La proclamation de la Parole

Le Saint Esprit, en descendant sur l’Église rassemblée le jour de la Pentecôte, rend présent la Parole, c’est-à-dire le Fils, dans l’Église. Saint Luc nous dit dans les Actes que l’Esprit Saint descend sous forme de feu[1]. Les apôtres voient un phénomène étrange, qu’ils n’ont jamais vu, et qui ressemble à des langues de feu « sur chacun d’eux ». Pourquoi des langues de feu ? Avec une langue, on parle, avec une langue de feu – saint Paul nous dit de Dieu qu’Il est un feu dévorant[2] – on va parler la Parole de Dieu. Le Saint Esprit qui vient et qui descend fait des disciples des porte-paroles de la Parole de Dieu. L’Esprit, en descendant, rend présent le Fils, la Parole.

Un parallèle s’établit entre la Pentecôte et l’Annonciation : le jour de l’Annonciation, lorsque le Saint Esprit recouvre de son ombre la Vierge Marie, le Verbe de Dieu vient habiter en elle et le jour de la Pentecôte, lorsque ce même Saint Esprit descend sur l’Église rassemblée, la Parole de Dieu, le Verbe, vient habiter en elle. Ce n’est donc pas un hasard si, dans l’iconographie orthodoxe, la Vierge Marie est souvent représentée en Église. La Vierge est le symbole vivant de l’Église car elle porte la Parole en son sein, par l’opération du Saint Esprit. Ainsi, de même que le jour de l’Annonciation, par l’opération du Saint Esprit, la Parole s’est faite chair dans le sein de la Vierge Marie, de même le jour de la Pentecôte, le même Fils va se faire chair dans le sein de l’Église, dans la chair des hommes qui vont désormais proclamer la Parole de Dieu.

Le Saint Esprit ne fait donc pas des disciples des illuminés, poussés par l’Esprit et se disant inspirés. Non, l’Esprit ne les pousse pas n’importe où, mais vers la Parole. Il fait entrer dans leur cœur la Parole même que le Christ a proférée. Jésus n’avait-Il pas dit que l’Esprit nous rappellerait tout ce que Lui-même avait dit ? Il y a donc là un équilibre magnifique entre l’inspiration de notre cœur, inspiration intérieure d’une part, subjective, personnelle, qui jaillit du fond de notre être, et, d’autre part, l’aspect objectif, réel de la Parole de Vérité qu’est le Fils. C’est pourquoi Jésus avait dit : « Il vous conduira vers la Vérité toute entière »[3]. Il ne va pas nous bercer d’illusions, nous inspirer de fantaisies, Il va nous inspirer la Parole même.

Remarquez cette étonnante réciprocité de l’action du Fils et de l’Esprit : le Fils envoie l’Esprit et l’Esprit rend le Fils présent. Le Saint Esprit rend présente la Parole présente dans l’Église et dans nos bouches. Il joue un rôle capital : sans Lui, nous serions des sortes de machines. Vous pouvez prendre une cassette, y enregistrer l’Évangile et faire passer la cassette : elle vous débitera l’Évangile sans rien comprendre à ce qu’elle dit. Nous ne sommes pas des perroquets qui répétons la Parole de Dieu. Cette Parole doit jaillir de notre cœur, vivant en nous, nous faisant vibrer, faisant vraiment partie de notre être. Elle doit être une Parole à laquelle nous croyons, une Parole à laquelle nous adhérons de tout notre esprit et de tout notre cœur.

Prenez l’exemple de la divine liturgie : si le Saint Esprit n’était pas là parmi nous pour rendre présent le Christ et changer nos cœurs, ce serait du théâtre, une représentation de gestes et de paroles du Seigneur. À cause du Saint Esprit, cela est vécu, à cause du Saint Esprit, le Christ ressuscité est vraiment là ! L’Esprit rend le Christ présent, Il enfante - si l’on peut dire - le Christ dans l’Église. La Pentecôte est la Noël de l’Église. À Bethléem, c’était Marie qui enfantait le Christ, à la Pentecôte, c’est l’Église : le Christ ressuscité devient présent en notre sein et au milieu de nous. Cela est merveilleux : le Christ est vivant dans son Église.

L’anti-Babel

« Ils furent emplis d’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. »[4] Dès l’instant où les langues de feu sont descendues sur eux, les apôtres commencent à proclamer la Parole dans une multitude de langues. Ce don des langues représente le contraire de ce qui s’est passé à Babel. C’est ce que nous chantons le dimanche de la Pentecôte. À Babel, le Seigneur avait brouillé les langues, à cause de l’orgueil des hommes qui prétendaient être capables de construire une tour qui monterait jusqu’au Ciel. Ils n’avaient pas besoin de Dieu. Ainsi, les hommes ne communiquent plus entre eux. L’orgueil les divise, ils ne peuvent plus se comprendre, chacun est enfermé dans sa langue, dans sa culture, dans son nationalisme, son chauvinisme, dans son esprit de classe. Les hommes, ne se comprenant plus entre eux, se font la guerre.

Puis, lorsque le Saint Esprit descend, par le don des langues, voilà que de nouveau les hommes communiquent de l’intérieur. Ils sont unis pour annoncer le même message dans une multitude de langues et être ainsi compris de tous. Le Saint Esprit fait communiquer tous et toutes en Christ : en Lui, à travers Lui, en sa vérité, en sa Personne, en sa Parole. Le Saint Esprit unissant chacun au Fils, Lui les unit les uns aux autres. Comme les rayons d’une roue communiquent entre eux par le moyeu, ainsi les hommes communiquent entre eux par le Christ Jésus, le même courant divin les unissant à Lui et, par Lui, entre eux. Le don de la Pentecôte est le don des langues : le Saint Esprit rétablit la communication entre les hommes et entre les peuples.

