Conférence donnée le jeudi 6 mars 2008 dans la paroisse Saint Séraphin de Sarov et la protection de la Mère de Dieu à Paris par l’archimandrite Placide (Deseille)

Il arrive fréquemment que l’on emploie les expressions « prière de Jésus » et « prière du cœur » comme si elles étaient équivalentes. Or, si nous donnons à ces expressions leur pleine signification, si nous les entendons dans toute leur force, elles ne sont pas équivalentes. La prière de Jésus peut être, selon notre degré de maturité spirituelle, soit une prière « active », soit une prière du cœur.

Qu’est-ce, d’abord, que la prière de Jésus ? Certains préfèrent parler de « prière à Jésus ». Je pense que c’est là se méprendre sur la raison pour laquelle on parle de « prière de Jésus ». Cette prière n’est pas simplement une prière adressée au Christ. Beaucoup d’autres prières, dans les livres liturgiques ou dans les manuels de prière, sont adressées au Christ. Elles n’en sont pas pour autant la « Prière de Jésus ».

Le propre de la prière de Jésus, c’est d’être principalement composée du nom de Jésus, qui en est comme la substance. C’est précisément pour cela qu’on l’appelle « prière de Jésus ». « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi », disent simplement, inlassablement, les moines grecs de la Sainte Montagne[1].

Le nom de Jésus est comme une « icône verbale ». Dès lors en effet qu’une icône proprement dite représente la personne du Christ, de la Mère de Dieu ou d’un saint, elle devient comme le relais de leur présence de leur rayonnement et de leur intercession en notre faveur. L’icône, assurément, n’est qu’une planche de bois, elle n’a absolument rien de divin en elle-même ; mais du fait qu’elle représente soit le Christ, soit sa Mère toute sainte, soit tel ou tel saint, nous bénéficions par son intermédiaire soit de l’irradiation spirituelle, de l’énergie du Christ ressuscité, soit de la présence miséricordieuse du saint ou de la sainte qui intercède pour nous d’une façon toute particulière quand nous vénérons leur image. De même, quand nous disons le prière de Jésus, le nom de Jésus que nous prononçons est en quelque sorte une icône du Christ, et à travers ce nom divin, bien qu’il ne soit qu’une parole humaine en sa substance, l’énergie déifiante du Christ ressuscité nous atteint. C’est une sorte de sacrement, de réalité sensible toute pénétrée de la présence agissante du Christ. De là vient la force, le pouvoir de l’invocation de ce Nom très doux de Jésus.

Mais quand cette prière peut-elle être qualifiée de « prière du cœur » ? Quelques passages de l a dix-neuvième Homélie spirituelle[2] de saint Macaire d’Égypte nous aidera à le comprendre :

Lorsque quelqu’un s’approche du Seigneur, il faut d’abord qu’il se fasse violence pour accomplir le bien, même si son coeur ne le veut pas, attendant toujours sa miséricorde avec une foi inébranlable. Qu’il se fasse violence pour aimer sans avoir d’amour ; qu’il se fasse violence pour être doux sans avoir de douceur ; qu’il se fasse violence pour être compatissant sans avoir un coeur miséricordieux ; qu’il se fasse violence pour supporter le mépris, pour rester patient quand il est méprisé, pour ne pas s’indigner quand il est tenu pour rien ou déshonoré, selon cette parole : « Ne vous faites pas justice à vous-mêmes, bien aimés »[3]. Qu’il se fasse violence pour prier sans avoir la prière spirituelle. Quand Dieu verra comment il lutte et se fait violence, alors que son cœur ne le veut pas, il lui donnera la vraie prière spirituelle, il lui donnera la vraie charité, la vraie douceur, des entrailles de compassion, la vraie bonté, en un mot il le remplira des dons du Saint-Esprit3).

Tout ceci est très éclairant. Saint Macaire nous enseigne que nous devons d’abord pratiquer les vertus et la prière sans en ressentir aucune envie, courageusement, en nous forçant, seulement parce que la Parole de Dieu nous le demande. Cela ne veut pas dire que la grâce de Dieu est absente ; sans elle, nous ne pourrions rien faire. Mais sa présence ne se fait pas sentir. Nous avons la sensation que tout dépend de notre effort, nous devons ramer pour faire avancer notre barque. Et nous devons reprendre ce labeur, revenir aux mots de notre prière, chaque fois que nous nous apercevons, par un effort d’attention, que notre esprit s’égare dans la distraction.

Telle est la première phase de la prière de Jésus elle-même. On ne peut pas encore parler de « prière du coeur ». Il faut nous forcer à la dire, en « enfermant notre esprit dans les mots », selon l’expression de saint Jean Climaque (L’échelle sainte, 28, 17)[4], c’est-à-dire nous adresser au Seigneur en pensant qu’il est présent et qu’il nous entend et en étant attentif aux paroles que nous lui adressons, mais sans réfléchir sur ces paroles, sans laisser notre pensée se répandre même sur des sujets édifiants.

(À suivre …)

Notes

[1] De passage au monastère Orthodoxe St Jean Baptiste (Maldon, Essex), un pèlerin lui demanda pourquoi les moines répétaient sans cesse, durant de longs offices et pendant des heures la nuit la même phrase « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi, pécheur ». L’archimandrite Sophony, higoumène et fondateur de ce monastère, lui répondit de façon très amicale : nous répétons sans cesse cette phrase parce que nous sommes lents à comprendre, mais une fois que nous avons compris, nous n’avons plus envie d’arrêter. (ndr)

[2] Les homélies spirituelles de saint Macaire, traduction du père Placide (Deseille) , abbaye de Bellefontaine, 1984.

[3] Rom., 12,19

[4] Traduction du père Placide (Deseille), abbaye de Bellefontaine, 1993.