Archimandrite Joachim ParrD’après la conférence donnée par l’archimandrite Joachim Parr à Saint-Pétersbourg en Russie (27.06.2011).

Partie 1

Depuis que je suis arrivé en Russie, j’ai été questionné à plusieurs reprises de manière incrédule : « Comment peut-il y avoir un monastère Orthodoxe en plein New-York ? Comment une communauté de moines peut-elle survivre à New-York ? » Et je me rappelle la réponse que mon père spirituel faisait dans ce genre de situation. Il disait que cette question était du même ordre qu’une autre plus ancienne : « que peut-il venir de bon de Nazareth ? »

Serge qui nous a invités ici, m’a demandé de partager avec vous un peu de mon expérience dans le domaine du travail avec les gens qui s’interrogent sur ce qu’est la foi. Nous qui sommes baptisés, indépendamment du fait que nous soyons missionnaires ou non, nous devons comprendre que l’Évangile ne nous appartient pas. Chacun d’entre nous aura à rendre des comptes, le jour du jugement dernier, si d’une manière ou d’une autre nous avons connu le Seigneur et s’Il nous a montré Sa face, ou bien si nous l’avons renié. J’ai demandé à Serge s’il voulait que j’aborde un thème particulier. Comme vous le savez, un effort missionnaire gigantesque a été fait pour apporter l’Orthodoxie aux Américains. Peut-être que certains d’entre vous ont entendu parler du père Séraphim Rose ? Il était protestant et habitait les États-Unis. Il a étudié dans plusieurs universités et a fini par rencontrer l’Orthodoxie, ou plus exactement l’Orthodoxie a fini par le trouver. Et il eut alors le désir fervent de partager la perle de grand prix avec tous ceux qui viendraient vers lui. Devenu prêtre et moine, il décida avec le père Germain de porter l’Orthodoxie au cœur même du libéralisme. Ils se rendirent à Berkeley, qui est l’université la plus prestigieuse de Californie. C’était un endroit extrêmement sécularisé et libéral. Ils s’installèrent près de l’entrée principale de l’université, sur un grand campus où passaient environ soixante mille étudiants par jour. Père Séraphim et père Germain prirent deux chaises, une table et une icône de Jésus-Christ et s’installèrent au milieu du campus sans rien dire à personne. Ils ne parlaient qu’à ceux qui leur adressaient la parole les premiers. Ils firent cela chaque jour pendant cinq années scolaires. D’après ce qu’ils m’ont dit, plus de neuf mille personnes demandèrent le baptême Orthodoxe durant ces cinq ans. Rien qu’en voyant la face du Christ dans ces deux personnes. Voilà qui doit nous interroger !

