Transfiguration - Théophane le Grec

Lecture de la seconde épître de Pierre

2P I,10-19

Frères, appliquez-vous à affermir votre vocation et votre élection ; car, en faisant cela, vous ne tomberez jamais. C’est ainsi, en effet, que l’entrée dans le royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ vous sera pleinement accordée. Voilà pourquoi je prendrai soin de vous rappeler ces choses, bien que vous les sachiez et que vous soyez affermis dans la vérité présente. Et je regarde comme un devoir, aussi longtemps que je suis dans l’enveloppe de ce corps, de vous tenir en éveil par des avertissements, car je sais que je la quitterai subitement, ainsi que notre Seigneur Jésus Christ me l’a fait connaître. Mais j’aurai soin qu’après mon départ vous puissiez toujours vous souvenir de ces choses. Ce n’est pas, en effet, en suivant des fables habilement conçues, que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus Christ, mais c’est comme ayant vu sa majesté de nos propres yeux. Car il a reçu de Dieu le Père honneur et gloire, quand la gloire magnifique lui fit entendre une voix qui disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » Et nous avons entendu cette voix venant du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne. Et nous tenons pour d’autant plus certaine la parole prophétique, à laquelle vous faites bien de prêter attention, comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour vienne à paraître et que l’étoile du matin se lève dans vos cours.

Lecture de l’Évangile selon Saint Matthieu

Mt XVII,1-9

Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques, et Jean, son frère, et il les conduisit à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici, Moïse et Élie leur apparurent, s’entretenant avec lui. Pierre, prenant la parole, dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Comme il parlait encore, une nuée lumineuse les couvrit. Et voici, une voix fit entendre de la nuée ces paroles : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection : écoutez-le ! » Lorsqu’ils entendirent cette voix, les disciples tombèrent la face contre terre, saisis d’une grande frayeur. Mais Jésus, s’approchant, les toucha, et dit : « Levez-vous, n’ayez pas peur ! » Ils levèrent les yeux, et ne virent que Jésus seul. Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez à personne de cette vision, jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts. »

La Transfiguration et L’Exaltation de la Croix

Par le père Cyrille Argenti

Cet événement est sans doute l’un des plus marquants de tout le Nouveau Testament. Il ne semble pas cependant que ce soit un événement pour Jésus. Au contraire, ce qu’Il est, Il le montre, Il le fait voir pendant quelques instants à ses apôtres, dans la mesure où ils peuvent le supporter. Il n’avait pas besoin d’être transfiguré pour être Celui qu’Il est. C’est la Personne du Fils qui manifeste sa nature.

Une double manifestation

Lors de la Transfiguration, nous assistons à une double manifestation. D’une part on voit qui est Jésus. Il manifeste alors qu’Il est la Personne même du Fils de Dieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. » C’est donc la lumière de Dieu qui éclate à travers la chair de l’homme et qui rend son visage plus lumineux que le soleil, ses vêtements plus blancs que la neige. Il manifeste qui Il est.

D’autre part – et cela me paraît capital pour nous – Il manifeste la destinée finale de tout homme, car s’Il manifeste Dieu en Lui, c’est pour que, nous qui sommes hommes, nous puissions être transfigurés en nous unissant à Lui par cette même lumière. Sa Transfiguration indique le destin profond de la nature humaine, appelée à être transfigurée par cette lumière qui est celle du Saint Esprit. On entend d’ailleurs la voix du Père, on voit la Personne du Fils et la lumière de l’Esprit. C’est finalement là l’essentiel de la révélation de l’Évangile qui apparaît, comme lors du Baptême de Jésus.

La présence d’Élie et de Moïse souligne bien que les prophètes, comme aussi les martyrs et tous ceux qui sont morts en Christ ensuite, sont bel et bien des vivants. Moïse et Élie sont bel et bien vivants et présents. Il s’agit des deux grands témoins de l’Ancienne Alliance. Moïse est celui qui avait vu cette même lumière dans le Buisson ardent. Il semble dire : « Voici cette même lumière incréée de Dieu, manifestée dans le Buisson ardent, qui se montre maintenant. » Et Élie, qui avait entendu Dieu passer dans un murmure, est là aussi, comme témoin, pour affirmer : « Voici bien Celui qui était passé dans un murmure. » Tous deux sont là pour authentifier l’accomplissement de ce qu’ils avaient vu, montrer la permanence.

