Saint Jean Climaque dans l’Échelle sainte

St Jean Climaque Les pères doués de discernement ont différencié les uns des autres l’attaque, la liaison, le consentement, la captivité, le combat et ce qu’on appelle passion de l’âme.

Ces hommes bienheureux définissent :

  • l’attaque comme la première apparition dans le cœur de la simple pensée ou de l’image d’un objet qui se présente ;
  • la liaison est une conversation avec ce qui vient de se manifester ainsi accompagnée ou non de passion ;
  • le consentement est l’acquiescement de l’âme, accompagné de délectation, à ce qui lui est proposé ;
  • la captivité est un entraînement violent et involontaire du cœur ; ou encore, une attache permanente à l’objet en question qui détruit l’excellent état de notre âme ;
  • [le combat se définit comme une confrontation, à égalité de forces avec l’adversaire, où l’âme, selon le choix de sa volonté, remporte la victoire ou subit une défaite ;]
  • la passion, au sens propre, est un mal qui depuis longtemps affectait secrètement l’âme et qui, désormais, lui a fait contacter une liaison intime avec lui et l’a établie comme dans une disposition habituelle, en vertu de laquelle elle s’y porte d’elle-même, spontanément et par affinité.

La tentation et le péché

De tous ces mouvements, le premier est sans péché ; le second ne l’est pas toujours ; quant au troisième, il est coupable ou non selon l’état intérieur du combattant. Le combat est l’occasion qui procure couronne ou châtiment. La captivité doit être jugée différemment selon qu’elle se manifeste au temps de la prière ou à d’autres moments, à propos de matières de peu d’importance ou s’il s’agit de pensées mauvaises.

Quant à la passion, sans aucun doute, dans tous les cas, elle encourt soit une pénitence proportionnée, soit un châtiment futur.

Ainsi donc, celui qui affronte sans passion la première attaque supprime d’un seul coup tout ce qui suit.

Une forme plus subtile de tentation

Les plus précis dans leur enseignement parmi les Pères doués de connaissance mentionnent un autre genre de motion intérieure, encore plus subtile, que certains appellent “impulsion”. Voici ce qui le caractérise sans intervalle de temps, sans concept ni image, elle fait apparaître instantanément la passion chez celui qui la subit. Il n’existe rien de plus rapide ni de plus imperceptible dans le monde spirituel. Elle fait sentir sa présence dans l’âme par une simple prise de conscience, avant toute réflexion, instantanément, d’une manière inexplicable, et parfois à l’insu du sujet lui-même. Si quelqu’un est parvenu, grâce à ses armes, à pénétrer une telle subtilité, qu’il nous explique alors comment il est possible que, par le seul moyen des yeux, par un simple regard, ou par un simple toucher de la main, ou par l’audition d’un chant, sans aucune pensée ni acte de l’intellect, l’âme soit saisie par la passion et tombe dans la luxure.

Connaître la véritable origine de la tentation n’est pas le plus important

Certains disent que c’est par les pensées de luxure que les passions envahissent le corps. D’autres au contraire affirment que c’est par le moyen des sens du corps que sont conçues les pensées mauvaises. Les premiers disent que si l’intellect n’avait pas pris l’initiative, le corps n’aurait pas suivi ; les seconds, pour justifier leur point de vue, allèguent la nocivité de la passion corporelle et disent que les mauvaises pensées trouvent souvent entrée dans le cœur grâce à une vision agréable, à un toucher de la main, à la senteur d’un parfum, ou au charme d’une voix. Que celui-là l’explique auquel le Seigneur en donnera le pouvoir ; car ces choses sont extrêmement nécessaires et profitables à ceux qui mènent la vie active en ayant la science (de sa pratique) ; mais pour ceux qui s’y appliquent dans la simplicité du cœur, cela n’a aucune importance. Car tous ne possèdent pas la science ; et tous n’ont pas non plus la bienheureuse simplicité, qui est une cuirasse qui protège des ruses des esprits mauvais.

