« Dieu est Lumière, en Lui point de ténèbres » (1 Jn. 5)

Introduction : La lumière divine.

L’union avec Dieu est un mystère qui s’accomplit dans les personnes humaines.

Un être humain sur la voie de l’union n’est jamais amoindri dans sa qualité de personne, quoiqu’il renonce à sa volonté propre, à ses inclinations naturelles. C’est en renonçant librement à tout ce qui lui est propre par nature que la personne humaine se réalise pleinement dans la grâce. Ce qui n’est pas libre, ce qui n’est pas conscient, n’a pas de valeur personnelle. Les privations, les souffrances, ne peuvent devenir une voie vers l’union, si elles ne sont acceptées librement. Une personne parfaite est pleinement consciente dans toutes ses déterminations : elle est libre de toute contrainte, de toute nécessité naturelle. Plus une personne progresse dans la voie de l’union, plus elle est consciente. Cette conscience dans la vie spirituelle s’appelle connaissance (gnôsis) chez les auteurs ascétiques orientaux. Elle se manifeste pleinement dans les degrés supérieurs de la voie mystique comme la connaissance parfaite de la Trinité. C’est pourquoi Évagre le Pontique identifiait le Royaume de Dieu avec la connaissance de la Sainte Trinité – conscience de l’objet de l’union. Au contraire, l’inconscience (agnoia) dans sa limite extrême, ce ne serait rien d’autre que l’enfer – dernière déchéance de la personne. La vie spirituelle – l’accroissement de la personne humaine dans la grâce – est toujours consciente, l’inconscience étant une marque du péché, « le sommeil de l’âme ». Il faut donc être conscient dans l’état de veille, se comporter comme des fils de lumière – « Jadis vous étiez ténèbres, mais à présent vous êtes lumière dans le Seigneur ; conduisez-vous en enfants de lumière[1] », selon la parole de saint Paul : « Éveille-toi, toi qui dors, lève-toi d’entre les morts, et sur toi luira le Christ ».

L’Écriture Sainte abonde en expressions se rapportant à la lumière, à l’illumination divine, à Dieu, qui est appelé Lumière. Pour la théologie mystique de l’Église d’Orient ce ne sont pas des métaphores, des figures de rhétorique, mais des paroles exprimant un aspect réel de la divinité. Si Dieu est appelé lumière, c’est qu’il ne peut rester étranger à notre expérience. La « gnose », la conscience du divin dans son degré suprême est une conscience de la lumière incréée, cette expérience elle-même étant lumière : « Dans ta lumière nous verrons la lumière[2] ». C’est ce qu’on perçoit et ce par quoi on perçoit dans l’expérience mystique. Pour saint Syméon le Nouveau Théologien l’expérience de la lumière, qui est la vie spirituelle consciente ou la « gnose », révèle la présence de la grâce acquise par la personne[3]. Si la vie dans le péché est parfois volontairement inconsciente (on ferme les yeux pour ne pas voir Dieu ), la vie dans la grâce est un progrès incessant de la conscience, une expérience croissante de la lumière divine.

Vladimir Lossky, Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient, Cerf 2008, p. 215-7.

Notes

[1] Eph. 5, 9.

[2] Ps. 35, 10.

[3] Homélie LXXIX, 2 = Catéchèse XXVIII (SC 113, p. 137-139).