Série - St Cassien - Combat spirituel

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vendredi 19 avril 2013

St Jean Cassien - Le combat spirituel - 1/3

ODT

Extrait de : Nous avons vu la vraie Lumière, père Placide Deseille, L’Âge d’Homme. Les textes sur fond vert sont ceux du père Placide et introduisent les écrits de St Cassien.

La liste des huit vices principaux que Cassien a héritée d’Évagre le Pontique est à l’origine de celle des sept péchés capitaux que saint Grégoire le Grand léguera à l’Occident latin. Mais plutôt que de péchés capitaux, les orientaux parlent de « pensées mauvaises », de « vices » ou d’« esprits » tentateurs : leur point de vue est moins celui du moraliste qui juge et catalogue les fautes commises, que celui du maître d’ascèse qui met le disciple en garde contre les suggestions des démons et les tendances mauvaises de la nature pécheresse, et lui apprend à lutter contre ces ennemis invisibles.

Après avoir exposé les institutions des monastères, j’en viens maintenant à la lutte contre les huit principaux vices, fort de l’aide que le Seigneur m’accordera par vos prières.
Le premier est la gourmandise, ou concupiscence de la bouche ; le deuxième, l’impureté ; le troisième, l’avarice, ou plutôt l’amour de l’argent le quatrième, la colère ; le cinquième, la tristesse ; le sixième, l’acédie, qui est une tristesse et un dégoût du cœur ; le septième, la vaine gloire ; le huitième, l’orgueil. (V, 1)
Les causes de ces passions, chacun les reconnaît dès qu’elles ont été dévoilées par l’enseignement reçu des anciens ; mais avant qu’elles soient révélées, tous les ignorent, bien qu’il ne soit personne qu’elles ne dévastent et qui ne les aient en soi à demeure.
J’espère pourtant réussir à les expliquer en quelque mesure si, grâce à votre intercession, la parole du Seigneur jadis proférée par Isaïe m’est aussi adressée : « J’irai devant toi, et j’humilierai les puissants de la terre ; je romprai les portes d’airain et je briserai les verrous de fer ; je te découvrirai des trésors cachés et des mystères secrets »[1]. (V, 2)

L’esprit de gourmandise – premier combat

La gourmandise est l’expression à la fois la plus élémentaire et la plus significative de l’appétit de jouissance égoïste qui caractérise la nature déchue : « absorber par la bouche, dévorer, c’est le symbole fondamental de toute captation » (P. Régamey). L’homme ne saurait, sans la combattre, s’ouvrir aux valeurs spirituelles. Aussi Cassien la désigne-t-il tout spécialement comme un des premiers adversaires à vaincre.

Le premier combat que nous devons engager est contre l’esprit de gourmandise, que nous avons appelé aussi concupiscence de la bouche. (V, 3)

Jeune et discrétion

Dans le corps mystique du Christ, tous les membres n’ont pas reçu la même grâce : nous ne pourrons donc pas être au même degré des modèles d’austérité ; chacun devra cependant, selon la mesure de ses forces, pratiquer cette sobriété corporelle qui est un signe efficace de la purification de l’âme.

Il est bien difficile, sinon impossible, de trouver dans un seul homme le modèle de toutes les vertus. Cependant, bien que le Christ ne soit pas encore tout en tous, ainsi que le dit l’Apôtre[2], néanmoins nous pouvons le découvrir en tous comme par parties. Il est dit de lui : « Il a été fait notre sagesse, notre justice, notre sainteté et notre rédemption »[3]. Ainsi, lorsque nous trouvons dans l’un la sagesse, dans un autre la justice, dans un autre la sainteté, dans un autre l’humilité, le Christ est divisé comme par membres entre chacun de ses saints. Mais puisque tous ne font qu’un dans la foi et la vertu, ils ne constituent qu’un seul Christ, homme parfait, qui réalise la plénitude de son corps par l’union de tous les membres, chacun ayant sa grâce propre[4]… Car bien que notre piété n’ait qu’un seul but, néanmoins, les voies par lesquelles nous tendons à Dieu, sont toutes différentes. (V, 4)
C’est pourquoi il serait difficile de garder dans le jeûne une règle uniforme. Tous en effet n’ont pas la même vigueur corporelle, et, pour jeûner il ne suffit pas, comme pour les autres vertus, d’avoir à cœur de le faire.
Le jeûne dépend donc non seulement de la vigueur de l’âme, mais aussi des possibilités du corps. Aussi la tradition que nous avons reçue est-elle très ferme sur ce point : il doit y avoir diversité quant au moment de prendre la nourriture, quant à la mesure et quant à la qualité, selon les différences de forces, d’âge ou de sexe ; cependant, il ne doit y avoir qu’une seule règle pour tous en ce qui concerne l’esprit de sobriété et de mortification.
…Ainsi, deux livres de pain ne suffisent pas à rassasier l’un, tandis que l’autre se trouve incommodé d’en avoir mangé une livre ou même six onces. Cependant, malgré la diversité des régimes, tous tendront au même but compte tenu de leur tempérament, ne pas se charger jusqu’à la satiété. En effet, non seulement la qualité, mais la quantité des aliments émousse la pénétration du cœur, et, en appesantissant à la fois l’esprit et le corps, allume et entretient le dangereux brasier des vices. (V, 5)

Préférer les nourritures célestes

Dans le jeûne, s’exprime l’option fondamentale du moine : il a renoncé au « monde présent » pour choisir le « monde à venir », et dans ce renoncement même, il goûte déjà une anticipation du bonheur futur.

