L'humble en vérité est celui qui a secrètement de quoi s'enorgueillir et ne s'enorgueillit pas, mais ne voit là rien de plus en lui-même qu'un peu de terre. (St Isaac le Syrien)

Avec ce dimanche, l'Église nous fait faire un pas de plus vers Pâque en nous proposant d'une part le modèle à suivre du publicain qui se tient en retrait, reconnaît humblement ses péchés et demande avec espoir la miséricorde divine, sans pour autant la tenir pour méritée ; d'autre part comme exemple à fuir celui du pharisien satisfait de ses œuvres et pensant recevoir la Grâce divine comme un dû.

En ce dimanche le triode de carême[1] fait sa première apparition. Aux vêpres (lucernaire) :

Frères, ne prions pas comme le Pharisien * Car celui qui s'élève lui-même sera abaissé * Humilions nous devant Dieu * appelant dans le jeûne comme le Publicain * Dieu, pardonne nous qui avons péché.
Seigneur qui domines l'univers * Je sais combien peuvent les larmes * Des portes de la mort elles ont ramené Ezéchias * De longues fautes elles ont délivré la pécheresse * Plus que le Pharisien elles ont justifié le Publicain * Je Te prie, compte moi parmi eux, aie pitié de moi.

À toutes les matines dominicales, après le psaume 50 :

Ouvre moi les portes du repentir Toi qui donnes la vie * Car vers ton temple saint se lève mon esprit * portant tout souillé le temple de mon corps * Mais purifie moi compatissant dans la miséricorde de ton amour.
Conduis moi sur le chemin du salut, Mère de Dieu * Car dans les fautes infâmes j'ai souillé mon âme * dans la négligence j'ai dépensé ma vie * Par tes prières délivre moi de toute impureté.
Aie pitié de moi, ô Dieu, dans ton grand amour. Dans l'abondance de tes compassions efface mon péché.
Malheureux considérant le nombre de mes fautes * je crains le jour terrible du Jugement * Mais confiant dans l'amour de ta miséricorde * je T'appelle comme David * Aie pitié de moi, Dieu, dans ton grand amour.

Extrait : « Le grand Carême[2] »

Ces textes développent le second aspect du repentir : l'humilité. [...]

Mais qu'est-ce que l'humilité ? La réponse à cette question peut paraître paradoxale parce qu'elle s'appuie sur une affirmation étonnante : « Dieu lui-même est humble ». Pourtant, à celui qui connaît Dieu, qui le contemple dans sa création et dans ses actes sauveurs, il est évident que l'humilité est véritablement une qualité divine, qu'elle est le contenu même et le rayonnement de la gloire qui remplit le Ciel et la terre, comme la chante la Divine Liturgie.

Dans notre mentalité humaine, nous avons tendance à opposer « gloire » et « humilité », cette dernière étant pour nous le signe d'un manque ou d'une déficience. ...

Évangile du publicain et du pharisien

(Lc XVIII,10-14)

Le Seigneur dit cette parabole : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l’un était pharisien et l’autre publicain. Le pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : “Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers.” Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : “Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !” Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. »

De saint Isaac le Syrien

L'humilité est une puissance secrète que les saints parfaits reçoivent quand ils ont mené à bien toute l'ascèse de leur vie. Cette puissance en effet n'est donnée qu'à ceux qui parviennent à la perfection de la vertu par la force de la grâce, pour autant que la nature en soit capable. Car la vertu englobe tout en elle. C'est pourquoi il n'est pas possible de tenir pour humble le premier homme venu, mais ceux-là seuls auxquels a été donné cet ordre que nous avons dit.

