Archimandrite Joachim ParrD’après la conférence donnée par l’archimandrite Joachim Parr à Saint-Pétersbourg en Russie (27.06.2011).

Partie 3

Est-ce que notre vie témoigne de ce à quoi nous croyons ? Oui, c’est évident ! Mais le problème est qu’elle ne témoigne pas du Christ ! Que faisons de notre vie ? Les églises sont souvent vides parce que notre foi est vide. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Je radote avec mes histoires du passé. Plus concrètement, êtes-vous d’accord pour qu’aujourd’hui le Seigneur réclame votre âme ? Que pourrions-nous Lui offrir en échange de la vie qu’Il nous a confiée ? Qu’allons-nous Lui dire ? « Je suis Orthodoxe ! » « Je peux citer les Écritures ! » Le Diable sait les citer aussi, mais il ne les vit pas. Et c’est aussi notre cas, nous citons, nous en parlons, mais nous ne les vivons pas. Nous ne vivons pas ce qui y est écrit. […] Les connaissances sur Dieu ne sont pas la connaissance personnelle de Dieu. Mon père spirituel me disait avant qu’il ne meure, alors que je lui demandais la bénédiction pour lire un livre : « Père, tu as passé ta vie à me demander la bénédiction pour “lire un livre”. Lis celui-là et vis ce qu’il y est écrit. Lis-le non-pas pour accumuler des informations ou du savoir, mais pour vivre ce qui y est écrit ! » […] La prière ne s’apprend pas dans les livres ou auprès des théologiens. Nous devons commencer à prier, nous devons nous battre, devenir bons et doux.

Je voudrais vous raconter une histoire à propos d’un pasteur californien. C’était un pasteur très riche qui perdait sa foi dans la religion. Il en était arrivé à la conclusion que tous les croyants étaient identiques, qu’aucun ne croyait vraiment dans ce qu’il disait et qu’ils étaient plus préoccupés pas les bâtiments que par les personnes. Et il était las de tout cela. Un jour il entendit parler d’un homme qui avait des problèmes, et décida d’aller rencontrer le pasteur de la localité où habitait cet homme. Arrivé sur place, on lui répondit : « Avez-vous rendez-vous ? » « Non, mais j’ai besoin de parler avec le pasteur. » « Si vous n’avez pas de rendez-vous, vous ne pourrez pas le voir. » Est-ce que vous avez déjà vu quelque chose de semblable ? Le riche pasteur fût très peiné par cette aventure et avant de mourir il donna des instructions à son avocat : « Je lègue toute ma fortune au premier prêtre catholique ou orthodoxe ou au premier pasteur que tu rencontras après ma mort. Tu entreras dans chaque église de la ville ; si c’est une cathédrale, tu demanderas à voir l’évêque personnellement ; si c’est un monastère, tu demanderas à voir le supérieur ; si c’est une église, tu demanderas à voir le curé ; si c’est un temple, tu demanderas le pasteur … Au premier qui te recevra comme si tu étais le Christ tu donneras mon argent. » L’avocat a écumé les églises et les temples durant six semaines sans pouvoir rencontrer un prêtre ou un pasteur sans rendez-vous. À chaque fois, on lui demandait qui il était et ce qu’il voulait, il répondait qu’il n’était personne et qu’il voulait juste parler, et on lui répondait que sans rendez-vous ce n’était pas possible.

Un jour il rencontra le père Lioubomir, un prêtre serbe, veuf depuis quinze ou vingt ans. Il s’était installé dans un quartier pauvre de la ville et tous les Serbes avaient déménagé dans les environs. L’église était en mauvais état, le toit fuyait et l’intérieur était noirci pas l’encens et la fumée des cierges. C’était une église orthodoxe bien usée par le temps. L’avocat sonna et le père Lioubomir ouvrit la porte, le pria d’entrer sans rien lui demander et lui demanda comment il pouvait lui être utile. Il lui proposa une tasse de thé sans demander qui était la personne qui était venue le voir. L’avocat répondit que c’était lui qui avait quelque chose qui pouvait aider le père Lioubomir : « en ouvrant la porte et en m’accueillant comme le Christ l’aurait fait, vous venez de gagner un chèque de douze millions de dollars. » Le père Lioubomir fit réparer le toit et l’ensemble de l’église et il donna le reste, soit huit millions de dollars, à une organisation protestante qui s’occupait de loger les sans-abris. Le père Lioubomir qui m’a lui-même raconté cela, m’a dit que Dieu lui avait envoyé de l’argent, qu’il avait pris ce dont il avait besoin et donné le reste. C’était un évangélisateur, c’était un prêtre et il a montré la face du Christ à ses proches. Ils sont nombreux comme lui, nombreux qui servent les autres, et en faisant cela, ils montrent que Dieu existe.