…Jamais en effet nous ne pourrons mépriser les nourritures de ce monde si notre âme, fixée dans la contemplation de Dieu, ne goûte pas davantage l’amour des vertus et la beauté des choses du ciel. Et ainsi, quand on en sera venu à mépriser comme caduques toutes les choses présentes et à fixer immuablement le regard de l’esprit sur les réalités immuables et éternelles, déjà on contemplera des yeux du cœur, bien que demeurant encore dans la chair, la béatitude de la demeure à venir. (V, 14)

La sobriété intérieure

Sachons-le, en nous adonnant au labeur des privations corporelles, nous ne devons avoir d’autre but que de parvenir par ce moyen du jeûne à la pureté du cœur. C’est en vain que nous travaillons si, tandis que nous supportons infatigablement toutes ces peines afin d’atteindre notre fin, nous la manquons [par défaut de pureté intérieure]. N’eût-il pas mieux valu sevrer notre âme des aliments qui lui sont interdits, que de nous abstenir corporellement de nourritures permises, inoffensives et, par elles-mômes, sans péché ? Le corps ne fait qu’user en toute simplicité et innocence des créatures de Dieu ; mais, quant à l’âme, nous dévorons nos frères, pour notre perte. C’est de cela qu’il est écrit : « N’aimez pas la médisance, de peur que vous ne soyez déracinés »[5] ; le bienheureux Job, de son côté, dit de la colère et de l’envie : « La colère tue l’insensé, et l’envie donne la mort à l’esprit mesquin »[6]. (V, 22)

Le régime alimentaire du moine

Le régime préconisé par Cassien est austère, mais modéré. Quant à la visite des hôtes, elle est un « passage du Seigneur », et la joie pascale qui l’entoure exclut le jeûne.

On choisira comme nourriture non seulement ce qui apaise l’ardeur de la concupiscence et l’excite le moins, mais encore ce qui est le plus facile à préparer, le moins cher, et d’usage commun parmi les frères.
La gourmandise en effet peut se commettre de trois façons :

  • en anticipant l’heure régulière des repas ;
  • en se remplissant jusqu’à la satiété, sans avoir particulièrement égard à la qualité de la nourriture ;
  • en recherchant les mets les mieux apprêtés et les plus succulents.

Le moine devra donc leur opposer une triple observance : ne pas rompre le jeûne avant l’heure prévue ; se contenter de peu ; n’user que d’aliments ordinaires et peu coûteux.
En outre, la plus ancienne tradition des Pères condamne comme infecté par la vanité, la gloriole et l’ostentation, tout ce qu’on ose faire contre la coutume et l’usage commun… Ils estiment même que l’on ne doit pas faire connaître volontiers les jeûnes ordinaires que l’on pratique, mais plutôt, dans la mesure du possible, les tenir cachés.
Aussi jugent-ils préférable que, si des frères viennent nous visiter, nous les recevions avec bonté et charité, au lieu d’en faire les témoins de notre abstinence et de notre austérité. A notre volonté, à notre utilité, à nos désirs, il faut alors préférer ce qui peut reposer et soulager notre visiteur, et nous y soumettre de bon cœur…
Ainsi, partout où nous allions, sauf les mercredi et vendredi, où le jeûne est imposé par la loi de l’Église, on rompait le jeûne. Un ancien, à qui nous avions demandé pourquoi, chez eux, on rompait aussi facilement les jeûnes quotidiens, nous répondit : « Le jeûne est toujours à ma disposition ; mais vous, vous allez partir, et je ne puis vous garder toujours avec moi. Et bien que le jeûne soit utile et nécessaire, il n’en reste pas moins une offrande que nous faisons librement ; accomplir le devoir de charité est au contraire imposé par un précepte. C’est pourquoi, recevant le Christ en votre personne, je dois le refaire ; et ce que, par égard pour lui, j’aurai adouci de mon régime, il me sera facile de le compenser ensuite par un jeûne plus strict. “ Les amis de l’époux ne peuvent jeûner quand l’époux est avec eux mais quand il les aura quittés, alors ils pourront jeûner ”[7] ». (V, 24)