Il ne suffit pas qu'un homme soit bon et calme, ou prudent ou doux, pour qu'il ait atteint le degré de l'humilité. L'humble en vérité est celui qui a secrètement de quoi s'enorgueillir et ne s'enorgueillit pas, mais ne voit là rien de plus en lui-même qu'un peu de terre. Nous n'appelons pas non plus humble, bien que la chose soit digne de louanges, celui qui s'humilie dans la mémoire de ses fautes et de ses erreurs et s'en souvient jusqu'à ce que soit brisé son cœur et que son intelligence ait effacé en elle les pensées d'orgueil. Car il a encore en lui la tentation de l'orgueil, il n'a pas acquis l'humilité, mais il s'en approche par les moyens qu'il met en œuvre. Même si la chose est louable. Comme j'ai dit, il n'a pas encore l'humilité. Il la veut, mais il ne l'a pas. L'humble parfait est celui qui n'a besoin de rien faire dans son cœur pour être humble. Mais parfaitement et naturellement il possède en tout l'humilité sans qu'il y travaille. Il l'a reçue en lui-même comme une grande grâce qui dépasse toute la création et toute la nature. Et se voit à ses propres yeux comme un pécheur, comme un homme de rien et méprisable. Il est entré dans le mystère de toutes les natures spirituelles, il porte en lui la sagesse de toute la création en toute exactitude, et cependant il considère qu'il ne sait rien. Ainsi il est humble dans son cœur sans rien faire pour cela et sans rien forcer.

- Mais est-il ou non possible qu'un homme devienne tel et change pareillement dans sa nature ?

N'en doute pas. La puissance qu'il a reçue des mystères accomplit tout en lui, en menant à bien toute vertu. C'est la puissance même que reçurent les bienheureux apôtres sous la forme du feu. Le Sauveur leur avait ordonné en effet de ne pas quitter Jérusalem jusqu'à ce qu'ils aient reçu la puissance d'en haut. Jérusalem est ici la vertu. La puissance est l'humilité. Et la puissance d'en haut est le Paraclet c'est-à-dire l'esprit Consolateur. Or c'est là ce qu'avait dit l’Écriture Sainte : les mystères sont révélés aux humbles. Aux humbles est donné de recevoir en eux-mêmes cet Esprit des révélations qui découvre les mystères. C'est pourquoi des saints ont dit que l'humilité accomplit l'âme dans les contemplations divines. Que nul donc n'aille s'imaginer qu'il est parvenu à la mesure de l'humilité parce qu'une pensée de componction lui sera venue à un certain moment, ou parce qu'il aura versé quelques larmes, ou parce qu'il portera un bien qu'il a naturellement ou qu'il aura obtenu en se faisant violence (car l'humilité accomplit tous les mystères et garde toutes les vertus), ou parce qu'il aura, en faisant des petites choses, acquis tout ce qui tient lieu de cette grâce.

Mais si un homme a vaincu tous les esprits contraires, s'il n'y a pas d’œuvre qu'il n'ait faite ni de vertu qu'il n'ait acquise, s'il a renversé et soumis toutes les forteresses des ennemis, et si alors il a senti en esprit qu'il a reçu cette grâce (quand l'esprit rend témoignage à son esprit, selon la parole de l'Apôtre), là est la perfection de l'humilité. Bienheureux celui qui la possède. Car à toute heure il embrasse le sein de Jésus.

- Mais quelqu'un dira : que faire ? Comment puis-je acquérir l’humilité ? Par quelle voie puis-je être digne de la recevoir ? Voici, je me fais violence à moi-même, et quand je pense l'avoir acquise, je m'aperçois que des pensées qui lui sont contraires tournent dans mon intelligence. Et je tombe désormais dans le désespoir.

Il sera répondu à celui qui interroge ainsi : « Il suffit au disciple d'être comme son Maître et au serviteur d'être comme son Seigneur. » Vois ce qu'a fait pour l'acquérir Celui qui a ordonné l'humilité et a donné cette grâce. Sois comme Lui et tu la trouveras. Car Il a dit : « Le prince de ce monde vient, et ne trouvera rien en moi. » Vois-tu comment il est possible d'acquérir l'humilité dans la perfection de toutes les vertus ? Imite Celui qui nous a donné son ordre. « Les renards, a-t-Il dit, ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. » Lui auquel ceux qui ont achevé, sanctifié et accompli leur vie dans toutes les générations rendent gloire ainsi qu'au Père qui L'a envoyé et au Saint-Esprit maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

Notes

[1] Livre liturgique contenant les textes propres aux offices du grand Carême et qui viennent s'intercaler et s'ajouter aux textes habituels des offices.

[2] Père Alexandre Schmemann, Spiritualité orientale n°13, Bellefontaine