La Samaritaine

Textes du pentécostaire

Stichère de la mi-pentecôte – ton 4

Voici la moitié des jours * commençant avec la Résurrection du Sauveur * et s’achevant par la fête de la Pentecôte, * entre les deux faisant le joint, * s’éclairant de leur double clarté et se glorifiant * de précéder l’Ascension du Seigneur.

Sion écoute et se réjouit, * car elle est annoncée, l’Ascension du Christ; * ses fidèles enfants exultent de joie; * voyant que la mort sanglante du Christ * est effacée par le saint Esprit, * l’Église se prépare à célébrer dignement * la joyeuse mi-temps de ces deux fêtes sacrées.

Voici venir la riche effusion * de l’Esprit divin sur tout être vivant, * ainsi que l’écrivait le prophète Joël; * voici en son milieu la fête fixée d’avance, * car après sa mort, sa mise au tombeau, sa résurrection, * sans mensonge le Christ a promis * aux Disciples la venue du Paraclet.

Stichères de la Samaritaine ‒ ton 1

Source de miracles, tu vins à la source de Jacob, * à la sixième heure du jour, * prendre le fruit de la mère des vivants, * car Ève, à cette heure, trompée par le serpent, a perdu le Paradis. * La Samaritaine s’approcha donc pour puiser de l’eau * et le Sauveur, lorsqu’il la vit, lui demanda : * Donne-moi de l’eau pour la soif de mon corps * et moi, je te donnerai une eau jaillissante en la vie éternelle. * La femme courut à la ville sagement * porter aux foules la nouvelle en disant : * Venez voir le Christ Seigneur, le Sauveur de nos âmes.

– ton 2 –
Le Seigneur vint s’asseoir * près du puits de Jacob * et la Samaritaine lui demanda: * Donne-moi l’eau de la foi * et de la piscine baptismale je recevrai les flots, * l’allégresse et la rédemption; * Source de vie, Seigneur, gloire à toi.

Le Fils et Verbe de Dieu * qui partage l’éternité du Père * vint à la source, lui la Source des guérisons; * or une femme de Samarie * s’approcha pour puiser de l’eau * et, lorsqu’il la vit, le Sauveur lui dit : * Donne-moi de l’eau à boire et va, * appelle ton mari ! * Mais celle-ci s’empressa de dissimuler ; * comme parlant à un homme et non à Dieu, * elle dit : Je n’ai point de mari ! * Et le Seigneur lui répondit : * Tu as bien fait de dire : Je n’ai pas de mari, * car tu en as eu cinq, et maintenant * celui que tu as n’est pas ton mari ! * À ces mots, la femme, effrayée, * courut à la ville dire aux gens : * Venez voir le Christ, * celui qui donne au monde la grâce du salut.

Gloire au Père… – ton 6
Près du puits de Jacob * Jésus, trouvant la Samaritaine, lui demande de l’eau, * lui qui couvre la terre de nuées ! * Merveille, celui qui chevauche les Chérubins * converse avec une femme dépravée ; * il demande de l’eau, celui qui suspendit la terre sur les eaux, * il cherche de l’eau, celui qui remplit les sources et les étangs ; * mais en vérité il désire sauver la pécheresse du filet de l’ennemi, * l’abreuver d’eau vive pour éteindre les flammes de ses passions, * dans son unique bonté et son amour pour les hommes.

Lecture des Actes des Apôtres

(Ac XI,19-26,29-30)

En ces jours-là, les apôtres qui avaient été dispersés par la tourmente survenue à propos d’Étienne allèrent jusqu’en Phénicie, dans l’île de Chypre, et à Antioche, annonçant la parole seulement aux Juifs. Il y eut cependant parmi eux quelques hommes de Chypre et de Cyrène, qui, étant venus à Antioche, s’adressèrent aussi aux Grecs, et leur annoncèrent la bonne nouvelle du Seigneur Jésus. La main du Seigneur était avec eux, et un grand nombre de personnes crurent et se convertirent au Seigneur. Le bruit en parvint aux oreilles des membres de l’Église de Jérusalem, et ils envoyèrent Barnabas jusqu’à Antioche. Lorsqu’il arriva, et qu’il vit la grâce de Dieu, il s’en réjouit, et les exhorta tous à rester d’un cœur ferme attachés au Seigneur ; car c’était un homme droit, plein d’Esprit Saint et de foi. Et une foule nombreuse se joignit au Seigneur. Barnabas se rendit ensuite à Tarse, pour chercher Saul ; et, l’ayant trouvé, il l’amena à Antioche. Pendant toute une année, ils prirent part aux assemblées de l’Église, et ils enseignèrent beaucoup de personnes. Ce fut à Antioche que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens. En ce temps-là, des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche. L’un deux, nommé Agabus, se leva, et annonça par l’Esprit qu’il y aurait une grande famine sur toute la terre. Elle arriva, en effet, alors que Claude était empereur. Les disciples résolurent d’envoyer, chacun selon ses moyens, une aide aux frères qui habitaient la Judée. Ils la firent parvenir aux anciens par l’entremise de Barnabas et de Saul.

