S’ouvrir à l’œuvre de l’Esprit

Le Saint Esprit se présente, le jour de la Pentecôte, comme un coup de vent. Pourquoi ? Il faut nous rappeler que Jésus Lui-même disait à Nicodème que l’Esprit est comme le vent : « Le vent souffle où il veut et on entend sa voix, mais on ne sait ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. »[1] Effectivement, le mot « esprit » signifie étymologiquement « souffle ». Jésus Lui-même a comparé l’Esprit à un souffle qui nous inspire, qui nous conduit sans que nous sachions où. Il Le compare aussi au feu. Il est un peu comme le souffle qui gonfle la voile et pousse le bateau en avant sans que l’on sache où il va. Celui qui ouvre les voiles de son cœur au souffle de l’Esprit sait qu’il va là où Dieu veut qu’il aille mais sans savoir où, un peu comme Abraham lorsqu’il quitte son pays et sa patrie sans savoir où Dieu va le mener. Dans un acte de confiance totale, il sait que l’Esprit le conduit là où il faut. Nous aussi, donc, quand nous nous ouvrons aux sollicitations de l’Esprit, nous savons qu’Il nous conduira là où Dieu veut que nous allions.

Jésus invite Nicodème à renaître, à naître d’une nouvelle naissance. Nous vivons la vie que nous avons reçue de nos parents et il nous reste à découvrir la vie dont vit Dieu. Cette vie-là, nous y naissons par la foi et le baptême. C’est vraiment une autre vie qui commence. Cette vie éternelle, cette vie trinitaire, c’est le Saint Esprit qui nous y fait participer. Tout le but de la vie chrétienne est justement cette attente, ce désir, cette demande ardente de recevoir le Saint Esprit. Alors, on a tout.

Saint Paul nous dit : « Vous êtes des collaborateurs de Dieu »[2] et l’on peut illustrer cela par une image : si vous êtes un navigateur solitaire en train de traverser l’Atlantique dans un bateau à voile, c’est le vent qui va pousser le navire. Cela ne veut pas dire, cependant, que le navigateur va rester là les bras croisés. Non, il va tenir la barre, déplacer la voile pour qu’elle prenne le vent. Le rôle du navigateur sera souvent très fatigant, il va se donner en entier. La force qui pousse le navire n’est pourtant pas celle de ses muscles, mais celle du vent. Ce qui anime la vie du chrétien, la source de force, c’est le Saint Esprit. Toute la vie du chrétien, et celle de l’Église, est une invocation permanente au Saint Esprit. D’ailleurs, c’est le Seigneur Jésus Lui-même qui nous le dit : « Si vous qui êtes méchants, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-Il l’Esprit Saint à ceux qui L’en prient ! »[3] Nous sommes comme les voiles d’un bateau, auquel le vent n’appartient pas. Le Saint Esprit gonfle les voiles et pousse le bateau. Le Saint Esprit n’appartient pas à l’Église mais l’anime.

L’Esprit, principe de liberté

Le Saint Esprit est celui qui nous libère de la servitude de la Loi, comme disent l’épître aux Galates et l’épître aux Romains[4]. Il est le principe de la liberté. Il se cache à la racine même de notre volonté, en sorte que, lorsque nous agissons sous l’impulsion du Saint Esprit, nous sommes vraiment libres. Lorsque nous faisons quelque chose par amour, nous ne sentons nullement que nous sommes obligés de le faire, nous le faisons de nous-mêmes. Il se cache à la racine même de notre être. Si le Fils s’est caché dans ce petit paquet de chair qu’était le bébé de la crèche de Bethléem, le Saint Esprit se cache à la racine de notre volonté et de notre liberté, car nous ne sommes jamais si libres, nous ne sommes jamais tellement nous-mêmes, que lorsque nous agissons sous l’impulsion du Saint Esprit. Il ne nous force pas de l’extérieur, car « L’Esprit qui demeure en nous »[5], c’est vraiment nous.

N’oublions pas qu’à l’origine de la création, nous avons été faits à l’image et à la ressemblance de Dieu par le Souffle de Dieu. C’est l’Esprit Saint qui fait partie de notre personne. Il y a Dieu en nous. Nous sommes les « temples du Saint Esprit » et par le baptême cet Esprit de Dieu est renouvelé. Souvenons-nous que lorsque le Christ rend l’âme, le texte de saint Jean nous dit qu’« Il rendit l’esprit »[6], l’Esprit Saint qui repose sur Lui. L’Esprit Saint et notre esprit sont donc en communion et lorsque l’Esprit Saint vient se cacher dans l’esprit de l’homme, celui-ci est vraiment libre.

