p. Stéphane : Il y a aussi des cas où on n’aboutit pas au divorce, mais où il y a crise dans le couple.

p. Gabriel : C’est bien de poser cette question. Vous savez, moi, ça fait longtemps que je suis marié, et les gens qui sont mariés depuis longtemps, souvent ont eu des crises, grandes ou petites. Et l’expérience montre que si on domine les crises, on retrouve le vin de la tendresse.

Le père Alexandre Turincev, qui a eu un mariage chrétien extraordinaire (il a maintenant perdu sa femme), en face des conflits du mariage dit avec son accent russe impayable : “C’est toujours les 45 premières années qui sont les plus difficiles !” C’est une boutade, mais c’est vrai. Si on arrive à dominer la crise : regardez ces vieux époux, ces vieux époux qui finissent par se ressembler, qu’est-ce qu’ils ont pu se déchirer quelquefois !

Mais aujourd’hui dès qu’il y a crise, enfin souvent lorsqu’il y a crise, on pense divorce, on pense éclatement tout court : c’est la crise du couple. Et nous le rencontrons toujours en pastorale. Alors là il faut réfléchir au problème. Il y a d’abord un problème d’idéologie dominante : je crois que l’homme d’aujourd’hui, le jeune d’aujourd’hui, on lui a tellement dit – et il fallait le dire – qu’il avait des droits à des tas de choses ! Mais il ne faut pas oublier de dire qu’il a des devoirs, et des devoirs de responsabilité.

On a le droit au plaisir, on a le droit au désir, on a le droit au bonheur. Je ne sais pas si nos grand-parents avaient tellement conscience des droits au plaisir et des droits au désir ; mais ils avaient gagné le droit au véritable amour, il faut bien faire attention !

Et puis les gens sont seuls ; je crois que cette chose-là est très importante. Autrefois, je me souviens, quand on vivait dans les quartiers, on se fréquentait, on se voyait. À l’heure actuelle les gens sont dans des petites boîtes de HLM, ils vivent l’un contre l’autre, l’un avec l’autre, avec chacun ses névroses, chacun ses difficultés de travail, chacun ses fantasmes, chacun ses agressions qu’il reçoit justement sur le plan sexuel et sur le plan affectif ou sur le plan des frustrations, et la société laisse les gens seuls. Je crois que souvent les gens se marient, font des mariages idiots, parce qu’ils sont seuls. On est seul, on s’ennuie chez soi, on n’est pas compris par ses parents, on se marie. Le proverbe grec dit : “quand on se noie on s’accroche même après un serpent”. Et là il y a encore une responsabilité de la société, non pas seulement des médias et de l’idéologie dominante, mais au niveau du soutien de ses frères, de façon à ce qu’ils ne soient pas induits en tentation.

Et puis il y a aussi une pastorale de l’Église qui est la pastorale de l’autre, qui est la pastorale du plan de Dieu, et peut- être que ça peut justement aider à la patience et à gagner le vin de la tendresse.

p. Stéphane : En quelques mots, sur quoi se fonde cette pastorale?

p. Gabriel : Cette pastorale se fonde sur deux choses:

  1. D’abord sur la dignité de fils quoiqu’il arrive, dans n’importe quelle circonstance, quels que puissent être la faiblesse, l’échec ou le péché, personne ne peut être privé de la dignité de fils de Dieu, de la dignité de fils de l’Église.
  2. Et puis il y a un autre principe, c’est qu’aucune personne ne ressemble à aucune autre personne. Je crois que la pratique de l’Église orthodoxe, c’est la pratique de l’écoute par le père spirituel, de la compassion et de la solidarité avec justement les gens qui sont dans le malheur ou dans la difficulté. C’est un peu ce dont nous parlons à propos de la confession : si quelqu’un se noie, je pense qu’il ne faut pas hésiter, si on le peut, à plonger soi-même pour que la personne, selon le plan de Dieu, puisse en sortir, ressusciter de cette petite mort, et à nouveau vivre debout dans la lumière.

Mais encore une fois, s’il y a la pastorale de la guérison, il y a aussi – et avant tout – la pastorale de la prévention. Une pastorale d’éducation au mariage. Et cette pastorale d’éducation au mariage, ce n’est pas autre chose que la pastorale de l’Évangile. Comme dit encore mon bon maître Mgr Antoine – je m’excuse de le citer encore une fois – il dit : “N’oublie pas que ton épouse, c’est aussi ton prochain”. Et quelquefois on a tendance à l’oublier. Vous savez, moi je connais des gens qui sont restés des années et des années auprès de quelqu’un – d’un mari ou d’une femme – et qui ne l’ont pas vraiment regardé. Nous sommes tous un peu pécheurs dans ce sens-là.

“Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, ça veut dire qu’il faut l’aimer non pas comme sa chose, mais comme une personne qui a le droit d’être regardée et qui a le droit d’être aimée. Comment peut-on être charitable, pratiquer l’amour fraternel, l’amour chrétien vis-à-vis des étrangers, et ne pas regarder quelqu’un qui est à côté de soi. Je crois que ça, c’est une chose très importante. Dès avant le mariage, dès avant le mariage, regarder la personne, pour voir si on pourra vraiment vivre avec elle. Et aussi, ce que dit encore Mgr Antoine à propos du mariage : il cite une parole de l’Évangile lorsqu’il dit : “Si tu veux construire une tour, assieds-toi et demande-toi si tu pourras la mener jusqu’au bout”.

Il faut de la tendresse, il faut de la spiritualité, il faut aussi de la lucidité.