Orthodoxes dans l'Oise - Mot-clé - repentirBlog de la paroisse des Quatre Martyrs de Paris. Église de Saintines située entre Compiègne et Beauvais.2023-07-10T12:22:50+02:00urn:md5:c53cf8380b666b48e583f071c24925daDotclearLe but de la confession et l'essence du péché - 2/2urn:md5:8f1cdb649c35b01c21414737597f40832013-04-25T06:00:00+02:002013-04-25T06:40:24+02:00nkConfessionconfessionmystèrepraxisrepentir <p><img src="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Divers/Mgr-Antoine-2.jpg" alt="Mgr Antoine (Bloom)" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="Mgr Antoine Bloom" /><em>(Seconde discussion)</em><sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-1" id="rev-pnote-91-1">1</a>]</sup></p>
<p>Je voudrais diviser notre seconde discussion en deux : parler un peu de la confession en commun des premiers siècles, de la transparence de chacun devant les autres et la responsabilité que tous prenaient les uns pour les autres et comprendre comment nous en sommes arrivés à la forme de confession que nous connaissons depuis quelques centaines d’années ; puis confronter ensuite chacun d’entre nous, en commençant pas moi-même, aux grandes figures de l’ancien testament en ce qu’elles sont représentatives de nos péchés communs et en ce qu’elles peuvent nous permettre de nous en délivrer.</p>
<p>Je vous ai déjà dit que la transparence que l’on pouvait voir dans l’Église primitive n’existe plus aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’à un certain moment, quand l’Église a cessé d’être persécutée, quand il a cessé d’être dangereux d’être chrétien, Elle a accueilli une foule de personnes qui n’auraient jamais osé s’En approcher du temps des persécutions, qui n’auraient jamais osé se déclarer disciples du Christ, témoins du Christ dans un monde qui Lui était hostile. Il est devenu alors impossible de se confesser publiquement comme on le faisait avant ; toute tentative aurait eu pour conséquence un rejet de la communauté chrétienne, la suspicion, la curiosité et la haine. Cela nous indique quel affaiblissement, quelle perte d’unité et d’intégrité la communauté chrétienne a alors subis. Et ce phénomène c’est ensuite aggravé à chaque siècle. Nous devons nous interroger là-dessus, dans la mesure où chacun de nous est personnellement appelé à témoigner du Christ, à être au milieu des autres une image de ce qu’a été le Christ, ne serait-ce que timidement. Le Christ nous a dit : « Voilà que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Et quelle attitude avons-nous : honteuse et peureuse ? ou bien entreprenante et prête au sacrifice ?</p>
<p>À la suite de la situation qui est apparue dès le IVe siècle, la confession change progressivement de forme. Historiquement, les évêques locaux ont commencé à recevoir seuls les confessions qui ne pouvaient plus avoir lieu publiquement. Ils les écoutaient au nom de toute l’assemblée, pas à un titre personnel et pas seulement au nom de Dieu, mais à la fois au nom du Christ Lui-même invisiblement et mystérieusement présent à ce moment d’ouverture des pensées et du cœur, et au nom de la communauté qui était devenue incapable de porter la croix de ses fidèles. Petit à petit, cette tâche réservée initialement aux évêques est passée aux plus expérimentés des prêtres. C’est ainsi qu’est née la confession sous la forme que nous connaissons aujourd’hui.</p>