L’Esprit Saint est « principe de liberté », le Christ est « principe de vérité » et si l’on rompt cet équilibre entre le Fils et l’Esprit, on rompt la vie de l’Église, l’équilibre entre la vérité et la liberté. Si l’on sacrifie l’Esprit, on sacrifie la liberté et l’Église devient autoritaire. Si l’on sacrifie la place du Fils, on tombe dans un illuminisme individuel et l’on sacrifie la Vérité. Il faut toujours maintenir la réciprocité de la place du Fils et de l’Esprit dans l’Église, de même qu’il faut maintenir l’équilibre entre l’aspect personnel et l’aspect ecclésial du Christ dans l’Église et du don de l’Esprit dans l’Église.

Oui, désormais c’est le Saint Esprit qui dirige l’Église en lui transmettant la Parole du Christ. Certes, la Parole transcrite par écrit dans le Nouveau Testament sera le critère objectif qui permettra à l’Église de ne pas se laisser égarer par un faux illuminisme. Il faudra toujours que « ce que l’Esprit dit aux Églises » soit conforme à la Parole qui avait été prononcée par le Christ, car l’Esprit ne peut rien dire d’autre que ce que le Fils Lui communique et que le Fils reçoit du Père. Il ne peut jamais y avoir de contradiction entre la voix du Fils et la voix de l’Esprit car il n’y a qu’un Dieu, qu’une Pensée divine et qu’une volonté divine. Par conséquent le Fils et le Saint Esprit agiront toujours de concert. Mais l’Église apostolique n’est pas une institution avec une organisation en quelque sorte gouvernementale, ce qui d’ailleurs aurait été tout-à-fait impossible dans les conditions de dispersion et de persécution de l’époque. Il n’y a pas d’administrateur d’Église au sens moderne du terme. C’est le Saint Esprit qui fait la liaison entre les Églises locales, qui suggère aux apôtres et aux Églises locales d’agir d’une façon coordonnée, conformément à la même Parole. Le Christ lui-même nous dit : « Le Saint Esprit vous rappellera tout ce que Je vous ai enseigné. »[7] L’Esprit rend l’enseignement du Christ présent à notre cœur et à notre vie. C’est par Lui, par la présence de l’Esprit, que toute l’action du Christ nous atteint.

Présence du Saint Esprit dans les sacrements

Cela nous fait déboucher sur le mystère liturgique, car toute liturgie évoque l’action du Fils. Mais commémorer la mort et la Résurrection du Christ ne serait qu’une cérémonie d’anciens combattants, ne serait que du théâtre si le Christ n’était pas réellement présent actuellement. C’est le Saint Esprit qui le rend actuel. Non seulement, Il rend présent à notre mémoire tout l’enseignement du Christ, mais Il rend le Christ présent. Tout ce que le Christ nous a offert sur la Croix et en ressuscitant, nous le recevons par l’action du Saint Esprit aujourd’hui.

Lors de la liturgie eucharistique, quand le président de l’assemblée, au nom de tout le peuple, supplie Dieu le Père d’envoyer son Saint Esprit, c’est le renouvellement de la Pentecôte. Le Christ fait don de son Esprit en permanence : chaque dimanche les disciples du Seigneur Jésus se rassemblent au nom du Christ, si possible d’un seul cœur, pour inviter le Saint Esprit à descendre sur toute l’Église et sur chacun de ses membres. L’Église continue ainsi à être le lieu de la présence de la Parole de Dieu et, en se séparant à la fin de l’office, en allant en paix, les fidèles annoncent par leur vie et leur témoignage, par leurs mots, la Résurrection du Christ. C’est cela, l’Église : le Saint Esprit rendant l’action et la présence du Christ actuelles aujourd’hui.