Lecture de l’Évangile selon Saint Jean

(Jn IV,5-42)

Jésus arriva dans une ville de Samarie, nommée Sychar, près du champ que Jacob avait donné à Joseph, son fils. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué du voyage, était assis au bord du puits. C’était environ la sixième heure. Une femme de Samarie vint puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire ». Car ses disciples étaient allés à la ville pour acheter des vivres. La femme samaritaine lui dit : « Comment toi, qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une femme samaritaine ? » -Les Juifs, en effet, n’ont pas de relations avec les Samaritains. - Jésus lui répondit : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire ! tu lui aurais toi-même demandé à boire, et il t’aurait donné de l’eau vive ». « Seigneur, lui dit la femme, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond ; d’où aurais-tu donc cette eau vive ? Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux ? » Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle ». La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif, et que je ne vienne plus puiser ici ». « Va, lui dit Jésus, appelle ton mari, et viens ici ». La femme répondit : « Je n’ai point de mari ». Jésus lui dit : « Tu as eu raison de dire : Je n’ai point de mari. Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela tu as dit vrai ». « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne ; et vous dites, vous, que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem ». « Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; car ce sont là les adorateurs que le Père demande. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité ». La femme lui dit : « Je sais que le Messie doit venir (celui qu’on appelle Christ) ; quand il sera venu, il nous annoncera toutes choses ». Jésus lui dit : « Je le suis, moi qui te parle ». Là-dessus arrivèrent ses disciples, qui furent étonnés de ce qu’il parlait avec une femme. Toutefois aucun ne dit : « Que demandes-tu ? » ou : « De quoi parles-tu avec elle ? » Alors la femme, ayant laissé sa cruche, s’en alla dans la ville, et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait ; ne serait-ce point le Christ ? » Ils sortirent de la ville, et ils vinrent vers lui. Pendant ce temps, les disciples le pressaient de manger, disant : « Rabbi, mange ». Mais il leur dit : « J’ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas ». Les disciples se disaient donc les uns aux autres : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? » Jésus leur dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé, et d’accomplir son œuvre. Ne dites-vous pas qu’il y a encore quatre mois jusqu’à la moisson ? Voici, je vous le dis, levez les yeux, et regardez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson. Celui qui moissonne reçoit un salaire, et amasse des fruits pour la vie éternelle, afin que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble. Car en ceci ce qu’on dit est vrai : Autre est celui qui sème, et autre celui qui moissonne. Je vous ai envoyés moissonner ce que vous n’avez pas travaillé ; d’autres ont travaillé, et vous êtes entrés dans leur travail ». Plusieurs Samaritains de cette ville crurent en Jésus à cause de cette déclaration formelle de la femme : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait ». Aussi, quand les Samaritains vinrent le trouver, ils le prièrent de rester auprès d’eux. Et il resta là deux jours. Un beaucoup plus grand nombre crurent à cause de sa parole ; et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu as dit que nous croyons ; car nous l’avons entendu nous-mêmes, et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde ».

Homélie[1]

Le Christ est ressuscité !

« L’heure vient, et c’est maintenant, où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité Dieu est Esprit et ceux qui adorent, c’est dans l’Esprit et la vérité qu’ils doivent adorer ». Quelle révélation dans ces paroles de Jésus à la Samaritaine !

Voyons ! Depuis plus de mille ans, tant les Juifs que les Samaritains rappellent au Seigneur l’Alliance du Sinaï avec des sacrifices sanglants. Car si les Samaritains ne reconnaissent que la Tora, la Loi, il en est de même des maîtres du Temple de Jérusalem, les sadducéens. Depuis plus de mille ans, que ce soit à Jérusalem ou sur les hauts-lieux de Samarie, on ne cesse de sacrifier des taureaux. Et pareillement de l’agneau pascal, en souvenir de la sortie de la servitude d’Égypte. Sans parler des innombrables victimes offertes en rémission des péchés personnels ou collectifs du peuple. Depuis plus de mille ans, on adore, tant en Juda qu’en Samarie, avec le sang des bêtes. Toute autre forme de culte est proscrite, même si en Israël le psalmiste et les prophètes ont aspiré à un culte intériorisé de fraternité et d’amour. Même si en Juda Isaïe a révélé le mépris du Seigneur pour un culte sanglant devenu purement rituel et factice. La Loi reste la Loi et le culte le culte. Tous deux ont été prescrits par le Seigneur à Moïse et restent immuables.