La lumière incréée

Quelle est cette lumière qui émane de Jésus ? Au XIVe siècle, les moines de l’Athos disaient voir cette lumière du Thabor. Les scholastiques leur ont reproché de vivre dans l’illusion, citant la phrase de saint Jean : « Nul n’a jamais vu Dieu. »[1] Ils ne pouvaient donc pas voir la lumière de Dieu, car alors, ils n’auraient pas été vivants. Saint Grégoire Palamas leur répondit : « Il faut distinguer entre l’Être de Dieu qui est totalement inaccessible et le rayonnement de sa grâce, par lequel Il nous fait participer à la nature divine [selon la phrase de saint Pierre[2]]. » La lumière, ici, n’est pas une lumière créée, comme le soleil, mais incréée. C’est le rayonnement même de Dieu qui fait participer Pierre, Jacques et Jean à la nature de Dieu, ils sont en quelque sorte enveloppés par cette lumière qui vient de Dieu. C’est cette même lumière incréée que Moïse avait vue dans le Buisson ardent, que les moines de l’Athos ont vue et que, paraît-il, ils continuent à voir de nos jours. C’est le fait que la grâce n’est pas un effet créé dans l’homme, comme le disaient les scholastiques, mais le rayonnement même de la divinité, qui permet aux hommes, dès ce monde, de participer à la nature de Dieu. Le destin de l’homme est de participer à ce rayonnement divin, d’être à son tour transfiguré comme l’a été le Christ.

Aux environs de l’an mil, saint Syméon le Nouveau Théologien a vu cette même lumière et, au XIXe siècle, Séraphim de Sarov, en pleine neige, l’a vue également et l’a montrée à son disciple, Motovilov.

L’union du divin et de l’humain

La question qui se pose à présent est la suivante : quelle est pour nous la raison d’être de la Transfiguration du Christ ? Pourquoi nous montre-t-Il la lumière de sa divinité, à nous qui sommes hommes comme Lui ? Qu’attend-Il de nous ? Dans quelle mesure cet événement peut-il nous aider à découvrir le destin de l’homme et le but de la vie humaine ?

En Jésus Christ, toute l’humanité, qu’Il a assumée dans sa totalité, est éclairée, transformée, transfigurée par cette lumière de Dieu en Lui. Cela fait penser aux lampions du 14 juillet : il y a de jolis dessins sur le papier, qui n’apparaissent dans toute leur beauté que si la lumière intérieure, la bougie, est allumée. Cette bougie allumée, cette présence de la Personne divine qui a pris sur elle la totalité de notre nature humaine, nous transforme complètement, nous éclaire, nous rend notre beauté originelle, pour que chacun d’entre nous puisse être transformé de la même façon.

Je cite la fameuse phrase de saint Athanase : « Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devienne Dieu. » La Transfiguration du Christ manifeste l’union intime de l’humanité avec la divinité, du fait que Dieu a assumé cette humanité. Il l’a assumée pour que nous, unis à Lui, puissions à notre tour participer à cette divinité. Donc cette Transfiguration est pour nous ! Cette contemplation va éclairer et nourrir notre lutte quotidienne.

Lorsque, le dimanche matin, nous recevons la Parole de Dieu et ce que nous appelons le « charbon ardent » de la communion eucharistique (par allusion au charbon ardent que l’ange dépose sur les lèvres du prophète Isaïe), nous sommes embrasés par notre union avec le Christ qui est parole et pain. Il faut alors que cette lumière perdure et rayonne pendant la semaine, dans toute notre conduite. La difficulté est là, de chérir la Présence reçue ! Il y a, dans la vie de tant de chrétiens, une coupure entre la vie de la semaine et la liturgie du dimanche. Au lieu que la communion devienne le foyer qui rayonne sur la semaine, ce n’est qu’un moment de recueillement, de « vie spirituelle », au lieu d’être le moment où l’on reçoit ce que l’on va porter au monde !

La nuit de Pâques, lorsque l’église est dans l’obscurité totale, à minuit, le cierge pascal est tendu par le célébrant qui chante : « Recevez la lumière. » Alors, tous les fidèles allument leurs bougies à cette lumière de la Résurrection, puis ils tentent, quand ils quittent l’église, de ramener leur bougie allumée chez eux pour que cette lumière de la Résurrection, cette lumière du Saint Esprit, ils l’amènent ensuite dans leur foyer et dans leur vie. …

Notes

[1] Jn 1, 18

[2] 2 P 1, 4