Saint Macaire, dans la suite du texte cité plus haut, insiste sur le fait que cet effort doit s’étendre à tous les domaines, et non seulement à la prière, qui ne peut être isolée de l’ensemble de la vie spirituelle :

Si quelqu’un, sans avoir la prière, se fait violence seulement pour prier, pour obtenir la grâce de la prière, mais sans se faire violence pour pratiquer la douceur, l’humilité, la charité et les autres préceptes du Seigneur, sans appliquer son souci, son labeur et ses luttes à acquérir ces vertus, dans toute la mesure où cela dépend de sa volonté et de son libre arbitre, il lui sera parfois accordé partiellement, selon sa demande, une prière inspirée par la grâce, dans le repos et la joie de l’Esprit. Mais, quant à son comportement, il reste ce qu’il était auparavant. Il manque de douceur, puisqu’il n’a fait aucun effort pour en acquérir, ni ne s’est préparé à la recevoir. Il manque d’humilité, puisqu’il ne l’a pas demandée et ne s’est pas fait violence pour l’obtenir. Il n’a pas une charité s’étendant à tous, puisqu’il ne s’en est pas soucié et n’a pas lutté pour elle dans le prière, ni en cherchant à la pratiquer. Il manque de foi et de confiance en Dieu ; ne se connaissant pas lui-même, il n’est pas convaincu de son indigence, et il ne s’est pas efforcé, dans la tribulation, de demander au Seigneur une foi ferme envers lui et une confiance véritable (§ 4).

L’ensemble de ces efforts constitue ce que les Pères appellent, depuis Evagre le Pontique, la praxis, la phase active de la vie spirituelle. Lorsque l’homme aura été purifié de ses passions et de ses vices et aura atteint la véritable humilité, et quand Dieu le jugera bon, il lui accordera les dons de son Saint-Esprit ; alors commencera la seconde phase de cette vie spirituelle, la théôria ou phase contemplative. L’homme n’aura plus alors à ramer pour faire avancer son embarcation, mais il devra tendre les voiles, selon une expression encore de saint Jean Climaque (op. cit., 26, 5) pour se laisser mener par le souffle du Saint-Esprit, c’est-à-dire par des lumières intérieures et des instincts divins que cet Esprit suscitera dans sa conscience, lui permettant d’agir avec spontanéité, aisance et joie :

Celui qui veut vraiment plaire à Dieu, obtenir de lui la grâce céleste de l’Esprit, grandir et devenir parfait dans l’Esprit-Saint, doit donc se faire violence pour pratiquer tous les commandements de Dieu et y soumettre son cœur qui ne le veut pas […]. Et ainsi, priant et suppliant le Seigneur, il sera entièrement exaucé, recevra la grâce de goûter Dieu et participera au Saint-Esprit, et ainsi, il fera croître et grandir la grâce qui lui a été donnée et qui trouve son lieu de repos dans son humilité, dans sa charité, dans sa douceur. C’est l’Esprit lui-même qui lui accorde tout cela et qui lui enseigne la vraie prière, la vraie charité, la vraie douceur, pour lesquels il s’est fait violence […]. L’Esprit lui-même en effet priera en nous, de telle sorte que c’est lui qui nous enseignera la vraie prière, que nous ne pouvons avoir maintenant, même en nous faisant violence (op. cit., § 7-9).

C’est alors seulement que l’on peut parler de « prière du cœur », de « prière spirituelle » ou d’ « acquisition du Saint-Esprit ». Bien entendu, cette phase de la vie spirituelle comporte des aspects divers, et elle n’exclut pas des moments de délaissement et d’abandon pédagogique de la part du Seigneur. La prière de Jésus y a encore sa place, mais d’autres états de prière peuvent aussi s’y manifester, sous la conduite de l’Esprit. Pour y accéder, il ne peut pas exister de méthode, car tout dépend de la grâce de Dieu, et de l’humilité de l’homme. Néanmoins, on peut dire que la prière de Jésus, pratiquée dans la phase active de la vie spirituelle, peut y préparer l’âme mieux que d’autres formes de prière. En effet, elle conduit à un certain appauvrissement de l’intelligence discursive, elle n’incite pas l’intellect à des réflexions, à des considérations multiples. C’est une simple supplication de l’âme en face du Christ, qui apporte déjà une grande simplification de l’activité mentale, et qui par là même, achemine l’homme vers la découverte de ces instincts profonds inscrits en lui par l’Esprit-Saint, et qui sont l’essence même de la prière.

À suivre …