Je veux vous parler de notre monastère, je ne dis jamais « mon » monastère, mais « notre monastère. En fait, non je veux plutôt vous parler d’un autre monastère. En fait c’est une sorte de fable que je vais vous raconter. Il y avait un vieux monastère, un grand monastère et il y eut une période dans ce monastère où la plupart des vieux moines partirent. Les moines devenaient vieux et fatigués, certains mouraient, les autres partaient. Ils étaient devenus frileux, se plaignaient, priaient à contrecœur. Et petit à petit, personne ne venait plus dans ce monastère, ni pour prier dans l’église, ni comme novice. Les moines comprirent que le monastère était voué à disparaître. Un jour un rabbin est venu frapper à la porte et a demandé à voir le supérieur. Le moine qui avait accueilli le rabbin partit chercher le supérieur, qui demanda au moine ce que le rabbin voulait. Le supérieur voulait savoir ce que le rabbin désirait avant de le rencontrer. Le moine retourna donc questionner le rabbin qui lui répondit qu’il avait remarqué dans les bois près du monastère une petite cellule isolée et abandonnée dans laquelle il aurait voulu terminer sa vie en priant Dieu. Le moine rapporta le souhait du rabbin au supérieur, qui lui accorda la permission de s’y installer, car de toutes les façons, plus personne de vivait « au désert ». Le rabbin passa l’été, l’automne et l’hiver suivants à prier nuit et jour dans la petite cellule. Les moines, qui passaient par là pour aller chercher du bois, racontaient au supérieur que le rabbin était toujours occupé à prier, les bras tendus vers le ciel. Le supérieur était très curieux de savoir quelle était la prière du rabbin, mais les moines n’avaient pas osé s’approcher pour entendre. Alors un jour le supérieur décida d’aller voir par lui-même comment vivait le rabbin. Tandis que le supérieur approchait de la cellule, le rabbin sortit à sa rencontre pour l’accueillir à bras ouverts et le remercier. « La seule chose que je tiens vous dire, c’est que parmi vous vie le Messie. Le Messie vit parmi vous dans le monastère. » « Qu’est-ce que vous venez de dire ? » « Je vous répète, je vous assure : le Messie vit parmi vous dans le monastère. » Le supérieur compris alors que le rabbin était un peu fou et il retourna dans le monastère où les autres moines, qui étaient un peu désœuvrés, l’interrogèrent. « Vous avez vu le rabbin ? Qu’est-ce qu’il a dit ? » « Le rabbin est un peu fou ; il a dit que le Messie vivait parmi nous, dans le monastère. » Tous rirent et convinrent que le rabbin était devenu fou.

Mais en allant se coucher, le supérieur fut troublé par la pensée du Messie vivant parmi les moines dans le monastère. Et si réellement le Messie vivait parmi les moines ? Si c’était tel moine ? Et si c’était tel autre ? Ou encore celui-là ? Et si c’était moi ? Au même moment, cette même pensée troublait tous les moines du monastère. Et si réellement le Messie vivait parmi nous ? Le lendemain quand ils se réunirent pour prier, ils se regardaient les uns les autres en se demandant, et si c’était celui-là ou bien celui-là, ou tel autre … Et leur vie changea, ils se mirent à se regarder autrement, à se comporter autrement les uns avec les autres. Et si celui-là était le Messie ? Si c’était le Seigneur, Lui-même, comme devrais-je me comporter avec lui ? Et ils se remirent à prier avec enthousiasme et les gens entendirent parler de ses moines joyeux et recommencèrent à visiter le monastère et à venir y prier. Et de jeunes novices vinrent se joindre à eux. Et le monastère refleurit. Au bout de trente ans, les moines perdirent petit à petit l’habitude de chercher dans l’autre le Seigneur, de se réjouir à l’idée que le Seigneur vivait parmi eux, ils perdirent leur joie dans la prière et le monastère commença à nouveau à décliner et ferma. Est-ce que le Christ vit parmi nous, chers frères et sœurs ? Voilà ce que les gens veulent savoir. Et si nous ne le savons pas, comment peut-on le leur apprendre ?

Il y a beaucoup de communautés aux États-Unis, avec des hommes et des femmes qui ont entendu parler de l’orthodoxie et qui essayent de vivre leur foi. Mais bien qu’ils soient convaincus et fervents dans leur foi, ils ne sont pas encore convertis. Leur style de vie et leur comportement ne correspondent pas à ce à quoi appelle l’évangile et à la vie en Christ. Beaucoup d’entre eux finissent frustrés. Ils étaient arrivés dans l’Église avec beaucoup d’ardeur et de joie, mais après un temps, ils repartent refroidis quand ils ne voient pas la concrétisation de la foi dans la vie des paroissiens qui étaient là avant eux. Regardons en nous-mêmes : si nous amenons quelqu’un à l’église, sommes-nous prêts à rester près de lui, à partager notre vie avec lui, à partager le Christ et tout ce que nous possédons avec lui ? Ou bien devra-t-il se débrouiller tout seul : « on se voit la semaine prochaine, j’ai des choses importantes à faire » ?

[…] Le Seigneur a dit que nous devions être des serviteurs, pas des rois ; derniers, pas premiers ; servez tout le monde ; lavez les pieds de votre frère. Cela s’adresse à nous tous, quel que soit notre rang. Comment en sommes-nous arrivés à vivre notre foi aussi mal ? Je crois vraiment que si nous vivions notre foi chrétienne Orthodoxe selon la sainte Eucharistie et avec une foi sincère, nous n’aurions pas besoin de toutes ces pacotilles qui nous semblent indispensables. Nous nous rendrions compte que nous avons besoin les uns des autres pour trouver le Christ. Nous prierions avec foi et nous remplirions nos églises avec les gens qui cherchent Dieu. « C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » (Mt 7,16)