Lecture de l’épître de saint apôtre Paul aux Romains

(Ro V,1-10)

Frères, étant justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, à qui nous devons d’avoir eu par la foi accès à cette grâce, dans laquelle nous demeurons fermes, et nous nous glorifions dans l’espérance de la gloire de Dieu. Bien plus, nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l’affliction produit la persévérance, la persévérance la victoire dans l’épreuve, et cette victoire l’espérance. Or, l’espérance ne trompe point, parce que l’amour de Dieu est répandu dans nos coeurs par le Saint Esprit qui nous a été donné. Car, lorsque nous étions encore sans force, Christ, au temps marqué, est mort pour des impies. A peine mourrait-on pour un juste ; quelqu’un peut-être mourrait-il pour un homme de bien. Mais Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous. A plus forte raison donc, maintenant que nous sommes justifiés par son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. Car si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, étant réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie.

Lecture de l’Évangile selon Saint Matthieu

(Mt VI,22-33)

« L’oeil est la lampe du corps. Si ton oeil est sain, tout ton corps sera éclairé ; mais si ton oeil est malade , tout ton corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, grandes seront ces ténèbres !
Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou bien il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie ? Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement ? Considérez comment croissent les lis des champs : ils ne travaillent ni ne filent ; cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, ne vous vêtira-t-il pas à plus forte raison, gens de peu de foi ? Ne vous inquiétez donc point, et ne dites pas : Que mangerons-nous ? que boirons-nous ? de quoi serons-nous vêtus ? Car toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. Votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données en plus. »

Homélie[1]

Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,

Voici trois instructions de Jésus, en apparence bien distinctes : une sur l’œil de notre corps, une autre sur le service dû à Dieu, la troisième sur les soucis du monde. Cependant un même enseignement, une même idée-force peut-on dire, les relie : en toute circonstance il faut conserver un cœur simple et droit.

Jésus a en abomination les cœurs faux, hypocrites, qui disent et ne font pas, dont les actes démentent les paroles, dont le oui et le non ne sont pas crédibles, qui soufflent le chaud et le froid, bref tous ceux qui font preuve de duplicité.

Il faut toujours garder un cœur droit. Même en ce qui nous tourmente habituellement : que mangerons-nous, de quoi nous vêtirons-nous ? Problèmes sans fin, questions toujours renaissantes. Si nous nous laissons entièrement dominer, nous n’avons plus une pensée pour Dieu, plus une pensée pour le sens de notre vie, plus un moment à donner pour préparer la venue du Royaume. Or c’est pour cela et cela seulement que nous sommes sur terre, pour remettre notre vie à la garde de l’amour de Dieu, pour choisir Dieu en toutes choses et hâter la venue du Royaume. Le choix est de garder un cœur toujours confiant et fidèle, sans nous laisser détourner par les inquiétudes du moment. Il faut travailler pour le Royaume, et pour autant ni la nourriture ni le vêtement ne viendront à nous manquer. Notre vie, nos pensées, notre cœur, doivent être à Dieu. Si nous restons prisonniers des soucis ou des divertissements du monde, notre cœur se divise, nos actes démentent notre foi, et nous perdons dans la dispersion le sens du Royaume. Il ne faut pas croire que Jésus n’était pas réaliste, qu’Il ignorait nos responsabilités immédiates. Simplement Il nous rappelle le sens fondamental de nos vies, de ce pourquoi nous sommes sur terre, qui est de savoir qui nous servons et qui est notre maître : ou bien Dieu, ou bien les soucis du monde : la nourriture, les vacances ou encore la retraite. De toutes ces choses non seulement aucune n’est bonne pour le Royaume, mais aucune n’est même sûre et ne peut apaiser véritablement nos angoisses. En Dieu seul se trouvent la vérité, la paix et la vie. Pour le comprendre, l’accepter et le vivre, encore faut-il que notre cœur soit pur, lucide, simple et droit.

Le problème est encore plus prégnant avec l’argent. L’argent qui multiplie à lui seul nos inquiétudes. En y ajoutant la perversion supplémentaire de la cupidité et en nous entraînant dans l’idolâtrie complète. Car l’argent ne se contente pas de nous détourner de Dieu, comme le font les soucis de la vie. L’argent pour l’argent est la négation, le rejet, la destruction de tout ce qui nous relie à Dieu. Vouloir servir Dieu et l’argent est illusoire et mensonger. Pas seulement parce que ceux qui se mettent au service de l’argent sont captés par lui.