Notes

[1] Is., 45, 2-3

[2] cf. 1 Co., 15, 28

[3] 1 Co., 1, 30

[4] cf. Ep., 4, 13

[5] Pr., 20, 13 selon LXX

[6] Job 5, 2

[7] Lc, 5, 34-35

lundi 22 avril 2013

St Jean Cassien - Le combat spirituel - 2/3

ODT

L’esprit d’impureté – deuxième combat

Notre second combat, selon la tradition des Pères, est contre l’esprit d’impureté. Ce combat est le plus long de tous, et il en est peu qui y remportent une victoire complète. C’est une guerre cruelle, qui s’élève contre l’homme dès l’adolescence, et qui ne s’éteint que lorsqu’on a dompté tous les autres vices.
En effet, l’attaque vient de deux côtés à la fois, ce vice étant lui-même double. Aussi devons-nous lui opposer une double résistance, et puisque le vice tire ses forces à la fois de la déchéance de notre corps et de celle de l’âme, nous ne pourrons le vaincre que si nous portons simultanément la lutte sur ces deux fronts.
Le jeûne corporel ne suffira donc pas pour conquérir ou garder la pureté de la chasteté parfaite ; il devra être précédé par le brisement du cœur, la prière persévérante contre cet esprit impur, la méditation continuelle des Écritures ; à tout cela, il faudra joindre encore la science spirituelle et le travail des mains, qui réprime la mobilité du cœur et le rappelle à lui-même. Mais, avant tout, nous devons jeter les fondements d’une véritable humilité, sans laquelle on ne pourra jamais triompher d’aucun vice (VI, 1).

La vie angélique

« Puisque le Seigneur nous a annoncé que la vie d’après la résurrection était une vie semblable à celle, des anges (cf. Mt, 22, 30), et que le propre de la vie angélique est d’être étrangère au mariage, celui qui pratique la virginité imite déjà les êtres incorporels » (S. Grégoire de Nysse). Anticipation de la condition eschatologique de l’humanité, la chasteté parfaite suppose une effusion toute particulière de la grâce.

Assurément, tout progrès dans la vertu et tout triomphe sur le vice est une grâce du Seigneur et une victoire qu’Il remporte en nous. Néanmoins, le combat contre l’impureté requiert un bienfait de Dieu plus particulier et un don spécial ; le sentiment des Pères l’affirme, et ceux qui se sont purifiés de ce vice le savent par expérience. Car c’est comme sortir de la chair en demeurant encore dans un corps, et s’élever au-dessus de la nature, que de ne pas ressentir les aiguillons de la chair tout en restant revêtu d’une chair fragile.
C’est pourquoi il est impossible à l’homme de s’élever, pour ainsi dire, sur ses propres ailes, pour voler vers un bien si haut et si céleste ; il faut que la grâce du Seigneur, par le don de la chasteté, le retire de la boue terrestre. Rien ne peut en effet égaler aussi exactement les hommes charnels aux esprits angéliques, en leur faisant imiter leur vie, que le mérite et la grâce de la chasteté. C’est par elle que, tout en demeurant encore sur la terre, nous avons, comme le dit saint Paul, notre cité dans les cieux[1], et que nous possédons déjà dans une chair fragile ce qui a été promis aux saints pour le temps où ils auront déposé la corruption de la chair (VI, 6).

Garde du cœur et présence de Dieu

À l’égard de chacun des huit vices principaux, la vigilance intérieure s’impose ; mais dans le combat de la chasteté, il sera plus que jamais nécessaire de repousser dès le premier instant les suggestions mauvaises. Car c’est avant tout le « cœur », qui désigne dans la langue de l’Ecriture et des Pères le centre intime d’où procèdent nos pensées et nos vouloirs, qu’il faut guérir.

L’auteur et le créateur du genre humain, Dieu, qui connaît mieux que personne la nature de son œuvre et les moyens de réparer ses fautes, a appliqué le remède à ce qu’il savait être la principale cause du mal « Quiconque, dit-il, regarde une femme avec convoitise, a déjà commis l’adultère dans son cœur »[2]. En condamnant ainsi le dérèglement des yeux, il les accuse moins cependant que la faculté intérieure qui en abuse. C’est en effet le cœur qui, malade et blessé par les traits des désirs mauvais, regarde avec convoitise. Il corrompt ainsi par sa faute, en le faisant servir à de mauvais usages, le bienfait de la vue que Dieu lui avait accordé pour son bien, et, à l’occasion de ce regard, révèle la maladie de la concupiscence qu’il tenait cachée en lui-même.
Aussi est-ce à lui qu’est adressé le commandement sauveur. Il n’est pas dit en effet : « Garde tes yeux avec tout le soin possible »…, mais : « Garde ton cœur avec tout le soin possible »[3] (VI, 12).
Nous devons donc constamment nous souvenir de ce précepte : « Garde ton cœur avec tout le soin possible », et, selon le commandement donné par Dieu au commencement, surveiller la tête venimeuse du serpent[4], c’est-à-dire le commencement des pensées mauvaises, à la suite desquelles le diable essaie de se glisser dans notre âme. Ne laissons pas, par négligence, le reste de son corps, c’est-à-dire le consentement au plaisir mauvais, pénétrer dans notre cœur ; s’il venait à y entrer, sans aucun doute sa morsure empoisonnée donnerait la mort à l’âme devenue sa captive.
Aussi devons-nous « mettre à mort dès le matin de leur lever les pécheurs de la terre »[5], c’est à dire les pensées charnelles, et « briser contre la pierre les enfants de Babylone »[6], tandis qu’ils sont encore petits, car si nous ne les exterminons pas dans leur plus tendre enfance, ils grandiront grâce à notre connivence et nous combattront avec plus de force pour notre perte, – ou du moins nous pourrons les vaincre qu’avec beaucoup de peine et de labeur (VI, 13).
Le moyen de nous garder dans une pureté parfaite est de penser que Dieu est jour et nuit témoin attentif non seulement de nos actions secrètes, mais encore de toutes nos pensées, et de croire que nous devrons lui rendre compte de tout ce qui se passe dans notre cœur, aussi bien que dans nos actions extérieures (VI, 21).

