Il convient de rappeler tout d’abord l’origine de la célébration de la fête de la sainte Croix. On venait de retrouver, à Jérusalem, à l’époque de l’empereur Héraclée, la très sainte Croix sur laquelle le Christ avait été crucifié. Sainte Hélène, la mère de Constantin, l’avait déjà découverte une première fois. Lors de sa redécouverte, le patriarche de Constantinople, Serge, venu à Jérusalem, présenta la Croix au peuple dans le temple de la Résurrection. Tout le peuple tomba alors à genoux en s’écriant : « Seigneur, aie pitié ! Seigneur aie pitié ! » Depuis lors, chaque année, le 14 septembre, on élève la Croix dans l’église et le peuple, de même, se prosterne en criant : « Seigneur, aie pitié ! »
Le serpent d’airain
Le dimanche qui précède la sainte Croix, on lit le passage de l’Évangile de saint Jean au chapitre 3, verset 13 à 17. Saint Jean évoque un événement raconté dans l’Exode, où est préfiguré le mystère de l’élévation de la Croix. Les Juifs, ayant traversé la mer Rouge et marché longuement à travers le désert, s’étaient découragés et murmuraient contre Moïse, disant : « N’aurait-il pas mieux valu que nous restions en Égypte où, au moins, nous avions à manger, plutôt que de périr dans le désert ? » Dieu envoya alors la plaie des serpents : de toutes les pierres du désert jaillissaient des serpents vénéneux qui mordaient le peuple ingrat, oublieux des bienfaits de Dieu, du miracle du passage de la mer Rouge, oublieux de sa libération de la terre de servitude et se décourageant, désespérant de son sauveur. Dieu dit alors à Moïse : « Fabrique un serpent en airain, mets-le sur un bois et élève le bois. Quiconque regardera le serpent en airain sera sauvé de la morsure des serpents. » Moïse fit ce que Dieu lui disait : il fabriqua le serpent en airain, il le mit sur un bois, il l’éleva dans le désert et le peuple regarda le serpent en airain avec foi, criant : « Seigneur, aie pitié ! » Tous ceux qui firent ainsi furent sauvés de la morsure des serpents[1].
Ces serpents représentent les hommes faisant le mal, trahissant Dieu, les hommes ressemblant à l’antique serpent qui fit chuter Adam et Ève, tandis que le serpent en airain préfigure Celui qui prit la ressemblance des serpents, Celui qui se fit homme pour sauver les hommes semblables à des serpents. Lui n’était pas un serpent, il était en airain, en métal pur : Dieu fait homme élevé sur le bois de la Croix. Tous ceux qui regardent ce Sauveur avec foi sont sauvés de la morsure des serpents, sont sauvés du mal.
Saint Jean voit à juste titre dans cet événement de l’Ancienne Alliance la préfiguration du mystère de la Croix. C’est pourquoi il nous dit : « Comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé », élevé sur la Croix, « afin que quiconque croit en Lui ait la vie éternelle ». Oui, tout homme qui regarde vers la Croix, vers le Sauveur en Croix, avec foi, reçoit la Vie Éternelle car il est sauvé de la mort. C’est là tout le mystère de la Croix, signe de l’amour de Dieu, de ce Dieu qui a « tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle »[2]. C’est sur la Croix que le Dieu fait homme manifeste son amour pour les hommes, donnant sa vie pour que les hommes ne meurent point, les sauvant de la mort par sa propre mort !
La Croix, symbole de l’amour de Dieu
L’empereur Constantin, avant de livrer bataille, vit dans le ciel la Croix du Seigneur avec cette inscription : « Par ce signe, tu vaincras ». Faisant confiance à la Croix du Seigneur, il triompha de son ennemi, symbole de l’ennemi qui est le démon, dont nous triomphons lorsque nous contemplons le signe de l’amour de Dieu. Car c’est là, sur la Croix, que l’amour se manifesta plus fort que la haine, lorsque Jésus s’écria : « Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font »[3]. Par cet amour répondant à la haine, le démon fut vaincu et la Croix du Seigneur triompha du mal. La Croix, où par sa mort le Christ a vaincu la mort, préfigure la Résurrection du Christ. C’est là, lorsque le Christ meurt, que la mort est vaincue, car le Christ ressuscitera, et Il meurt comme nous pour que nous ressuscitions comme Lui.