<p>A cela s’ajoute quelque chose qui aggrave encore, de mon point de vue, la situation : au final les gens qui viennent voir un prêtre pour se confesser face au Christ, passent devant la file de tous les gens qu’ils ont peinés, abaissés et blessés. Peu d’entre nous ne pèchent que contre Dieu uniquement, la plupart de nos péchés consistent dans l’abaissement et l’agression de notre prochain. Nous confessons notre impatience, nos mensonges, notre égoïsme et beaucoup d’autres manquements, mais ces manquements se font au détriment de notre prochain. Mais lors de la confession, nous venons face à Dieu en passant devant notre prochain, sans nous en préoccuper. Premièrement nous devons admettre que nous n’avons pas le droit d’aller nous confesser face à Dieu de ce que nous avons fait, si au paravent nous ne sommes pas aller voir ceux à qui nous l’avons fait et devant qui nous sommes fautifs, ceux contre qui nous sommes fâchés, et que nous n’avons pas fait la paix avec eux. Se confesser devant Dieu de nos péchés, n’ayant pas fait la paix avec ceux qui sont la cause de ces péchés ou qui en sont les victimes, n’a simplement aucun sens ; ou alors il faut que cette confession soit la prémisse de cette réconciliation.</p>
<p>J’ai dit qu’un homme peut être soit la cause soit la victime. Effectivement, il nous faut parfois nous réconcilier avec ceux devant qui nous sommes fautifs ; d’autres fois, il se trouve que nous soyons dans l’obligation d’aller trouver quelqu’un et de lui dire : « Mon âme est en ébullition ; j’ai de l’amertume, de la colère, une tempête de pensées fait rage en moi à cause de ce que tu m’as dit ou fait ; peux-tu me guérir, peux-tu m’aider à te pardonner ? » C’est très important, et chacun devrait réfléchir à cela, parce que nous sommes blessés non seulement par nos péchés, mais aussi par ceux des autres. Nous sommes toujours blessés à deux, jamais en solitaire.</p>
<p>C’est pour cela que celui qui va se confesser devrait se poser la question : « qui ai-je blessé et qui m’a blessé ? » Et faire tout ce qui est en son pouvoir pour se réconcilier avec eux, même au risque de l’humiliation de soi. Et alors seulement, venir vers Dieu et dire : « de mon côté, j’ai fait tout ce que j’ai pu, maintenant je Te demande me pardonner, de m’aider et de me guérir ».</p>
<p>J’utilise volontairement le mot « humiliation ». On raconte que lorsque Dimitri Donskoï se préparait à combattre la Horde des mongols, il est venu demander une bénédiction à saint Serge de Radonège qui lui demanda : « Est-ce que tu as fait tout ce qui est en ton pouvoir pour éviter l’effusion de sang ? » Dimitri lui répondit : « Oui ». « Es-tu allé jusqu’à t’humilier personnellement », « oui » lui répondit Dimitri ; « Dans ce cas là je te donne la bénédiction ». Il est très important de se souvenir de cela ; parce qu’en la matière, la seule chose qui puisse sauver notre âme et l’âme de notre prochain, c’est la disposition que nous aurons à nous laisser humilier, nous préoccupant uniquement de sauver notre prochain de la tentation qui est apparue entre lui et nous.</p>
<p>Je voudrais encore ajouter quelque chose qui peut-être vous paraître étrange ou en tout cas inhabituel. Avant de d’obtenir le pardon de Dieu, il faut se demander si de notre côté nous pardonnons à Dieu pour la vie qu’Il nous fait mener. La question peut paraître étrange et même blasphématoire, mais en confession on entend si souvent : « Voilà mes péchés, mais comment voulez-vous que je ne pèche pas, alors que tout dans ma vie m’y contraint, que ma vie ne vaut rien et que tout va de travers ? » En fin de compte, cela veut dire : « Dieu ne m’a pas épargné ; Il a créé des circonstances telles que je n’avais pas d’autre choix que de pécher ! Je me repens d’avoir péché, mais au final c’est Dieu qui est fautif ». J’ai parfois répondu ces à gens-là : « Je ne peux pas vous donner la prière d’absolution, à moins que vous ne réfléchissiez sur ce que vous venez de dire et que vous ne disiez : Seigneur, je Te demande pardon, mais je Te pardonne aussi tout ce que je ne T’ai pas pardonné jusqu’à présent : le fait que tu m’aies créé, que tu m’aies fait naître, que tu aies rendu ma vie aussi effrayante, que je vive à une telle époque et que je sois désespéré ».</p>