L’esprit d’avarice – troisième combat

À la différence de la gourmandise, de l’impureté et de la plupart des autres vices, l’amour de l’argent ne représente pas une déviation d’un instinct profond de la nature humaine ; c’est plutôt un besoin factice que l’homme se crée lui-même, mais qui n’en est que plus impérieux.

Notre troisième combat est contre l’amour de l’argent. C’est une guerre étrangère à notre nature et qui n’a pas d’autre origine dans le moine que la lâcheté et la corruption de son âme, ou, le plus souvent, l’imperfection de son renoncement initial, fondé sur un amour trop tiède envers Dieu.
Les autres vices sont comment entés (greffés) dans la nature, et leurs principes semblent innés en nous… Cette maladie au contraire ne survient que plus tard, et c’est du dehors qu’elle arrive dans l’âme. Il est donc aisé de s’en garder et de la repousser ; mais il n’en est que plus difficile de la chasser si on la néglige et si on lui donne entrée dans le cœur, et elle devient plus dangereuse que toutes les autres. Elle devient en effet « la racine de tous les maux »[7], et produit d’innombrables foyers de vices (VII, 1-2).

Être véritablement pauvre

Par sa pauvreté, le moine répond à l’appel du Christ et imite la communauté primitive de Jérusalem et les apôtres, ces modèles privilégiés de la vie parfaite. Encore faut-il que son renoncement soit véritable : non seulement il ne doit rien posséder, mais il lui faut encore purifier son cœur de tout désir des biens terrestres.

Si nous voulons obéir au précepte évangélique[8] et être les imitateurs de l’Apôtre et de toute la primitive Église, et aussi des Pères qui en notre temps ont recueilli la succession de leurs vertus et de leur perfection, … embrassons la discipline et la règle du monastère, afin de renoncer véritablement au monde présent ; ne conservons rien, par une infidélité qui nous ferait retourner en arrière, de ce que nous avons méprisé, et attendons notre subsistance quotidienne non de quelque pécule dissimulé, mais de notre propre travail (VII, 18).
Mais il peut se faire que, même sans garder d’argent, un moine soit atteint de cette maladie de l’avarice, et que son dénuement ne lui soit d’aucun profit, pour n’avoir pas su retrancher le vice de la cupidité. Ne s’étant proposé que la pauvreté extérieure, et n’ayant pas l’amour de la vertu de pauvreté, il s’est contenté des dehors de l’indigence, qu’il ne porte d’ailleurs que d’un cœur languissant (VII, 22).

L’esprit de colère – quatrième combat

La colère, l’ennemi de la comtemplation

La colère est un ennemi particulièrement dangereux pour le moine qui tend à une vie de prière aussi continue que possible, car celle-ci requiert la complète pacification de l’âme (apatheia), la parfaite pureté du regard intérieur. Comment d’ailleurs se présenter devant Dieu sans hypocrisie, si l’on n’est pas en paix avec ses frères ?

L’objet de notre quatrième combat est d’expulser complètement des replis de notre âme le poison mortel de la colère. Car aussi longtemps qu’elle réside dans notre cœur et obscurcit de ses dangereuses ténèbres notre œil intérieur, nous ne pouvons ni acquérir une exacte discrétion, ni jouir de la sainte contemplation, ni posséder la maturité du conseil, ni participer à la vraie vie et à la justice, ni surtout être capable de voir la lumière spirituelle et véritable, car il est écrit : « Mon œil a été troublé par la colère » [9] (VIII, 1).
Comment le Seigneur pourrait-il consentir à ce que nous gardions notre colère, ne serait-ce qu’un moment, lui qui ne permet pas que nous offrions les sacrifices spirituels de nos prières, si nous savons qu’un de nos frères a quelque aigreur contre nous ? « Quand tu présentes ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande »[10]. Comment après cela nous serait-il permis de garder une mauvaise tristesse contre notre frère, je ne dis pas durant plusieurs jours, mais seulement jusqu’au coucher du soleil, puisque nous ne pouvons pas offrir à Dieu nos prières, dès lors que ce frère a quelque chose contre nous? Or l’Apôtre nous prescrit « Priez sans cesse »[11], et « En tout lieu, élevez vers le ciel des mains pures, sans colère ni agitation de pensées »[12] (VIII, 12).