Sur le campus de cette université très libérale, on pouvait trouver toutes sortes de religions : Hare Krishna, Bouddhistes, Mormons, athées et bien sûr des Protestants et toutes sortes d’évangélistes qui disaient à tous : « Jésus t’aime ». Ce n’est pas du tout ce que père Séraphim et père Germain faisaient, puisqu’ils se taisaient ; mais ce qui agissait c’était ce que le Christ, Lui-même, disait à travers son icône. Il y a beaucoup à apprendre de cela. Nous devons comprendre que Seul le Seigneur appelle les gens à Lui, et tout ce que nous pouvons faire c’est faciliter le processus. Nous pouvons être les mains du Christ. Nous pouvons devenir son visage. Nous devons devenir son Esprit. Nous pouvons, soit détourner les gens du Christ, soit les amener à la Liberté. Dans les deux cas, l’appel vient du Christ. Mais nous ne pouvons donner ce que nous n’avons pas. J’ai demandé au père Séraphim quelle était la question la plus surprenante à laquelle il eut à répondre quand il était sur ce campus. Il m’a répondu : « Un jour, une femme m’a demandé à quoi tout cela rimait. Qu’est-ce que cela voulait “dire être chrétien orthodoxe”. Dites-moi d’abord pourquoi vous avez cette apparence ? Je lui répondis que nous, en tant que prêtres et moines chrétiens, essayions de ressembler le plus possible à l’homme tel que de Dieu l’avait créé. Nous laissons pousser notre barbe et nos cheveux naturellement sans les couper et nous essayons d’avoir une apparence simple. Ce jour-là nous avions l’icône de la Sainte Trinité de Roublev. La femme regarda attentivement l’icône et nous dit que nous ne Lui ressemblions pas. Alors je lui demandai à quoi nous ressemblions. Elle répondit que nous ressemblions à des croque-morts au visage triste et amer. » Aujourd’hui nous sommes entrés dans la cathédrale de la Laure et les gens que nous avons vus se déplaçaient dans la cathédrale avec des visages qui ne reflétaient absolument pas la joie de notre foi en la résurrection et la vie éternelle. Les visages ressemblaient à ceux de personnes qui attendent un office funéraire et qui plus est, un office funéraire non chrétien. Nous devons nous rappeler que par l’Incarnation, le Christ a pris volontairement forme humaine pour montrer à l’homme comment il devait vivre. Interrogeons-nous alors sur ce que nous montrons aux autres par la façon dont nous vivons et sur ce que nous montrons aux autres. Sur la grande difficulté que nous avons dans cette chose élémentaire qui est de parler avec quelqu’un d’autre. Nous devons réfléchir à cela. Vous avez certainement entendu parler de ce professeur à de l’académie de saint Valdimir, à la fois russe, français et américain : Alexandre Schmemann. Père Alexandre disait à ses étudiants : « Nous sommes dépositaires de la vraie foi, mais elle est malheureusement entre de mauvaises mains. » Que se passe-t-il en Russie aujourd’hui, mes chers amis ? Vous avez la liberté, mais où est l’Église ? J’ai rencontré des jeunes à Moscou qui m’ont dit : « Nous voulons devenir évangélisateurs, nous voulons devenir missionnaires. » Qu’est-ce que cela signifie ? Nous devons d’abord vivre l’Église avant de pouvoir la donner à quelqu’un d’autre. Comment peut-on donner une pierre à son enfant quand il demande du pain ? Ne leur donnez pas une religion alors qu’ils cherchent la foi. Le Seigneur ne peut être vu qu’à travers nous. Et nous, nous ne pourrons montrer le Christ que si nous avons appris à aimer.

C’est une expérience extraordinaire de pouvoir voyager dans le monde entier et de pouvoir partager une expérience vivante de la foi en Christ. Dimanche dernier nous avons célébré la fête de tous les Saints qui ont illuminé la terre de Russie et à cette occasion j’ai eu la bénédiction de pouvoir prêcher ici Saint-Pétersbourg dans une église. Vous savez tous qu’il y a beaucoup de Saints qui ont illuminé la terre de Russie et vous avez les vôtres ici à Saint-Pétersbourg qui ont été canonisés. Mais croyez-moi, frères et sœurs, il y a aujourd’hui de nombreux Saints qui vivent ici parmi vous. Comment peut-on transposer la sainteté dans notre vie ? La plupart des gens sont troublés quand on leur apprend que le but de la vie en Christ n’est pas juste d’être sauvés, mais de devenir Saints comme notre Père est Saint. Si le but de la vie humaine est d’être unis à Dieu, et nous devenons unis au Père par le Christ, alors nous devenons Saints. Disons-nous cela aux gens, à nos enfants et en premier lieu à nous-mêmes ? Plus précisément : que la seule fonction de l’Église est de nous permettre de devenir Saints ? Je ne le crois pas. Alors dans quel but essayons-nous de porter la Parole ? Voulons-nous qu’ils deviennent conservateurs ou gardiens de musée, allant à des offices qu’ils ne comprennent pas, jeûnant à contrecœur, se croyant meilleurs parce qu’ils en savent plus que les protestants ? Que faisons-nous ? La semaine dernière à Moscou nous avons eu la bénédiction de voir les reliques de sainte Matrone. Une femme qui était aveugle, qui n’était pas “belle” physiquement, mais qui vivait dans la sainteté. Et les gens font la queue jour et nuit, et même sous la pluie, durant près de quatre heures pour pouvoir vénérer ses reliques durant quelques secondes. Voilà une évangélisatrice !

