Série - Mariage - p. Gabriel

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mardi 5 mars 2013

Le mariage - p. Gabriel (1)

ODT

Gabriel_Henry.jpegExtrait du livre : Père Gabriel[1], Foi de Prêtre — Éditions Omorfia.
Le père Gabriel Henry est ici interrogé par le père Stéphane Charalambidis.

p. Gabriel : Si l’on veut comprendre quelque chose du point de vue orthodoxe, du point de vue de l’Église, au sujet du mariage, il faut se pencher sur les textes qui sont ceux de l’office du mariage. L’office du mariage, c’est avant tout une prière, car le mariage est avant tout un sacrement. L’engagement, certainement, l’engagement des époux a une grande valeur ; et s’ils se présentent devant le prêtre on peut supposer qu’ils sont disposés à prendre l’engagement de vivre ensemble et de se conserver fidèles l’un à l’autre. La liturgie d’ailleurs y fait allusion lorsqu’elle dit dans l’office des fiançailles qui précède le mariage : “Affermis, Seigneur, la parole qu’ils se sont donnée.” Et puis vient l’office du mariage proprement dit, qu’on appelle l’office du couronnement. Au cours de cet office, l’Église considère que le mariage est quelque chose de très concret, et que, pour qu’il y ait mariage, et mariage réussi, il faut que cette réussite soit d’abord une réussite humaine bénie par le Seigneur. Bénie par le Seigneur, car, quel que puisse être l’engagement humain, il faut se souvenir du psalmiste qui dit : “Si ce n’est pas le Seigneur qui construit la maison, en vain travaillent ceux qui l’édifient. Si ce n’est pas le Seigneur qui défend la cité, en vain veille la garde à sa porte.”

L’Église, donc, prie pour des choses concrètes : “Donne-leur, Seigneur, l’entente de l’âme et du corps.” Donne-leur tout ce dont ils peuvent avoir besoin pour leur salut et aussi pour leur vie matérielle. “Remplis leur maison de vin, de blé, d’huile et de toutes sortes de biens, afin qu’ayant tout en abondance” – dit l’office – “ils puissent en distribuer à ceux qui sont dans le besoin. Donne-leur une postérité vivace. Donne-leur de voir les fils de leurs fils comme de jeunes plants d’olivier autour de leur table. Donne-leur la paix.”

Et puis l’Église prie aussi pour que ce couple soit défendu par la grâce du Seigneur : “Conserve-les, Seigneur, comme tu as conservé les Saints Enfants de Babylone dans la fournaise. Conserve-les, Seigneur, comme tu as conservé Jonas dans le ventre du monstre, dans le ventre de la baleine.” Et l’Église sait aussi que la croix peut venir : “Souviens-toi d’eux Seigneur, et donne- leur cette joie qui fut celle de Sainte Hélène lorsqu’elle découvrit la vraie Croix.” On sait que les épreuves peuvent venir. On sait que le sacrifice sera peut-être nécessaire. On sait aussi que l’Église dit, que le Seigneur dit : “Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir.” Et c’est pour cela qu’au cours de l’office les époux vont danser ce qu’on appelle la danse d’Isaïe, qui est cette espèce de ronde qui rappelle la ronde que l’on faisait faire aux victimes du sacrifice avant qu’elles ne soient immolées au Temple de Jérusalem. Et dans cette danse d’Isaïe ,on fait allusion aux Saints Martyrs qui ont combattu vaillamment, parce que peut-être que pour défendre le mariage, pour défendre le couple, et pour se défendre, il faudra combattre vaillamment sous le regard du Christ et avec la grâce de l’Esprit.

Et l’office se conclut par la lecture de l’Évangile de Cana en Galilée. C’est un Évangile extrêmement significatif en face du mariage. D’abord parce que le Christ était présent à cette fête, et aussi parce qu’il a changé l’eau insipide de tous les jours en vin qui, comme dit le Psaume 103, “réjouit le cœur de l’homme.” Et Dostoïevsky, je crois, lorsqu’il parle du mariage de Cana en Galilée dit : “Le Seigneur qui aime l’homme, aime aussi sa joie.”