L’illusion de la sollitude

Avec toute la tradition, Cassien enseigne que seul peut prétendre à la vie solitaire le moine qui a longtemps mené le combat contre les vices dans un monastère, et qui est parvenu à l’apatheia. Ce serait donc une illusion de fuir la lutte et de chercher dans la retraite au désert un remède à la colère.

Il arrive qu’ayant été vaincus par l’orgueil et l’impatience, et ne voulant pas travailler à corriger le désordre de notre conduite, nous nous mettions à gémir après la solitude. Là, pensons-nous, personne ne nous importunera plus, et donc nous posséderons aussitôt la vertu de patience. Nous excusons ainsi notre négligence et nous attribuons notre colère non à notre impatience, mais aux imperfections de nos frères. Mais si nous rejetons toujours ainsi sur les autres la cause de nos manquements, nous ne parviendrons jamais ni à la patience ni à la perfection (VIII, 15).
Pour ce qui est du désert, il n’y a que les parfaits, ceux qui sont purifiés de tout vice, qui puissent y prétendre. C’est seulement après avoir entièrement réduit ses vices dans la communauté des frères qu’on peut non s’y réfugier par pusillanimité, mais s’y retirer afin de jouir de la contemplation et parce qu’on désire fixer plus haut son regard. Car ceci n’est accordé qu’aux parfaits qui vivent dans la solitude.
En effet, tous les vices que nous portons au désert sans les avoir guéris auparavant peuvent bien demeurer cachés, ils n’en sont pas pour autant détruits, nous le sentons bien. En effet, de même que la solitude permet une contemplation très pure à ceux dont la vie est sainte et leur révèle, en aiguisant leur regard intérieur, la science des mystères spirituels ; de même elle conserve les vices de ceux qui ne s’en sont pas corrigés, et même les augmente. Ainsi, on se croira patient et humble aussi longtemps qu’on n’a personne avec soi ; mais qu’une occasion de mécontentement se présente, ut la première nature reparaît aussitôt (VIII, 17).
Si donc nous désirons obtenir la récompense suprême, dont Il est dit « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu »[13], nous devrons non seulement bannir la colère de nos actes, mais encore l’extirper radicalement de l’intime de notre âme[14].

Notes

[1] cf. Ph., 3, 20

[2] Mt, 5, 28

[3] Pr., 4, 23

[4] cf. Gn., 3, 15

[5] Ps 100, 8

[6] Ps 136, 9

[7] 1 Tm., 6, 10

[8] cf. Mt, 19, 21

[9] Ps. 30, 10

[10] Mt, 5, 23-24

[11] 1 Th., 5, 17

[12] 1 Tm., 2, 8

[13] Mt, 5, 8

[14] VIII, 19

mardi 23 avril 2013

St Jean Cassien - Le combat spirituel - 3/3

ODT

L’esprit de tristesse – cinquième combat

Tristesse selon le monde et componction du cœur

À la tristesse selon le monde, qui, d’après Cassien, « est au cœur de l’homme ce que la teigne est au vêtement et le ver au bois » (cf Pr., 25, 20, selon les LXX), s’oppose la tristesse selon Dieu, ou « componction du cœur », qui doit devenir l’attitude intérieure habituelle du moine. Cette « tristesse aimée de Dieu » est la douleur intime et paisible de l’homme qui a une vive conscience de sa condition de pécheur, exilé du Paradis, mais qui sait aussi que le Seigneur accomplit en lui son œuvre de salut. À cause de cette miséricordieuse proximité de Dieu, chez le moine « la joie pénétrera les pleurs et transfigurera le visage, pourtant demeuré grave » (I. Hausherr).