<p>Cela pourrait vous paraître blasphématoire, mais en même temps c’est très réaliste, parce que se confesser c’est se réconcilier. Quand nous demandons pardon à un homme, et plus encore à Dieu, nous ne Lui disons pas : « Nous voilà devenus parfaits et Tu peux nous accueillir maintenant comme tes amis fidèles, réconciliés et rénovés ». On dira plutôt : « Seigneur, je suis venu me dévoiler devant Toi, je suis venu Te parler de tout ce qui en moi est sombre, sale, ténébreux et souillé ; et je Te prie de me guérir ». Et quand le Christ nous dit qu’Il nous pardonne, cela veut dire qu’Il est prêt à nous accepter tels que nous sommes, à nous prendre sur Ses épaules et à nous porter dans l’enclos en sûreté, comme il est dit dans la parabole du bon Pasteur qui recherche la brebis perdue, la prend sur Ses épaules et la rapporte au milieu des autres. Il est aussi prêt, et c’est encore plus terrifiant, à nous prendre sur Ses épaules comme Il a pris Sa croix, et à mourir sur cette croix comme Il est mort pour nous et à cause de nous en disant : « Pardonne-leur Père car ils ne savent pas ce qu’ils font ».</p>
<p>Si c’est en ces termes que nous pensions à la confession, si nous envisagions le pardon dans ces catégories-là ou avec ces images-là, nous ne pardonnerions pas aussi facilement et nous ne demanderions pas pardon à la légère. Parce que le pardon est un acte qui engage sa responsabilité. Il signifie : j’ai assez de considération pour toi comme icône de Dieu, je t’aime suffisamment d’un amour sacrificiel, tel que tu es, pour te prendre sur mes épaules avec tes défauts et tes insuffisances, pourvu que tu guérisses.</p>
<p>Le pardon n’est pas ce court instant où l’on se dit facilement : « Oublions tout ! ». Non il ne faut pas oublier, car oublier c’est nécessairement remettre l’autre, d’ici un temps plus ou moins long, dans la même situation que celle qui l’a fait chuter aujourd’hui. Il faut au contraire se souvenir de la faiblesse de l’autre, de ses blessures, des dangers qui l’entourent et être prêt à le porter toujours, parce qu’en définitive lui et moi, nous sommes un.</p>
<p>Si nous envisagions la confession de ce point de vue, nous prendrions un long temps de réflexion sur nous-mêmes, nous examinerions attentivement nos relations avec chacun, nous questionnerions le sens que nous donnons à la vie et à chacun de ses événements, et nous accomplirions ce premier effort : se réconcilier. Il ne s’agit pas d’accueillir passivement son prochain, mais au contraire de venir au devant de lui, avec créativité, et faire tout ce qui est notre pouvoir, allant jusqu’à l’humiliation, pour que l’autre puisse lui aussi nous accueillir, parce que ce n’est pas chose aisée que la réconciliation.</p>
<p>Enfin réconcilié avec les autres, et ainsi réconcilié avec sa conscience, venir se confesser, se tenir devant Dieu et Lui dire : « maintenant il me reste deux choses. Je renie ma vie passée, mais ce passé je le prends sur moi comme une maladie qui n’a pas encore guéri et contre laquelle je vais lutter. Je Te demande de confirmer et d’affermir le pardon que j’ai obtenu de mon prochain et celui que je lui ai donné, consolide-les par la force de Ton pardon. Aide-moi à guérir ; vois mes efforts et entends mon cri : aide-moi !». Toute confession doit devenir, d’une part, un bilan du passé, d’autre part, un programme pour la lutte future, pour la victoire sur soi au nom de Dieu et de son prochain.</p>
<p>Je voudrais maintenant parler d’autre chose. Dans l’ancien testament, il y a tout un cortège de figures que l’on devrait considérer attentivement et qui pourraient, d’une certaine façon, servir à nous juger et à nous interroger : est-ce que je leur ressemble ?</p>
<p>J’ai déjà mentionné Caïn, à qui nous ressemblons à chaque fois que nous souhaitons évincer quelqu’un, ou qu’il disparaisse de notre vie, ou qu’il n’est jamais existé : c’est un meurtre.