Mais parce qu’autour d’eux, ils détruisent dans le monde la justice de Dieu. Mammon est la manifestation la plus flagrante de la puissance en soi et de son injustice, qui est le Mal absolu, le retour au néant.

C’est pourquoi il faut garder un cœur toujours sincère et un regard toujours simple. Saint Matthieu dit “simple”. C’est-à-dire un regard droit, franc, non biaisé. Et par suite, comme on dit habituellement, un œil sain, sans tache ni tare. C’est toujours la rectitude de cœur, d’âme et de pensée, opposée à la division et à la fausseté. Tous les fidèles doivent préserver la pureté de leur œil et de leur cœur. S’il arrive que l’œil soit trouble, le regard s’obscurcit, le cœur se fait mauvais ; on ne perçoit plus la vraie lumière. Non seulement l’œil, mais le cœur, mais tout le corps sont enténébrés. Toute la personne devient aveugle. Elle ne sépare plus la lumière des ténèbres, le bien du mal et glisse vers la perdition. Par contre si elle se tourne tout entière vers Dieu, elle est pénétrée de la vraie lumière et s’unifie dans l’amour divin.

Ces trois exigences de Jésus permettent de savoir comment nous nous situons par rapport à Dieu, de savoir si nous sommes des serviteurs dignes de confiance, ou bien des “païens” de fait. Est-ce que nous nous affranchissons des soucis du monde et plus encore de ses idoles ? Est-ce que nous plaçons notre espérance en Dieu seul et en Son Royaume, ce Royaume qui doit être au-dedans de nous ? Le critère de vérité, c’est l’état de notre cœur. « Dieu regarde le cœur » dit l’Écriture, et le prophète supplie « Ô Dieu, crée en moi un cœur pur »[2] . Un cœur pur, c’est un cœur simple, pour qui “oui” est oui et “non” non[3]. « Jusqu’ à quand clocherez-vous des deux pieds ?[4] s’écrie un autre prophète. Jusqu’à quand aurons-nous deux regards, deux pensées, deux langages ?

Eh bien ! jusqu’à ce que Jésus nous réunifie ! À condition de dominer nos passions, nos ambitions et tout vouloir de la chair[5] comme dit saint Jean. Il faut vouloir prier comme le psalmiste : « ô Dieu unifie mon cœur ». N’y a-t-il pas en nous, comme dit aussi le prophète Osée, « un cœur dont l’enveloppe se déchirera »[6] ? Un cœur appelé à devenir brûlant comme celui des disciples d’Emmaüs ? Un cœur capable de devenir un écrin assez pur pour recevoir Dieu ? Comme fit la Mère de Dieu, qui n’a cessé de passer et repasser la Parole dans son cœur.

Il faut cesser de regarder vers les choses périssables pour nous tourner vers celles d’En-Haut, de disperser nos pensées et de dissoudre nos forces dans les soucis et les séductions du monde. Il faut revenir toujours davantage vers le Christ qui ne cesse d’agir sur notre être entier, pensées, sentiments et désirs. Cette action d’unification ne s’accomplit jamais tant que dans l’action liturgique. Il est impossible de participer à la Sainte Liturgie avec un cœur divisé et trouble. Ici nous sommes unifiés par la puissance de la Parole, par la présence de l’Esprit, par l’amour du Père. Il faut construire en nous un cœur eucharistique pour le déployer, au-delà même de la célébration, dans le monde où nous retournons ensuite. Il faut garder dans nos cœurs cette joie liturgique, qui est déjà la perle précieuse du Royaume.

Elle nous donne d’affronter victorieusement toutes les divisions du monde comme nos divisions intérieures.

Nous disposons avec la Liturgie d’un trésor unique et unifiant, éclairant et pacifiant, auquel nous ne sommes peut-être jamais assez attentifs. Il faut et il suffit, pour être fidèles à la Parole de Jésus, de cultiver cette richesse de l’Unique nécessaire, de la porter dans nos cœurs et de la communiquer autour de nous. Alors nous serons, “dans la joie et la simplicité de cœur”, une lumière pour le monde, et même — c’est Jésus qui le dit — la lumière du monde[7].

Amen

Notes

[1] Prononcée par Père René le 23 juin 1996 à la Crypte

[2] successivement 1-Samuel XVI, 7 puis Psaume 50, 13

[3] Matthieu V, 37

[4] 1-Rois XVIII, 21

[5] Jean I, 13

[6] successivement Psaume 85, 11 puis Osée XIII, 8

[7] successivement Actes II, 46 puis Matthieu V, 14