La tristesse est parfois une suite de la colère ; elle peut venir aussi de ce que nous avons été frustrés d’un plaisir ou d’un gain dont nous avions conçu l’espérance et qui nous échappe. Parfois aussi, sans aucune cause proportionnée, notre subtil ennemi nous jette, par une impulsion soudaine, dans un si profond abattement qu’il nous est impossible de faire bon visage comme à l’ordinaire à ceux même de nos visiteurs qui nous sont les plus proches et les plus chers. Malgré le tact qu’ils y apportent, leur conversation nous importune et nous pèse, et nous n’avons pas une réponse aimable, car un fiel amer s’est répandu dans tous les replis de notre cœur (IX, 4).
Il est un autre genre de tristesse, plus détestable encore, qui inspire à l’âme pécheresse non l’amendement de ses mœurs et la correction de ses vices, mais un mortel désespoir (IX, 9).
Le seul cas où nous devons considérer la tristesse comme utile, est celui où elle naît soit du regret de nos fautes, soit du désir de la perfection, soit de la contemplation de la béatitude à venir. C’est d’elle que parle l’Apôtre « La tristesse selon Dieu produit un repentir salutaire et durable ; la tristesse du monde, elle, produit la mort »[1] (IX, 10).
Cette tristesse qui produit un repentir salutaire et durable est obéissante, affable, humble, douce, suave et patiente, parce que l’amour de Dieu en est la source. Elle nous porte sans relâche à embrasser toutes les souffrances du corps et â briser notre cœur, par désir de la perfection. Elle est en quelque aorte joyeuse, et l’espoir d’avancer dans la perfection la rend forte ; aussi conserve-t-elle toujours la douceur de l’affabilité et de la longanimité, et renferme-t-elle tous les fruits du Saint-Esprit qu’énumère l’Apôtre : « Le fruit de l’Esprit est charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi »[2].
L’autre tristesse est aigre, impatiente, dure, remplie d’amertume, d’un chagrin sans profit et d’un douloureux désespoir ; elle brise celui qu’elle étreint et lui enlève toute activité spirituelle et toute douleur salutaire. Car elle n’est pas raisonnable ; et non seulement elle rend nos prières inefficaces, mais elle anéantit encore tous les fruits spirituels dont nous avons parlé et qui viennent de la première (IX, 11).
Nous pourrons bannir de notre âme cette très dangereuse passion en occupant constamment notre esprit à de saintes méditations, et en lui donnant courage par l’espérance des biens à venir et la contemplation de la béatitude promise… La considération des biens futurs nous rendra toujours joyeux et inébranlables ; ni l’épreuve ne nous abattra, ni la prospérité ne nous élèvera, parce que nous les regarderons l’une et l’autre comme passagères et destinées à bientôt disparaître (IX, 13).

L’esprit d’acédie – sixième combat

Le démon de midi

L’acédie dont parlent les anciens auteurs spirituels ne correspond pas exactement à la paresse qui l’a remplacée dans la liste actuelle des péchés capitaux. C’est une lassitude spirituelle, un dégoût de la recherche de Dieu et des observances, qui s’empare du moine et le pousse à chercher des distractions, à entreprendre des voyages sous les meilleurs prétextes. Une occupation manuelle sera la sauvegarde contre ce mal, qui naît de l’oisiveté.

Notre sixième combat est contre le vice que les Grecs appellent acedia, ce que nous pourrions traduire par « dégoût » ou « anxiété du cœur ». Il est parent de la tristesse. Ce sont surtout les solitaires qui en ont l’expérience, car c’est à ceux qui demeurent dans le désert qu’il s’attaque avec le plus de violence et le plus fréquemment. C’est surtout vers le milieu du jour qu’il tourmente le moine, telle une fièvre réglée dont les accès reviennent périodiquement à des heures déterminées. Aussi beaucoup d’anciens lui ont-ils appliqué l’expression « démon de midi », que l’on trouve dans le Psaume 90 (X, 1).
Quand, pour son malheur, l’acédie a envahi l’âme d’un moine, elle lui donne de l’horreur pour le lieu qu’il habite, du dégoût pour sa cellule, du dédain et du mépris pour ses frères, qu’il juge tièdes et peu spirituels. Elle le rend sans entrain et sans courage pour le travail en cellule, incapable de rester chez soi et de s’adonner à la lecture.
Souvent il se plaint d’avoir fait si peu de progrès, depuis si longtemps qu’il est là. Il gémit et soupire : son âme demeurera stérile tant qu’il restera en pareille compagnie ! Il se désole d’être là à perdre inutilement son temps ; lui qui pourrait gouverner les autres et être utile à beaucoup, il n’a encore édifié personne, il n’a pu gagner aucune âme par sa doctrine et sa direction… il lui est impossible de faire son salut s’il reste là ; il lui faut quitter au plus tôt sa cellule, sinon il périra avec elle !…
Puis, quand le milieu du jour approche, la faim et la lassitude se font plus pesantes. Il se sent épuisé, comme après un long voyage, un travail excessif, ou un jeûne de deux ou trois jours. Anxieux, il surveille l’horizon, soupirant en vain après la venue d’un hôte. II sort, il rentre, il regarde à tout moment le soleil trop lent dans sa course. L’âme tourmentée et assombrie, il est incapable de toute activité spirituelle, livré au vide et à l’oisiveté. Point d’autre remède à cela, pense-t-il, que d’aller visiter un frère, ou de se consoler en dormant… Ne vaudrait-il pas mieux, d’ailleurs, aller se dépenser en œuvres de miséricorde, que de garder la cellule sans fruit et sans progrès ? (X, 2).