Le vin est demeuré à Cana en Galilée le bon vin jusqu’à la fin. Et ceci a une grande signification : tout le monde s’est étonné – relisez le passage de l’Évangile – tout le monde s’est étonné de ce que ce vin soit resté aussi bon et même meilleur à la fin qu’il n’était au commencement. Parce que ce jeune amour d’aujourd’hui, s’il se distille, deviendra fort et doux jusqu’à la fin comme le vin de la tendresse.

p. Stéphane : Comment le couple conçoit-il la réception de ce sacrement ?

p. Gabriel : Voyez-vous, père Stéphane, je pense que la leçon de l’office du mariage, c’est que le mariage est quelque chose de concret et d’incarné. Pour un chrétien, pour un orthodoxe, dont le Dieu est un Dieu incarné, il ne peut pas y avoir de Transfiguration s’il n’y a pas d’abord d’Incarnation. Quand, dans l’office du mariage, on dit, et je viens de le rappeler tout à l’heure : “Donne leur, Seigneur, une bonne entente tant de leurs âmes que de leurs corps”, çà dit bien ce que çà veut dire. Lorsqu’on dit : “Donne-leur de beaux enfants, exalte-les comme les cèdres du Liban”, lorsqu’on dit par exemple : “Remplis leur maison de blé, de vin et de tout autre bien”, çà dit bien que l’Église est consciente de ce qui est nécessaire à un mariage pour qu’il soit une réussite humaine. Et nous sommes là en incarnation, et non pas dans je ne sais quel idéalisme fumeux.

Lorsqu’on parle du vin de la tendresse qui va être conservé jusqu’à la fin, ça me rappelle cette expression de l’Orient grec que vous connaissez certainement, qui souhaite aux époux, lorsque leurs cheveux seront blanchis, de pouvoir vieillir sur le même oreiller. C’est très joli. Et en effet, quand on a 35 ou 40 ans de mariage, qu’on a vécu ensemble, qu’on a lutté ensemble, qu’on s’est disputé quelquefois, ce qui reste, je crois, c’est le vin de la tendresse. Et c’est là le sens du vin du mariage de Cana en Galilée qui reste le bon vin jusqu’à la fin. Donc, si vous voulez, il y a une catéchèse dans l’office du mariage, et une catéchèse concrète, pour la vie.

À suivre …

Note

[1] Je disposais des feuillets dactylographiés de cette émission radiophonique et je voulais depuis un certain temps les publier. Récemment j’ai reçu d’un ami le livre regroupant d’autres interview, homélies et textes du père Gabriel. Je l’ai croisé il a très longtemps et j’étais trop petit pour pouvoir vraiment l’apprécier, mais les adultes qui m’entouraient l’aimaient beaucoup et comme le dit la préface de ce livre : “Il savait détendre une assemblée, amuser ses amis, notamment par les imitations dont il était capable et qui ravissaient son entourage : ceci n’était jamais méchant, mais démontrait combien il ne se prenait pas au sérieux. Il pouvait être le clown de Dieu comme le Bon Samaritain. Dans les deux cas, au travers de son être, Dieu nous donnait du réconfort.”

mercredi 6 mars 2013

Le mariage - p. Gabriel (2)

ODT

p. Stéphane : Mais quand, parfois, le bon vin n’arrive pas jusqu’à la fin ? Dans le cas d’un divorce par exemple ?

p. Gabriel : Alors voilà : le principe est posé, la prière de l’Église est posée, et est adressée au Seigneur, et malgré cela il arrive, – il arrive même trop souvent en ce moment – que le bon vin ne reste pas jusqu’à la fin. Et alors là il y a divorce. Et c’est une question qu’on nous pose souvent à nous les orthodoxes :

“mais vous les orthodoxes, l’Église orthodoxe, admettez le divorce.”

On ne peut pas dire que l’Église orthodoxe admette ou approuve le divorce. L’Église orthodoxe ne met pas en cause – elle ne peut pas le faire – le caractère indissoluble du mariage.

p. Stéphane : Nous allons plus loin puisque nous parlons d’unicité du mariage, et d’ailleurs aux premiers siècles, pour les veuves et les veufs, c’était un honneur de ne pas se remarier. Par la suite, bien sûr, l’Église a été plus près de l’homme, et elle a compris aussi son chagrin et sa détresse.

