Moine orthodoxe portant le grand schèmeL’extrait ci-dessous […] est tiré du livre de Richard Wurmbrand, With God in Solitary Confinement. Wurmbrand, pasteur luthérien qui a été emprisonné sous le régime communiste en Roumanie, a toujours parlé en bien de l’Église orthodoxe qu’il a rencontrée dans ces lieux d’enfermement […][1]

« Un jour, j’ai essayé d’expliquer la “théologie systématique” à un prêtre russe de l’Église clandestine, qui n’avait jamais vu un Nouveau Testament en entier. Systématiquement, j’ai commencé à lui expliquer la doctrine de la Divinité, de Son unité en trois Personnes, la doctrine du péché originel, de la chute, du salut, de l’Église, des sacrements, de la Bible comme révélation infaillible.

« Il a écouté attentivement. Quand j’ai eu fini, il m’a posé une question des plus surprenantes : “Les personnes qui ont pensé ces systèmes théologiques et les ont rédigés dans un tel ordre parfait ont-elles jamais porté une croix ?” Il poursuivit : “Un homme ne pense déjà plus de manière systématiquement, s’il a mal aux dents. Comment le pourrait-il quand il porte une croix ? Mais un chrétien doit être plus que le porteur d’une lourde croix, il partage la crucifixion du Christ. Les douleurs du Christ sont les siennes ainsi que celles de toute la création. Il n’y a pas de douleur, ni de souffrance, dans le monde entier qui ne devraient l’affliger également. Si un homme est crucifié avec le Christ, comment peut-il penser de façon systématique ? Peut-il y avoir ce genre de pensée sur une croix ?

« Jésus Lui-même pensa de façon non systématique sur la croix. Il a commencé par le pardon, il parla d’un paradis où même un voleur avait sa place, puis Il se désespéra de qu’il n’y avait peut-être pas de place au paradis même pour Lui, le Fils de Dieu. Il se sentait abandonné. Sa soif était tellement insupportable qu’Il a demandé de l’eau. Puis Il rendit son âme dans les mains du Père. Mais la sérénité n’a pas suivi, il y eut seulement un grand cri. Merci pour ce que vous avez essayé de m’enseigner. J’ai l’impression que vous ne faisiez que répéter, sans beaucoup de conviction, ce que d’autres vous ont enseigné. »

Cette histoire illustre toute la distance entre la théologie comme construction intellectuelle, voire la prétendue “interprétation rationnelle” de l’Écriture et ce que le staretz Sophrony a appelé un jour la “conscience dogmatique”. Les Pères de l’Église ne nous offrent pas la théologie comme leur “meilleure hypothèse” ou comme le fruit de la raison supérieure. Ce que nous connaissons dans l’Église comme dogme, nous le connaissons parce qu’il est connu véritablement et par l’expérience. Cela est connu comme l’Écriture connaît Dieu et comme l’Église connaît les Écritures.

Notre lutte de Carême est l’union quotidienne du corps et de l’âme dans l’Esprit du Christ. Dans une telle union, et l’ascèse qui lui est naturelle, il devient peu à peu possible de connaître Dieu et les choses qui appartiennent à Dieu. “Prends ta croix”, est le commandement du Christ. Sans cette “prise”, nous ne savons rien.

Note

[1] Version française par Claude Lopez-Ginisty.