Le Saint Esprit conduit jusqu’à nous ce que le Christ a fait une fois pour toutes. Le Saint Esprit transcende le temps. Ainsi, dans le sacrement de réconciliation, la main guérissante et pardonnante du Christ, par l’action du Saint Esprit, vient jusqu’aux fidèles. Après avoir prié pour le pardon de la personne qui reçoit le sacrement, le prêtre dit : « Que la grâce du Saint Esprit, par mon indignité, te délie et te pardonne. »

Ainsi, dans le mystère de l’eucharistie, c’est le Saint Esprit qui confirme et actualise pour nous, aujourd’hui, l’unique sacrifice du Christ et, par conséquent, nous donne, à nous aujourd’hui, tous les bénéfices du sacrifice rédempteur et de la Résurrection du Christ. De même, dans le sacrement des saintes huiles, Il nous transmet la puissance guérissante du Christ. On peut en dire autant de tous les autres sacrements. Le Saint Esprit nous donne tout ce qui est en Dieu.

Le Saint Esprit rend le Christ présent dans les sacrements comme dans l’Écriture sainte. Par Lui, les prophètes entendaient à l’avance parler le Christ, Isaïe entend le Messie lui dire : « L’Esprit du Seigneur est sur Moi, Il M’a oint pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres »[8]. Les prophètes entendent déjà le Christ parler parce que le Saint Esprit est en eux, et nous, deux mille ans après, nous L’entendons parler par le don de l’Esprit. Le Saint Esprit court-circuite donc le temps, Il rend éternellement présent le Fils coéternel du Père coéternel. Par Lui, tout est vivifié.

Dans l’Église, le Saint Esprit rassemble les personnes, non pas dans une simple communication sentimentale, mais autour et dans la vérité du Christ. Ce n’est pas simplement communiquer pour communiquer. Le Saint Esprit nous rassemble autour du centre, autour de la Parole de vérité, Il nous unit au Christ et, ainsi, entre nous : c’est une union dans la Vérité. Dans la liturgie, nous prions pour l’unité de foi et la communion du Saint Esprit. On le ressent essentiellement au moment de la communion, après laquelle nous chantons : « Nous avons vu la vraie lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la vraie foi… » La communion, c’est le Saint Esprit qui nous unit en Christ, pas simplement une unité intellectuelle autour du message du Christ, le Saint Esprit nous greffe au Christ, Il fait vraiment de nous les membres d’un seul corps, le corps dont le Christ est la tête et le sang qui circule dans ce corps est le Saint Esprit. Si les orthodoxes cessent de vivre du Saint Esprit, ils cessent d’être orthodoxes. Il ne faut pas pour autant, cependant, oublier le Fils : c’est dans l’équilibre entre « les deux mains du Père », comme le dit Saint Irénée, que se trouve l’orthodoxie.

L’ordre de la Révélation

Saint Basile, dans son Traité du Saint Esprit, nous rappelle que le parcours du croyant se fait dans l’ordre inverse de la Révélation. Le Père nous envoie le Fils et le Fils nous envoie l’Esprit : c’est l’ordre chronologique de la Révélation, Père, Fils, Saint Esprit. Inversement, c’est lorsque l’Esprit éclaire le cœur et l’esprit du croyant que celui-ci peut contempler le visage du Fils, qui alors fait connaître le Père. Dans la vie du chrétien, tout commence par le don du Saint Esprit qui nous conduit vers la Parole du Fils, qui nous fait connaître le Père.

En recevant le don de l’Esprit, les apôtres annoncent la Parole du Fils. Le Fils leur envoie l’Esprit et l’Esprit rend le Fils présent. Remarquons cette réciprocité de l’action du Fils et de l’Esprit dans l’Église. Cet équilibre entre le Fils et l’Esprit définit étymologiquement l’orthodoxie. Cet équilibre est celui qui maintient dans l’Église l’équilibre entre la vérité et la liberté. Car le Fils est celui qui a dit : « Je suis la Vérité »[9] (pas simplement « je vous apporte la vérité »). Le Logos, le Verbe divin est la Vérité, la Vérité objective. « L’Esprit Saint vous conduira vers la Vérité toute entière »[10] c’est-à-dire vers le Christ tout entier. « Il vous rappellera tout ce que Je vous ai enseigné »[11]. Ainsi, l’action du Saint Esprit est toujours dirigée vers le Fils, vers la Vérité.

Notes

[1] Jn 3,8

[2] Cf. 1 Cor 3, 9

[3] Lc 11, 13

[4] Cf. Ga 4, 4 ; Rom 8, 2

[5] Cf. Rom 8, 9

[6] Jn 19, 30

[7] Jn 14, 26

[8] Lc 4, 18

[9] Jn 14, 6

[10] Jn 16, 13

[11] Jn 14, 26