p. Gabriel : Justement, nous appliquons une liturgie différente pour les veufs et aussi pour les divorcés. Saint Paul dit qu’il vaut mieux se remarier que de brûler. Il y a des situations de mariages ratés qui sont des croix devant lesquelles l’Église ne peut être qu’amour, compassion et humilité. C’est important sur le principe, car le Seigneur dit : “N’imposez pas aux autres des fardeaux que vous-mêmes ne pourriez pas toucher du doigt.” Il dit aussi : “Vous n’entrez pas dans le royaume des cieux et vous voulez empêcher les autres d’y entrer.” L’Église, qui prêche l’unicité du mariage et qui rappelle pendant l’office du mariage qu’il ne convient pas de séparer ce que Dieu a uni. Mais à l’humilité et à la compassion de préférer ou de donner priorité au salut de l’homme sur le principe, car “le sabbat est fait pour l’homme, et pas l’homme pour le sabbat”.

Mais je crois qu’il faut bien réfléchir sur cette question du divorce, et d’abord sur cette expression “que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni”. Est-ce que Dieu peut unir certains mariages qui ne sont pas des mariages ? Car il faut bien dire que quelquefois malheureusement, il y a des mariages qui sont basés sur un mensonge, sur une restriction mentale. Je crois que l’Église romaine dans ce cas-là considère que le mariage n’a pas existé.

Et puis c’est là où il y a le mystère : il y a des mariages qui ont existé et qui meurent. Et c’est là où l’Église ne peut que dire : “Seigneur, aie pitié !” Bon, le divorce est consommé. Le divorce sera constaté par l’Église, de manière pénitentielle, c’est le rite pénitentiel. Mais il ne faut pas dire que le divorce met un point final à l’aventure. Non. Il y a une pastorale du divorce comme il y a une pastorale du mariage. Il y a une pastorale pré-divorce qui est l’éducation au mariage. Mgr Antoine[1] dit : “Ce qui pose question n’est pas tellement le divorce que la façon dont on se marie”.

Et puis il y a une pastorale du divorce lorsqu’il y a divorce. Il faut que les gens soient aussi en face de leurs responsabilités. Vis-à-vis des enfants – de ces enfants du divorce – de ces enfants des “papas du dimanche” dont on parle dans la presse. J’ai connu beaucoup de ces cas-là : les papas du dimanche qui doivent lutter pour avoir leurs enfants quelques heures par semaine. J’ai vu une femme dernièrement qui a divorcé et qui a dit : “Eh bien moi, vous savez, je donne l’enfant à mon mari comme l’a fixé le tribunal, mais pas plus”. Comme si le tribunal pouvait juger et mesurer la tendresse !

Il y a aussi de la part des époux divorcés la nécessité d’une éducation à la compassion. Le divorce, c’est toujours un très grand traumatisme. Ça peut être une résurrection d’une certaine façon ; mais il y a la cicatrice, et la cicatrice pour les autres. C’est pourquoi l’Église ne peut traiter le divorce qu’avec compassion, avec humilité, mais avec justice et avec attention.

À suivre …

Note

[1] Métropolite Antoine (Bloom)

jeudi 7 mars 2013

Le mariage - p. Gabriel (3)

ODT

p. Stéphane : Il y a aussi des cas où on n’aboutit pas au divorce, mais où il y a crise dans le couple.

p. Gabriel : C’est bien de poser cette question. Vous savez, moi, ça fait longtemps que je suis marié, et les gens qui sont mariés depuis longtemps, souvent ont eu des crises, grandes ou petites. Et l’expérience montre que si on domine les crises, on retrouve le vin de la tendresse.

Le père Alexandre Turincev, qui a eu un mariage chrétien extraordinaire (il a maintenant perdu sa femme), en face des conflits du mariage dit avec son accent russe impayable : “C’est toujours les 45 premières années qui sont les plus difficiles !” C’est une boutade, mais c’est vrai. Si on arrive à dominer la crise : regardez ces vieux époux, ces vieux époux qui finissent par se ressembler, qu’est-ce qu’ils ont pu se déchirer quelquefois !

Mais aujourd’hui dès qu’il y a crise, enfin souvent lorsqu’il y a crise, on pense divorce, on pense éclatement tout court : c’est la crise du couple. Et nous le rencontrons toujours en pastorale. Alors là il faut réfléchir au problème. Il y a d’abord un problème d’idéologie dominante : je crois que l’homme d’aujourd’hui, le jeune d’aujourd’hui, on lui a tellement dit – et il fallait le dire – qu’il avait des droits à des tas de choses ! Mais il ne faut pas oublier de dire qu’il a des devoirs, et des devoirs de responsabilité.