J’ai tant d’anecdotes et d’histoires. Si vous êtes allés aux États-Unis, vous aurez remarqué que les Américains se comportent comme dans “Jerry Maguire”, ce film populaire que j’aime bien : « Show me the money ! ». Les Américains sont pragmatiques. Ils ne s’intéressent pas vraiment à ce que vous dites, sauf si vous mettez votre argent dans ce à quoi vous croyez. Et ils disent : « Si tu es l’Église, montre-le-moi ! »

Dans notre monastère, nous avons eu la grande grâce d’avoir beaucoup de baptêmes et de conversions de personnes venant de toutes sortes de religions, d’athées et d’antireligieux et même un nombre important d’Orthodoxes qui, pour diverses raisons, avaient quitté l’Église. Et tous ces gens voulaient la même chose : voir Dieu. Puisque le Christ nous a dit : « Celui qui me voit, voit le Père. Celui qui Me fait quelque chose, le fait au Père. Gardez mes commandements. Ce que vous faites au plus petit d’entre-vous, c’est à Moi que vous le faites. » Si nous ne vivons pas notre vie en voyant le Christ et en vivant pour Lui, nous ne pourrons enseigner personne d’autre. La plupart de ces nouveaux convertis m’ont dit que la raison pour laquelle ils étaient devenus Orthodoxes, c’est notre communauté. Une communauté qui était différente des autres. Une communauté qui priait ensemble, une communauté qui prenait soin des autres. Nous commencions par aider les sans-logis, nous avions, lors de la construction du monastère, prévu un endroit pour que les gens sans logis puissent passer la nuit. Nous avions un stock de vêtements pour qu’ils puissent se changer. Nous leur donnions à manger et tout ce dont ils pouvaient avoir besoin, sauf de l’argent et de la drogue.

Les gens, et même les prêtres, que je rencontrais me demandais : « Que leur dis-tu pour qu’ils deviennent Orthodoxes ? » Je voudrais vous dire que je n’ai jamais rien fait pour que quelqu’un “devienne” Orthodoxe. Ils me demandaient si je leur parlais de Jésus-Christ et je répondais que oui. Et ils me pressaient : « Mais que leur disais-tu ? » Je leur disais qu’ils étaient les bienvenus. Je leur proposais de manger, de dormir ; je leur demandais s’ils avaient besoin de quelque chose. Et je leur disais qu’ils étaient des invités attendus. Et les gens continuaient de m’interroger : « Mais que leur dis-tu concrètement sur le Christ ? » Toute la question est là ! Interrogeons-nous sur ce que nous disons aux gens à propos du Christ ? Est-ce que le Christ est une conférence ? Est-ce que le Christ est un autre « ‑isme », une doctrine qu’il leur faut apprendre ? Je ne veux critiquer personne, je ne suis pas un critique. Mais je voudrais que vous compreniez, et c’est peut-être déjà le cas, que nous ne pouvons rien dire de nouveau à la plupart des gens, qu’ils n’aient déjà entendu. Et la raison pour laquelle ce que nous leur disons est redondant et incompréhensible est que nous ne vivons pas comme le Christ. Si le Christ apparaissait dans cette pièce, aujourd’hui, parmi nous, sous Sa forme humaine, voudriez-vous qu’Il vous parle de la procession de l’Esprit ? voudriez-vous qu’Il vous parle du mystère de l’Eucharistie ? Voudriez-vous qu’Il vous parle des différences entre l’Orthodoxie, le catholicisme-romain et le protestantisme ? Ou voudriez-vous qu’Il vous vous regarde, pose Sa main sur vous et vous dise : « Je t’aime ». Voilà par où commence la foi, pas par l’apologétique, elle commence par l’amour. Nous ne mettons pas suffisamment cela en pratique, pas un de nous.

[à suivre …]