Or voici que Jésus ne remet même pas en question cette loi ni ce culte ; Il les gomme d’une parole, de Sa propre autorité, la même avec laquelle Il proclame : « On vous a dit, et Moi Je vous dis… », « désormais, c’est en esprit et en vérité qu’on doit adorer ». Pour une personne aussi peu prévenue que la Samaritaine, il y a de quoi déconcerter et choquer.

Or il n’en est rien. La pédagogie de la Parole de Jésus, cette Parole qui pénètre jusqu’aux articulations de l’âme, opère en elle dès que Jésus lui a demandé de l’eau à boire. Quand elle entend dire que Dieu est Esprit et que les vrais adorateurs ne peuvent adorer qu’en esprit et en vérité, elle a une intuition : « Je sais, dit-elle, que le Messie doit venir ; lorsqu’il sera venu, il nous annoncera toutes choses ». Quand Jésus répond « Je le suis moi qui te parle », elle a tout compris, tout accepté, tout reçu. La source de vérité et d’eau vive, c’est Lui ; le donateur de l’Esprit, c’est Lui. Et le culte nouveau annoncé vient de Lui.

Si l’annonce de Jésus est bouleversante, c’est qu’elle réclame un total retournement du cœur, et ce retournement la Samaritaine l’accomplit. Désormais elle sait de qui découlent les sources d’eau vive, et que pour rendre un culte à Dieu, il faut et il suffit de se mettre à l’écoute de son Messie. Elle sait que désormais seul un culte purement spirituel peut être rendu au Seigneur.

Cela ne s’est pourtant pas passé aussi simplement pour tous. Il n’est pas sans intérêt de rapprocher les paroles de Jésus aux Juifs de Capernahum, dans le discours sur le pain de vie (cf. chapitre de saint Jean que nous ignorons totalement, hélas, puisque nous n’avons pas la possibilité de le lire le dimanche). Le peuple, après la multiplication des pains, harcèle Jésus dans l’espoir d’un renouvellement du miracle. Jésus l’appelle à se dépasser : « travaillez non pour la nourriture périssable, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle ». Et les Juifs, comme la Samaritaine pour l’eau vive, de demander : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là ».

Chez eux, comme chez la Samaritaine, s’entrouvre la porte par où pourrait passer la lumière. De même que Jésus est la source d’eau vive jaillissant en vie éternelle, Il est « la vraie manne descendue du ciel qui donne la vie au monde ». Plus encore, Il est le pain de vie ; qui vient à Lui n’aura plus jamais faim, qui croit en Lui n’aura plus jamais soif. Au contraire de la Samaritaine, même Ses propres disciples se scandalisent. Jésus les reprend : « Si sa chair est nourriture de vie divine, c’est que l’Esprit la vivifie ; et ses paroles sont esprit et elles sont vie ».

La lumière viendra avec l’Ascension glorieuse et l’envoi de l’Esprit Saint à la Pentecôte. Pour qu’un culte puisse être célébré en esprit et en vérité, il fallait que l’Esprit vînt sur le monde, il fallait que le Christ fût glorifié. Il fallait qu’expirant sur la Croix, Jésus pût confesser : « maintenant tout est accompli ». La Loi alors a été définitivement parachevée, et l’Esprit de vérité allait pouvoir investir le monde. Alors le Ressuscité pourra communiquer à toute chair la vie divine et éternelle par la puissance de l’Esprit. Avant que Jésus ne soit glorifié, « il n’y avait pas encore l’Esprit », dit saint Jean. Mais avec sa glorification Jésus entre en possession de la plénitude de l’Esprit. Jésus devient pour le monde entier source jaillissante en vie éternelle.

C’est de ce sacrifice unique du Christ, sacrifice qui abolit et transcende tous les sacrifices antécédents, que désormais nous vivons, et le monde entier en nous. Ce sacrifice que nous ne cessons d’actualiser, de faire mémoire, de rendre présent au Père pour lui rappeler son Alliance nouvelle et éternelle. C’est un acte d’adoration radicalement et définitivement spirituel, perpétué par la puissance de l’Esprit, une offrande pure, présentée en tous lieux, d’orient en occident, au nom du Seigneur.

Le récit de la Samaritaine est un exemple admirable. Il nous donne d’entrevoir la prodigieuse « révolution » accomplie par cette simple femme. En un Juif inconnu et anonyme, elle a su reconnaître et accueillir le dispensateur des sources vives de l’Esprit, le donateur de vie éternelle, l’Oint du Seigneur annoncé par les Prophètes, et elle a su le proclamer sur-le-champ à tous les siens.

Puissions-nous tous être saisis d’une telle foi !

Note

[1] Prononcée à la Crypte par le Père René le 12 mai 1996