On a le droit au plaisir, on a le droit au désir, on a le droit au bonheur. Je ne sais pas si nos grand-parents avaient tellement conscience des droits au plaisir et des droits au désir ; mais ils avaient gagné le droit au véritable amour, il faut bien faire attention !

Et puis les gens sont seuls ; je crois que cette chose-là est très importante. Autrefois, je me souviens, quand on vivait dans les quartiers, on se fréquentait, on se voyait. À l’heure actuelle les gens sont dans des petites boîtes de HLM, ils vivent l’un contre l’autre, l’un avec l’autre, avec chacun ses névroses, chacun ses difficultés de travail, chacun ses fantasmes, chacun ses agressions qu’il reçoit justement sur le plan sexuel et sur le plan affectif ou sur le plan des frustrations, et la société laisse les gens seuls. Je crois que souvent les gens se marient, font des mariages idiots, parce qu’ils sont seuls. On est seul, on s’ennuie chez soi, on n’est pas compris par ses parents, on se marie. Le proverbe grec dit : “quand on se noie on s’accroche même après un serpent”. Et là il y a encore une responsabilité de la société, non pas seulement des médias et de l’idéologie dominante, mais au niveau du soutien de ses frères, de façon à ce qu’ils ne soient pas induits en tentation.

Et puis il y a aussi une pastorale de l’Église qui est la pastorale de l’autre, qui est la pastorale du plan de Dieu, et peut- être que ça peut justement aider à la patience et à gagner le vin de la tendresse.

p. Stéphane : En quelques mots, sur quoi se fonde cette pastorale?

p. Gabriel : Cette pastorale se fonde sur deux choses:

  1. D’abord sur la dignité de fils quoiqu’il arrive, dans n’importe quelle circonstance, quels que puissent être la faiblesse, l’échec ou le péché, personne ne peut être privé de la dignité de fils de Dieu, de la dignité de fils de l’Église.
  2. Et puis il y a un autre principe, c’est qu’aucune personne ne ressemble à aucune autre personne. Je crois que la pratique de l’Église orthodoxe, c’est la pratique de l’écoute par le père spirituel, de la compassion et de la solidarité avec justement les gens qui sont dans le malheur ou dans la difficulté. C’est un peu ce dont nous parlons à propos de la confession : si quelqu’un se noie, je pense qu’il ne faut pas hésiter, si on le peut, à plonger soi-même pour que la personne, selon le plan de Dieu, puisse en sortir, ressusciter de cette petite mort, et à nouveau vivre debout dans la lumière.

Mais encore une fois, s’il y a la pastorale de la guérison, il y a aussi – et avant tout – la pastorale de la prévention. Une pastorale d’éducation au mariage. Et cette pastorale d’éducation au mariage, ce n’est pas autre chose que la pastorale de l’Évangile. Comme dit encore mon bon maître Mgr Antoine – je m’excuse de le citer encore une fois – il dit : “N’oublie pas que ton épouse, c’est aussi ton prochain”. Et quelquefois on a tendance à l’oublier. Vous savez, moi je connais des gens qui sont restés des années et des années auprès de quelqu’un – d’un mari ou d’une femme – et qui ne l’ont pas vraiment regardé. Nous sommes tous un peu pécheurs dans ce sens-là.

“Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, ça veut dire qu’il faut l’aimer non pas comme sa chose, mais comme une personne qui a le droit d’être regardée et qui a le droit d’être aimée. Comment peut-on être charitable, pratiquer l’amour fraternel, l’amour chrétien vis-à-vis des étrangers, et ne pas regarder quelqu’un qui est à côté de soi. Je crois que ça, c’est une chose très importante. Dès avant le mariage, dès avant le mariage, regarder la personne, pour voir si on pourra vraiment vivre avec elle. Et aussi, ce que dit encore Mgr Antoine à propos du mariage : il cite une parole de l’Évangile lorsqu’il dit : “Si tu veux construire une tour, assieds-toi et demande-toi si tu pourras la mener jusqu’au bout”.

Il faut de la tendresse, il faut de la spiritualité, il faut aussi de la lucidité.