Les tentations peuvent naître dans l’âme ou dans le corps

Certaines passions passent de l’âme dans le corps et d’autres font le contraire. Ces dernières sont le fait des gens du monde ; on trouve les premières chez ceux qui mènent la vie monastique, par suite de l’absence d’occasions (extérieures). Mais à ce sujet, je dirai seulement “Tu chercheras la sagesse chez les méchants, et tu ne l’y trouveras pas”[1].
Quand, après avoir longtemps combattu contre le démon, ce compagnon de notre argile, nous l’avons expulsé de notre cœur, le tourmentant avec la pierre du jeûne et le glaive de l’humilité, alors ce misérable se cache dans notre corps comme une sorte de ver, et s’efforce de nous souiller, en excitant en nous des mouvements contraires à la raison et inconvenants.
Le combat se définit comme une confrontation, à égalité de forces avec l’adversaire, où l’âme, selon le choix de sa volonté, remporte la victoire ou subit une défaite.

L’orgueil est la source de bien des tentations ultérieures

Habituellement, ce sont ceux qui ont cédé au démon de l’orgueil qui subissent ces choses ; parce qu’ils ne voient plus continuellement dans leur cœur des pensées impures, ils sont enclins à cette autre passion (de l’orgueil). Et pour qu’ils soient convaincus de la vérité de mes paroles, qu’ils s’examinent avec discernement quand ils jouiront d’une certaine hésychia ; ils découvriront certainement alors quelque pensée dissimulée dans les profondeurs de leur cœur comme un serpent dans du fumier, leur suggérant qu’ils sont arrivés par leur propre effort et par leur zèle à un certain résultat en fait de pureté du cœur. Ils ne pensent pas, les malheureux, à cette parole: “Qu’as-tu que tu n’aies reçu comme un don gratuit, soit de Dieu lui- même, soit grâce à l’aide et aux prières des autres ?”[2] Qu’ils s’examinent donc, et qu’ils mettent tout leur zèle à expulser ce serpent de leur cœur, le tuant par beaucoup d’humilité.

De la sorte, lorsqu’ils s’en seront débarrassés, ils pourront, en temps voulu, être dépouillés de leurs tuniques de peau[3], et comme jadis les chastes enfants[4], chanter au Seigneur l’hymne de victoire de la pureté ; pourvu que, une fois dépouillés, ils ne se retrouvent pas nus, démunis de cette absence de malice et de cette humilité qui sont naturelles aux enfants[5].

Il faut lutter contre les tentations aussi avec le corps

Ce démon, plus que tout autre, est à l’affût des moments favorables. Et quand il ne nous est pas possible de prier avec notre corps pour nous en préserver, c’est alors surtout que cet impie entreprend de nous combattre.

Ceux qui n’ont pas encore obtenu la vraie prière du cœur, trouveront de l’aide dans l’effort douloureux de la prière corporelle ; je veux dire étendre les mains, se frapper la poitrine, lever vers le ciel un regard limpide, gémir profondément, faire sans répit des métanies.

Mais souvent la présence d’autrui nous rend ces gestes impossibles, et c’est pourquoi les démons en profitent pour nous combattre surtout à ce moment-là. Et comme nous n’avons pas encore la force de résister à nos adversaires par la fermeté de l’intellect et la puissance invisible de la prière, nous faiblissons nécessairement devant eux. Si cela t’est possible, retire-toi aussitôt à l’écart. Cache-toi un moment dans quelque endroit secret. Élève en esprit tes yeux vers le ciel, si tu le peux ; sinon fais-le au moins corporellement. Reste immobile, les mains étendues en forme de croix, afin de confondre et de vaincre Amalec par ce signe[6]. Crie vers celui qui a le pouvoir de sauver, sans employer de phrases compliquées, mais avec d’humbles paroles ; dis de préférence pour commencer : “Aie pitié de moi, car je suis sans force”[7]. Alors tu connaîtras par expérience la puissance du Très-Haut, et par un secours invisible, tu mettras invisiblement en fuite ces ennemis invisibles.

Celui qui prend l’habitude de combattre de cette façon, sera bientôt capable de mettre ses ennemis en fuite uniquement par des moyens spirituels ; car cette seconde manière est donnée en retour par Dieu à ceux qui pratiquent la première, et c’est à bon droit.

Notes

[1] Prov. 14,6

[2] cf. I Cor. 4,7

[3] cf. Gen. 3,21

[4] cf. Mt. 21,15

[5] cf. Gen. 3,10

[6] cf. Ex. 17,11-13

[7] Ps. 6,3