Voici une anecdote qui est arrivée à l’une de mes paroissiennes, qui avait participé à un voyage en URSS, organisé par son entreprise. C’était encore l’époque brejnévienne où les chrétiens étaient persécutés en Russie. La voici logée dans un hôtel, à Moscou, sans parler le russe. C’était le jour de la Pentecôte. Il y avait là une dame âgée, en charge de l’accueil, qui ne parlait pas français, et cette vieille dame remarqua autour du cou de ma paroissienne une croix. Elle prend la croix de sa main gauche et de sa main droite rassemble ses trois doigts. Ma paroissienne rassemble également ses trois doigts et les deux femmes font ensemble le signe de croix. Aucune d’elles ne savait parler la langue de l’autre et pourtant l’Esprit leur a fait faire le signe de la croix, elles ont découvert ensemble qu’elles étaient toutes les deux chrétiennes orthodoxes. Le Saint Esprit les avait unies au-delà de la différence des langues. Vous voyez combien est précieux ce don du Saint Esprit !

L’Esprit guide l’Église

On pouvait entendre la voix du Christ et ne pas le croire. Mais l’Esprit, Lui, parle directement à l’intimité du cœur. Il communique la Parole du Fils à l’esprit même de l’homme. Il crée avec Dieu un contact cœur-à-cœur. C’est pourquoi non seulement les apôtres ne seront pas orphelins après le départ du Seigneur Jésus, mais ils recevront désormais directement leur directives de l’Esprit Saint. Ce seront évidemment les mêmes directives, puisque l’Esprit leur communique et leur rappelle tout ce que Jésus avait dit. L’Esprit dit au cœur ce que la Parole du Fils disait à l’oreille. Dans tous les moments critiques, le Saint Esprit parle aux apôtres et à l’Église et leur donne son orientation.

C’est Lui qui dit à l’apôtre Pierre, à Joppé, de se rendre à la maison de Corneille, surmontant tous ses préjugés de bon juif de ne jamais rien toucher d’impur. Les prescriptions légales interdisaient en effet à un bon juif d’entrer dans la maison d’un païen. Cela avait été un ordre utile, puisque le peuple juif avait ainsi pu préserver la pureté de sa foi au Dieu unique. Maintenant cependant, Dieu juge le moment venu d’apporter la Bonne Nouvelle au monde païen et il faut que les apôtres aillent vers les païens. Nous nous souvenons que, lorsque Pierre arrive dans la maison de Corneille et qu’il annonce la Bonne Nouvelle de la Résurrection du Crucifié, le Saint Esprit en Personne descend sur Corneille et sur sa famille. Pierre n’hésite pas alors à baptiser celui et ceux que le Saint Esprit Lui-même a visités.

C’est ainsi que l’Évangile est annoncé aux païens, qui ne connaissaient pas la Loi de Moïse, et qu’ils sont baptisés en Asie Mineure, sous l’impulsion de ce même Saint Esprit. Ils sont baptisés sans être soumis aux prescriptions de la Loi, ni à la circoncision. Ce même Saint Esprit confirme cette décision au premier concile, à la première assemblée de l’Église, en 49, lorsque les apôtres se réunissent à Jérusalem et font face à la contestation des chrétiens d’origine juive les plus conservateurs, qui sont scandalisés de voir qu’on a accueilli dans l’Église des non-circoncis, des païens, sans les soumettre au préalable à la Loi de Moïse. Quand la décision est prise, après les interventions respectives de Paul, de Pierre et de Jacques, l’assemblée dit : « Il a paru bon au Saint Esprit et à nous de ne vous imposer d’autres charges… »[5] Le Saint Esprit décide à travers les apôtres et les disciples rassemblés. Il leur révèle la vérité, la vraie pensée du Seigneur Jésus, les décidant à accueillir les païens dans l’Église sans les soumettre à la circoncision et à la Loi de Moïse.

L’Esprit Saint conduit les apôtres : lorsqu’une décision importante est à prendre, par exemple lorsque Paul, au centre de l’Asie Mineure, envisage d’aller vers la côte, c’est le Saint Esprit qui lui dit : « Non, va vers le nord ». Il le conduit alors vers la côte nord de l’Asie Mineure, où Il le fera embarquer, pour que saint Paul mette pied à terre à Philippes, en Europe, en l’an 50. Ce sera le début de l’évangélisation de l’Europe.

C’est donc le Saint Esprit qui dirige l’Église, qui rappelle les paroles du Fils, c’est Lui le chef d’orchestre invisible. Sans Lui, aucune vie chrétienne n’est possible. Celui qui ouvre l’Écriture sainte sans le don du Saint Esprit va la lire soit comme un roman, soit comme un livre de philosophie. Il va l’étudier scientifiquement, la dépecer, l’analyser, ce sera ce que l’on appelle de « l’exégèse scientifique », qui aura ses avantages et son utilité, mais qui demeurera un travail objectif, transformant l’Écriture sainte en objet.

Mais lorsque le Saint Esprit intervient, alors la Parole de Dieu présente dans l’Écriture touche le cœur et change la vie. Quand le Saint Esprit intervient, je lis l’Évangile en entendant le Seigneur qui me parle et me bouleverse, qui me conseille et m’invite au repentir et à une vie nouvelle. Le Saint Esprit court-circuite le temps pour rendre présent et actuel le Fils qui nous parle aujourd’hui par le Saint Esprit. Les paroles que nous lisons dans l’Écriture n’appartiennent pas au passé car, grâce au Saint Esprit, le Christ est là, vivant, en train de nous parler.

Notes

[1] Cf. Ac 2, 3

[2] Hb 12, 29

[3] Jn 16, 13

[4] Ac 15, 28

[5] Cf. Jn 3, 8