Gabriel_Henry.jpegExtrait du livre : Père Gabriel[1], Foi de Prêtre — Éditions Omorfia.
Le père Gabriel Henry est ici interrogé par le père Stéphane Charalambidis.

p. Gabriel : Si l’on veut comprendre quelque chose du point de vue orthodoxe, du point de vue de l’Église, au sujet du mariage, il faut se pencher sur les textes qui sont ceux de l’office du mariage. L’office du mariage, c’est avant tout une prière, car le mariage est avant tout un sacrement. L’engagement, certainement, l’engagement des époux a une grande valeur ; et s’ils se présentent devant le prêtre on peut supposer qu’ils sont disposés à prendre l’engagement de vivre ensemble et de se conserver fidèles l’un à l’autre. La liturgie d’ailleurs y fait allusion lorsqu’elle dit dans l’office des fiançailles qui précède le mariage : “Affermis, Seigneur, la parole qu’ils se sont donnée.” Et puis vient l’office du mariage proprement dit, qu’on appelle l’office du couronnement. Au cours de cet office, l’Église considère que le mariage est quelque chose de très concret, et que, pour qu’il y ait mariage, et mariage réussi, il faut que cette réussite soit d’abord une réussite humaine bénie par le Seigneur. Bénie par le Seigneur, car, quel que puisse être l’engagement humain, il faut se souvenir du psalmiste qui dit : “Si ce n’est pas le Seigneur qui construit la maison, en vain travaillent ceux qui l’édifient. Si ce n’est pas le Seigneur qui défend la cité, en vain veille la garde à sa porte.”

L’Église, donc, prie pour des choses concrètes : “Donne-leur, Seigneur, l’entente de l’âme et du corps.” Donne-leur tout ce dont ils peuvent avoir besoin pour leur salut et aussi pour leur vie matérielle. “Remplis leur maison de vin, de blé, d’huile et de toutes sortes de biens, afin qu’ayant tout en abondance” – dit l’office – “ils puissent en distribuer à ceux qui sont dans le besoin. Donne-leur une postérité vivace. Donne-leur de voir les fils de leurs fils comme de jeunes plants d’olivier autour de leur table. Donne-leur la paix.”

Et puis l’Église prie aussi pour que ce couple soit défendu par la grâce du Seigneur : “Conserve-les, Seigneur, comme tu as conservé les Saints Enfants de Babylone dans la fournaise. Conserve-les, Seigneur, comme tu as conservé Jonas dans le ventre du monstre, dans le ventre de la baleine.” Et l’Église sait aussi que la croix peut venir : “Souviens-toi d’eux Seigneur, et donne- leur cette joie qui fut celle de Sainte Hélène lorsqu’elle découvrit la vraie Croix.” On sait que les épreuves peuvent venir. On sait que le sacrifice sera peut-être nécessaire. On sait aussi que l’Église dit, que le Seigneur dit : “Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir.” Et c’est pour cela qu’au cours de l’office les époux vont danser ce qu’on appelle la danse d’Isaïe, qui est cette espèce de ronde qui rappelle la ronde que l’on faisait faire aux victimes du sacrifice avant qu’elles ne soient immolées au Temple de Jérusalem. Et dans cette danse d’Isaïe ,on fait allusion aux Saints Martyrs qui ont combattu vaillamment, parce que peut-être que pour défendre le mariage, pour défendre le couple, et pour se défendre, il faudra combattre vaillamment sous le regard du Christ et avec la grâce de l’Esprit.

Et l’office se conclut par la lecture de l’Évangile de Cana en Galilée. C’est un Évangile extrêmement significatif en face du mariage. D’abord parce que le Christ était présent à cette fête, et aussi parce qu’il a changé l’eau insipide de tous les jours en vin qui, comme dit le Psaume 103, “réjouit le cœur de l’homme.” Et Dostoïevsky, je crois, lorsqu’il parle du mariage de Cana en Galilée dit : “Le Seigneur qui aime l’homme, aime aussi sa joie.”

Le vin est demeuré à Cana en Galilée le bon vin jusqu’à la fin. Et ceci a une grande signification : tout le monde s’est étonné – relisez le passage de l’Évangile – tout le monde s’est étonné de ce que ce vin soit resté aussi bon et même meilleur à la fin qu’il n’était au commencement. Parce que ce jeune amour d’aujourd’hui, s’il se distille, deviendra fort et doux jusqu’à la fin comme le vin de la tendresse.

p. Stéphane : Comment le couple conçoit-il la réception de ce sacrement ?

p. Gabriel : Voyez-vous, père Stéphane, je pense que la leçon de l’office du mariage, c’est que le mariage est quelque chose de concret et d’incarné. Pour un chrétien, pour un orthodoxe, dont le Dieu est un Dieu incarné, il ne peut pas y avoir de Transfiguration s’il n’y a pas d’abord d’Incarnation. Quand, dans l’office du mariage, on dit, et je viens de le rappeler tout à l’heure : “Donne leur, Seigneur, une bonne entente tant de leurs âmes que de leurs corps”, çà dit bien ce que çà veut dire. Lorsqu’on dit : “Donne-leur de beaux enfants, exalte-les comme les cèdres du Liban”, lorsqu’on dit par exemple : “Remplis leur maison de blé, de vin et de tout autre bien”, çà dit bien que l’Église est consciente de ce qui est nécessaire à un mariage pour qu’il soit une réussite humaine. Et nous sommes là en incarnation, et non pas dans je ne sais quel idéalisme fumeux.

Lorsqu’on parle du vin de la tendresse qui va être conservé jusqu’à la fin, ça me rappelle cette expression de l’Orient grec que vous connaissez certainement, qui souhaite aux époux, lorsque leurs cheveux seront blanchis, de pouvoir vieillir sur le même oreiller. C’est très joli. Et en effet, quand on a 35 ou 40 ans de mariage, qu’on a vécu ensemble, qu’on a lutté ensemble, qu’on s’est disputé quelquefois, ce qui reste, je crois, c’est le vin de la tendresse. Et c’est là le sens du vin du mariage de Cana en Galilée qui reste le bon vin jusqu’à la fin. Donc, si vous voulez, il y a une catéchèse dans l’office du mariage, et une catéchèse concrète, pour la vie.

À suivre …

Note

[1] Je disposais des feuillets dactylographiés de cette émission radiophonique et je voulais depuis un certain temps les publier. Récemment j’ai reçu d’un ami le livre regroupant d’autres interview, homélies et textes du père Gabriel. Je l’ai croisé il a très longtemps et j’étais trop petit pour pouvoir vraiment l’apprécier, mais les adultes qui m’entouraient l’aimaient beaucoup et comme le dit la préface de ce livre : “Il savait détendre une assemblée, amuser ses amis, notamment par les imitations dont il était capable et qui ravissaient son entourage : ceci n’était jamais méchant, mais démontrait combien il ne se prenait pas au sérieux. Il pouvait être le clown de Dieu comme le Bon Samaritain. Dans les deux cas, au travers de son être, Dieu nous donnait du réconfort.”