Évangile de l’aveugle né

Homélie de Mgr Antoine (Bloom) pour le dimanche de l’aveugle né – 5e dimanche après Pâque – 22 mai 1967

Il y a deux attitudes possibles face aux passages du Nouveau Testament qui nous heurtent et nous laissent perplexes. Soit on s’appuie sur son expérience et sur ses pensées, [donc finalement] sur son impossibilité à voir plus large et plus profond que les apparences et la surface des choses et on se dit : cela ne peut-être ainsi, et si pourtant ça l’est – alors Toi, Seigneur, démontre-moi d’abord qu’il en est ainsi et alors je croirai… Ou bien on peut réagir différemment et s’appuyer sur l’expérience, si petite soit-elle, mais que nous avons tous de Dieu, renoncer à nos opinions, à nos convictions, à nos sentiments et se dire : il s’est révélé quelque chose d’immensément plus vaste que ce que j’ai pu imaginer, que tout ce que je croyais vrai jusqu’à présent et cette révélation me vient de Dieu Lui-Même. Dorénavant, je vais accepter cette révélation, qui surpasse tout ce que je croyais jusqu’à présent, avec foi et tôt ou tard, de l’intérieur de cette relation avec Dieu, je saisirai que c’est Lui qui avait raison…

Un des passages embarrassant et difficile du Nouveau Testament, est sans conteste le début de l’évangile que nous avons lu aujourd’hui. Ce n’est pas tant la question posée par les apôtres : qui a péché pour que cet homme naisse entouré de ténèbres ? – mais l’autre question qui découle de la réponse du Christ : personne n’a péché, personne n’est responsable, ce ne sont pas des représailles, ce n’est pas l’hérédité, cela n’a pas d’autre raison d’être que de permettre la manifestation de la gloire de Dieu…

Mais où est ici la gloire de Dieu ? Est-elle vraiment dans le fait que cet homme ait dû vivre tant d’années, peut-être même jusqu’à un âge avancé, avec cette terrible infirmité pour qu’enfin il soit l’objet d’un miracle et que les gens glorifient Dieu ? Les gens n’auraient-ils pas glorifié Dieu avec plus de joie encore, avec un sentiment de compréhension plus vif et plus profond s’ils avaient vu un homme en pleine possession de toutes les facultés humaines possibles ?…

Ici encore la réponse est double. Non, ils n’auraient pas glorifié Dieu, nous le savons par notre propre expérience et par celle de ceux qui nous entourent. Les gens ne glorifient pas Dieu parce que tout va bien dans leur vie, les gens ne glorifient pas Dieu parce qu’il est parfois si merveilleux de vivre – ce qui est merveilleux va finalement « de soi » : il va de soi d’être en bonne santé, d’être protégé, d’être libre – tout ce qui est agréable « va de soi ». Et rarement, très rarement, il arrive que nous soyons capables d’apprécier véritablement toutes ces choses « allant de soit » comme des dons de Dieu, qui nous sont offerts gratuitement et que nous n’avons rien fait pour les mériter, que ces « choses » sont autant d’étonnements permanents.

Mais il y a une autre réponse, me semble-t-il, à cette question, plus significative et plus importante. La gloire de Dieu ne s’est pas seulement révélée dans le fait que l’homme a recouvré la vue avec ses yeux corporels : il a recouvré la vue dans toutes les profondeurs de son âme ! Ses yeux spirituels se sont ouverts sur la miséricorde divine, sur Sa toute-puissance et finalement c’est son cœur qui s’est ouvert et est devenu capable de répondre avec foi et amour au don divin de sa guérison physique. C’est là que la gloire de Dieu s’est manifestée – pas dans le fait que les gens aient félicité Jésus, puisque l’Évangile affirme qu’ils ont crucifié le Seigneur comme un pécheur précisément parce qu’Il n’ont pas apprécié la manière dont Il a accompli Sa mission de réconciliation. Non, ce n’est pas de cette manière qu’Il a été glorifié, c’est dans l’âme de cet homme que s’est levée, comme un soleil, la vie éternelle : comme par une étincelle, comme par un reflet lumineux, tout s’est éclairé d’une lumière qui n’appartient qu’à Dieu Lui-Même et ensuite est entré dans le monde comme un nouvel éclat de la présence divine.

Souvent, lorsque nous sommes entourés de malheurs, lorsque nous regardons les tragédies que traverse le monde, notre âme vacille et nous ne voyons pas qu’à travers chaque situation, chaque événement, nous avons l’occasion d’approfondir notre expérience [spirituelle] et d’éprouver dans la profondeur de notre âme le miracle d’une rencontre avec Dieu, que cette rencontre est plus importante et plus significative que ce dont nous avons peur.

Pensons à cela, les chemins de Dieu sont des chemins sans concession : Dieu nous donne beaucoup, mais Il ne nous laissera jamais périr à cause de notre confort. Si nous ne pouvons pas trouver la reconnaissance et la vie éternelle au milieu de notre confort, alors notre Dieu miséricordieux ne nous laissera pas nous perdre dans ce confort !

Cette parole est dure ; cette parole a été dite il y a plusieurs siècles, à la première génération de chrétiens, par un des 70 apôtres, Hermas : « Dieu est miséricordieux, parce qu’Il ne te laissera pas avant qu’Il n’ait humilié ton cœur ou tes os… » Il est miséricordieux parce que face à notre dureté, à notre cruauté et à notre cécité, Il doit faire pénétrer dans notre vie [et notre cœur] un miracle salutaire. Et comme nous ne sommes pas assez attentifs pour vivre dans la douce brise de Sa providence, ce miracle déferle souvent comme une tempête dans notre vie. Amen.