Le travail des mains

Instruits par l’Écriture, les Pères d’Égypte n’admettent pas que les moines, et surtout les jeunes, restent oisifs. Ils mesurent l’intensité de leur vie intérieure et leurs progrès dans la patience et l’humilité à leur application au travail. Non seulement ils ne souffrent pas de recevoir d’autrui ce qui est nécessaire à leur subsistance, mais ils nourrissent encore du fruit de leur travail les pèlerins et les frères de passage ; bien plus, ils rassemblent de grandes quantités de vivres et les dirigent soit vers les régions de la Lybie où règnent la sécheresse et la famine, soit vers les villes, pour ceux qui languissent dans la misère des cachots. Ils estiment offrir ainsi au Seigneur, du labeur de leurs mains, un sacrifice spirituel et véritable (X, 22).
Les moines d’Égypte citent cette sainte maxime qui vient des anciens Pères : «Le moine qui travaille n’a qu’un démon pour le tenter, mais une infinité d’esprits mauvais dévastent l’âme de l’oisif » (X, 23).

L’esprit de vaine gloire – septième combat

L’ancienne tradition monastique distingue la vaine gloire de l’orgueil : la première consiste à se complaire dans la louange et l’estime des hommes ; l’autre, à nous estimer meilleur que nos frères et à les mépriser, en nous attribuant le mérite de nos bonnes actions au lieu de le rapporter à Dieu. La vaine gloire est subtile, car elle se nourrit de ce qu’il y a en nous de meilleur, et même de ses propres défaites ; elle est dangereuse, car ce défaut de pureté d’intention peut corrompre toute la vie spirituelle.

Les autres vices sont simples et n’ont qu’un visage ; celui-ci est multiple, multiforme et varié ; il attaque sur tous les fronts, et, vaincu, revient à la charge de tous côtés (XI, 3)…
Si te démon n’a pu nous donner de la vanité par un vêtement élégant et propre, il s’efforcera de la faire naître par un habit sale, négligé et pauvre ; celui qu’il n’a pas vaincu par la gloire, il le fait se glorifier de son humilité ; celui qu’il n’a pu élever par la science et l’éloquence, il l’abat à propos de son silence. Si un moine jeûne en présence d’autrui, il est tenté d’en concevoir de la complaisance ; s’il cache son jeûne par mépris de la vaine gloire, le même vice en prend encore prétexte pour le frapper. Il évite de prolonger ses prières sous les yeux de ses frères pour échapper à la vaine gloire mais de les avoir récitées en secret et sans témoins devient à son tour une arme pour la vanité (XI, 4).
Les Pères ont très justement comparé ce vice à un oignon : chaque fois qu’on ôte une pelure, une autre apparaît, et on en retrouve autant qu’on en enlève (XI, 5).

L’esprit d’orgueil – le dernier combat

On sera peut-être surpris de voir Cassien, à la suite d’Evagre le Pontique, placer seulement au terme de son exposé sur les vices le combat contre l’orgueil. La perspective de saint Grégoire le Grand et des auteurs occidentaux sera inverse : pour eux, l’orgueil apparaît comme le premier des vices et la racine secrète de tous les autres, puisque tout péché implique que l’homme se préfère en quelque façon à Dieu. Néanmoins, il est exact que la tentation d’orgueil – s’estimer meilleur que les autres, et attribuer à son libre arbitre et non à la grâce le bien que l’on constate en soi – se présentera ouvertement surtout aux ascètes qui ont triomphé des vices plus grossiers et qui approchent des sommets. Aussi l’orgueil apparaît-il ici comme la source de tous les vices moins au plan de la psychologie individuelle qu’à celui de l’histoire collective des créatures libres : c’est par le double péché d’orgueil de Lucifer et d’Adam – qui étaient des « parfaits » – que le péché est entré dans le monde.

Notre huitième et dernier combat est contre l’esprit d’orgueil. Mais bien que cette maladie tienne le dernier rang dans la lutte contre les vices et soit placée à la fin de la liste, elle en est cependant la première dans l’ordre d’origine (XII, 1).
Pour comprendre quelle est la puissance de cette insupportable tyrannie, songeons que l’ange à qui sa splendeur et son éclat extraordinaires avaient valu le nom de Lucifer, « porte-lumière », n’a pas été précipité du ciel pour un autre vice que celui-ci. C’est pour avoir été blessé par les traits de l’orgueil que, de la société céleste et bienheureuse des anges, il est tombé en enfer…
En effet, tandis qu’il était revêtu de la clarté divine et brillait plus que toutes les autres puissances célestes grâce à la libéralité du Créateur, il crut qu’il tenait du pouvoir de sa nature et non de la divine munificence la splendeur de la sagesse et la beauté des vertus dont l’avait orné la grâce du Créateur. Il s’éleva donc en lui-même, et, pensant qu’il n’avait pas besoin du secours divin pour persévérer dans cette pureté, se jugea semblable à Dieu, puisque, comme Dieu, il n’avait besoin de personne. Il avait une telle confiance dans la puissance de son libre arbitre, qu’il crut pouvoir trouver amplement en lui tout ce qu’il fallait pour atteindre la perfection des vertus et la béatitude suprême et éternelle. Cette seule pensée fut l’origine de sa ruine ; à cause d’elle, Dieu, dont il croyait pouvoir se passer, l’abandonna aussitôt il devint instable et changeant, éprouva la faiblesse de sa propre nature, et perdit la béatitude dont Dieu l’avait gratifié (XII, 4).
Telle fut la cause de la première chute, et l’origine de la maladie spirituelle qui est au principe de toutes les autres. Ensuite le serpent qui avait été vaincu par elle, s’en servit pour déposer dans nos premiers parents le germe et l’aliment de toutes les autres infirmités spirituelles. En effet, en croyant pouvoir conquérir par la force et l’activité de son libre arbitre la gloire de la divinité, il perdit celle qu’il tenait de la grâce du Créateur (XII, 5).
Ainsi les exemples et les témoignages de l’Écriture prouvent clairement que l’orgueil, bien qu’il soit le dernier dans l’ordre de la lutte, est cependant le premier par l’origine, et le principe de tous les péchés et de tous les crimes. A la différence des autres vices, il ne détruit pas seulement la vertu qui lui est contraire, c’est-à-dire l’humilité, mais il les fait périr toutes ensemble. Et ce ne sont pas seulement les faibles et les médiocres qu’il attaque : il s’en prend surtout aux plus forts (XII, 6).