Aux matines de la fête de l’élévation de la sainte Croix du Seigneur, nous écoutons l’Évangile de Jean : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à Moi. »[4]. Comment le Christ nous attire-t-Il ? Par son amour, parce qu’Il nous a tant aimés qu’Il a donné sa vie pour notre vie. Comment aimer plus quelqu’un qu’en donnant sa vie pour lui ? Rends-toi compte que le Seigneur Jésus a donné sa vie pour toi, pour moi ! Car coupés de Dieu, séparés de Lui par le mal que nous avons fait, nous allions vers la mort, nous étions tous des morts en sursis, sans autre perspective de vie que la mort. Quelle absurdité de ne vivre que pour mourir ! Alors le Dieu qui nous a créés pour la vie est venu nous donner sa vie sur la Croix pour que nous vivions éternellement. Écoutons-Le qui nous dit : « Celui qui aime sa vie la perdra ». Oui, celui qui s’accroche à la vie de ce monde et à toutes ses vanités mourra, mais celui qui perd sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. Ayons soif de la seule vraie vie, celle qui jaillit de la Croix et de la Résurrection du Christ.
Mourir au monde
Saint Paul, dans l’épître aux Galates qui précède la fête de l’élévation de la sainte Croix, nous dit : « En ce qui me concerne, loin de moi la pensée de me glorifier d’autre chose que de la Croix de notre Seigneur Jésus Christ, par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le monde. »[5] Vénérer la Croix, c’est être crucifié au monde, c’est-à-dire que le monde, les désirs de ce monde, les vanités, les cupidités, les ambitions de ce monde doivent être mortes pour nous et ne plus compter. « Le monde est crucifié pour moi. » Les passions de ce monde ne m’intéressent plus car moi aussi je dois être mort pour le monde. Si je considère le monde mort pour moi, le monde aussi doit me considérer mort pour lui. Le monde ne peut plus compter sur moi pour être complice de ses passions et de ses actions. Oui, mes amis, séparons-nous du désir et des cupidités de ce monde. À quoi bon porter des croix autour de notre cou si nous ne mourons pas aux hommes ? Est-ce un bijou, la croix, ce signe de torture qui manifeste l’amour de Dieu torturé pour que nous ayons la vie ? Être séparé de Dieu source de vie, c’est la mort, être uni au Christ crucifié et ressuscité, c’est la vie !
Le Seigneur meurt sur la Croix, ensevelissant le vieil homme, mourant avec la vie du péché et voilà que va jaillir du tombeau du Christ une vie nouvelle, une nouvelle Création. À quel monde allons-nous appartenir, au monde de la mort ou de la nouvelle création qui jaillit de la tombe ? En contemplant la Croix du Christ, unissons-nous à cette nouvelle création, passons, nous aussi, de la mort à la vie, d’un monde de mort, d’un monde d’orgueil, de cupidité, d’un monde de jungle et de guerre à un monde d’amour, de paix et de vie éternelle. Renonçons au vieux monde qui pourrit et entrons dans le monde nouveau du Christ ressuscité pour vivre éternellement avec le Christ crucifié et ressuscité !
La veille de la fête de la célébration, nous lisons le livre de l’Exode (Ex 22, 22-27). Le peuple de Dieu arrive devant une eau amère, un lieu appelé amertume, Mara en hébreu. Cette amertume symbolise le monde du péché, de l’angoisse, de la peur, le monde du remord, de la méchanceté. Le peuple a soif et ne peut boire car l’eau est amère. Moïse crie alors vers le Seigneur qui lui montre un morceau de bois - le bois de la Croix. Moïse ayant jeté ce bois dans l’eau, elle s’adoucit. La Croix du Christ transforme l’amertume de la vie en douceur, l’angoisse en paix.
Constatant l’amertume de la vie du péché, de la vie de mort, invoquons le Christ en Croix : unissons-nous au Crucifié Ressuscité pour qu’Il change l’amertume de la vie de péché en douceur et paix de la vie en Christ. Unissons-nous à la vraie vie. Contemplons avec amour le Christ en Croix, afin qu’Il transforme nos angoisses, nos peurs, nos amertumes en une eau douce, en paix, en joie de la présence du Ressuscité. Oui, Seigneur, nous vénérons ta Croix et nous nous prosternons devant ta sainte Résurrection : sauve-nous, Seigneur crucifié sur la Croix et ressuscité des morts, donne-nous ta vie, la vie éternelle, que Tu nous as offerte par ton amour, sur ta Croix !