dépouiller de toute affection pour les choses créées, et nous fait renoncer parfaitement à notre propre volonté.

9. Il est louable de penser tous les jours à la mort, comme si chaque jour elle devait nous frapper ; mais c’est une marque de sainteté, de la désirer et de l’attendre.

10. Gardons-nous cependant de croire que tout désir de la mort soit bon et salutaire : car il en est qui souhaitent la mort, parce qu’ils se voient, par des penchants qu’ils n’ont pas encore pu vaincre entièrement, et par des habitudes dont il ne leur a pas été possible de se corriger parfaitement, exposés sans cesse à faire de nouvelles chutes et de nouveaux péchés ; il en est d’autres qui ne désirent la mort que par un mouvement de désespoir : ce sont des gens qui ne veulent pas faire pénitence ; il en est encore d’autres qui appellent la mort, parce qu’ils se croient affranchis de la servitude de leurs passions, et qu’ils sont parvenus à l’impassibilité ; enfin il en est d’autres qui, mus et conduits par le mouvement et les lumières du Saint-Esprit, désirent de sortir de ce monde. Mais ces derniers sont bien rares.

11. Quelques-uns sont en peine, et voudraient savoir pourquoi Dieu, vu que la pensée de la mort est si salutaire, n’a pas voulu que nous connaissions le moment où elle doit nous frapper. Mais ces personnes ne considèrent pas que Dieu, en Se conduisant de la sorte, n’a eu en vue que le plus grand intérêt de notre salut. En effet, si l’heure de la mort était connue, quel serait, parmi les hommes, celui qui s’empresserait de recevoir le baptême, de se convertir et d’embrasser la vie religieuse ? Hélas ! La plupart passeraient leur vie dans le crime ; et ce ne serait qu’à la dernière heure, qu’ils penseraient à recourir aux eaux saintes du baptême ou de la pénitence.

12. Vous qui pleurez vos péchés, gardez-vous bien des ruses du démon : il cherchera à vous tromper, en vous inspirant que Dieu est bon et miséricordieux. C’est une vérité que nous ne devons savoir que pour nous préserver du désespoir ; mais le démon, en vous la suggérant, veut par là bannir de votre cœur l’horreur et la douleur de vos péchés, et vous faire perdre la crainte de Dieu, laquelle, seule, donne la véritable sécurité.

13. Savez-vous à qui l’on doit comparer ceux qui, voulant nourrir dans leur âme la pensée de la mort et le souvenir du jugement dernier, ne laissent pas de s’embarrasser dans toute sorte de soins et d’occupations profanes ? Comparez-les hardiment à des personnes qui prétendraient nager sans avoir les pieds et les mains en liberté.

14. La pensée de la mort, que nous devons regarder pour véritable et efficace, c’est celle qui éteint en nous l’intempérance ; car, une fois qu’on a triomphé de cette passion, on en vient à facilement triompher les autres.

15. L’insensibilité du cœur produit l’aveuglement dans une âme ; mais la multitude des viandes fait tarir entièrement la source des larmes ; et la soif, la faim et les veilles affligent le cœur ; mais un cœur affligé et mortifié selon Dieu répand des larmes abondantes et salutaires. Sans doute, ces vérités paraîtront dures à ceux qui aiment la bonne chère, et impraticables à ceux qui vivent dans les bras de la paresse, mais un cœur fervent et généreux les goûtera et les pratiquera avec joie ; et par l’habitude qu’il en aura acquise, il y sera fidèle avec une indicible facilité. Celui qui ne cherchera à les connaître que pour en parler, n’y trouvera que peine et tristesse.

16. Comme nos pères enseignent communément que la charité parfaite est exempte de chute, je dis de même que la parfaite méditation de la mort est exempte de toute crainte.

[…]

Notes

[1] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine

[2] Pour les Pères, c’est le même fleuve de Feu qui entourera tous les hommes, fleuve de l’Amour divin, joie et délice pour ceux qui l’ont espéré, sensation douloureuse pour ceux qui le rejettent.

[3] Catéchisme Orthodoxe, Mgr Alexandre (Semenoff-Tian-Chansky, YMCA Press

[4] Ap 22, 20

[5] St Jean Climaque, L’échelle sainte, sixième degré.

[6] Mt 25, 1-13. Thème qui reviendra régulièrement durant les offices du carême.