L’humilité, fondement du salut

À l’orgueil de Lucifer et d’Adam s’oppose l’humilité rédemptrice du Christ. Ainsi se trouvent personnifiées les deux voies entre lesquelles l’homme doit choisir.

Dieu qui est le créateur et le médecin de l’univers, sachant que l’orgueil est la cause et le principe de tous les vices, a pris soin de guérir le contraire par le contraire : ce qui était tombé par l’orgueil se relèverait par l’humilité.
Le démon dit « J’escaladerai les cieux »[3] ; et le Sauveur « Mon âme est effondrée en la poussière » [4]. Le démon dit « Je serai semblable au Très-Haut »[5], tandis que le Seigneur, « bien qu’il fut de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il s’anéantit lui-même, prenant la condition d’esclave, et il s’est abaissé, se faisant obéissant jusqu’à la mort »[6].
Le démon dit : « Par-dessus les étoiles de Dieu j’érigerai mon trône »[7] ; et le Sauveur « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur »[8].
Le démon dit « Tous les royaumes du monde et leur gloire sont à moi, et je les donne à qui je veux »[9], et le Seigneur « de riche s’est fait pauvre, afin de nous enrichir par sa pauvreté »[10]
Considérons donc la cause de la déchéance originelle, et les fondements de notre salut ; voyons par qui et comment ont été accomplis la chute et le relèvement la ruine du diable et l’exemple du Seigneur nous apprendront comment éviter la terrible mort de l’orgueil (XII, 8).

Effort humain et grâce divine

A la différence de saint Augustin, Cassien a envisagé le problème des rapports de la grâce et de la liberté moins en théologien spéculatif qu’en directeur d’âmes. Comme toute la tradition ascétique orientale, il insiste fortement sur la part de l’effort humain dans l’œuvre du salut, sans oublier cependant que nos œuvres présupposent toujours la grâce.

Tous nos jeûnes, toutes nos veilles, toutes nos lectures, toute notre solitude et notre retraite, quelle que soit l’ardeur que nous y mettions, ne peuvent proprement mériter la récompense magnifique et sublime de la pureté du cœur et de l’intégrité spirituelle. Le travail et l’activité de l’homme ne peuvent égaler le don de Dieu ; c’est à sa bonté toute gratuite qu’il appartient de l’accorder à nos désirs (XII, 13).
Je ne dis pas cela pour anéantir les efforts de l’homme, et pour l’empêcher ainsi de travailler avec ferveur. J’affirme hardiment — ce n’est pas ma pensée seulement, mais celle des Pères — qu’il est impossible d’obtenir la perfection sans ces efforts, mais aussi que nul ne peut atteindre le faîte de la perfection par ce seul labeur, sans la grâce de Dieu…
Ainsi donc, selon la tradition des Pères, nous devons nous hâter vers la pureté du cœur en nous adonnant aux jeûnes, à la prière, en brisant notre cœur et notre corps ; mais de telle sorte que nous ne rendions pas vains tous ces labeurs par l’enflure de l’orgueil.
Nous ne devons d’ailleurs pas croire que c’est seulement la perfection que nous ne pouvons obtenir par notre activité et nos labeurs ; mais les exercices mêmes auxquels nous nous livrons pour y parvenir – nos efforts, nos travaux, notre observance – nous ne pouvons les accomplir sans le secours de la protection divine et sans la grâce de son inspiration, de ses réprimandes, de ses exhortations, grâce qu’il a coutume de répandre miséricordieusement dans nos cœurs, soit par un intermédiaire, soit par lui-même en nous visitant (XII, 16).

Notes

[1] 2 Co., 7, 10

[2] Ga., 5, 22-23

[3] Is, 14, 13

[4] Ps. 43, 26

[5] Is. 14, 14

[6] Ph., 2, 6-8

[7] Is. 14, 13

[8] Mt, 11, 29

[9] Lc, 4, 6

[10] 2 Co., 8, 9