Avant cela, souvenons-nous de la chute d’Adam. Il s’est détourné de Dieu pour devenir matière et se consacrer uniquement au monde matériel. Ne faisons-nous pas comme lui ? Cela ne veut pas dire que nous devons être étranger à ce que Dieu à créé, pas du tout. Mais souvenons-nous du Christ : Il a pris part à la vie du monde qu’Il avait créé Lui-même ; ce monde déchu par la faute de l’homme, Il l’a habité pour y faire revenir l’harmonie divine, pas pour faire entrer le monde déchu dans le Royaume de Dieu ; pas pour faire entrer le monde déchu dans notre vie personnelle, familiale, communautaire, et encore pire dans la vie de l’Église.</p>
<p>D’autre part, ne sommes nous pas comme Adam qui ayant désobéi et s’étant détourné de Dieu, s’étant plongé dans le terrestre, s’est caché de Dieu lorsque Celui-ci le cherchait au paradis. Si l’on s’imagine qu’on ne le fait pas, on se ment ! Car à chaque fois que nous nous retournons vers notre monde déchu, abîme et argileux, nous choisissons ses valeurs, ses jugements et son mode de vie – nous fermons alors les yeux sur la présence divine. Nous obligeons notre conscience à se taire, nous obligeons Dieu à se tenir à l’écart ou bien c’est nous qui nous cachons de Lui. C’est ainsi qu’ont procédé les gardes romains qui flagellaient le Christ, ils Lui ont bandés les yeux et Lui demandaient : « Dis-nous qui t’a frappé ». N’est-ce pas ce que nous faisons d’une manière ou d’une autre ! ? Nous ne bandons pas les yeux de Dieu, mais nous fermons les nôtres, nous Lui tournons le dos, nous nous mettons à l’écart dans l’ombre pour accomplir les œuvres des ténèbres. Voilà ce que nous pouvons apprendre de l’exemple d’Adam.</p>
<p>Ensuite viennent Caïn et Abel. Qu’est-ce qui les distingue ? Caïn s’est complètement assujetti à la création et quand il voit combien Abel est libre, comment il vit des fruits de la terre sans en être prisonnier, combien sa conduite est agréable à Dieu alors que lui est ignoré, il ne se remet pas en cause ; il maudit son frère et le tue. « S’il n’avait pas existé, je n’aurais pas été jugé, et il n’y aurait pas eu cet autre qui me fait de l’ombre par son existence, par ce qu’il est. »</p>
<p>Reportez-vous à la parabole des appelés et des élus : l’enracinement de l’homme dans le terrestre, son assujettissement par la terre, son assujettissement par son travail, sa vocation, son bonheur et peut-être même par son malheur.</p>
<p>Ensuite vient Lamech qui s’est écrié : si Caïn doit être vengé sept fois, Lamech doit l’être soixante dix-sept fois.<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-2" id="rev-pnote-91-2">2</a>]</sup> Est-ce que l’on ne trouve pas cela en nous ? Est-ce que l’on ne bout pas intérieurement de colère, ruminant vengeance et amertume quand on nous agresse, nous humilie, ou quand nous sommes désespérés par un événement ou par quelqu’un ? Ne cherchons-nous pas à rendre les coups ? Oh, bien sûr nous ne sommes pas des meurtriers ; mais combien de poison il peut y avoir dans une parole glaciale, dans la façon que nous avons de nous détourner de quelqu’un ou dans notre regard ? Voilà quelles formes peut prendre notre rancune, mais il y en existe d’autres : faire volontairement du mal à quelqu’un, dire des méchancetés sur lui, propager des rumeurs sur lui, le dénigrer auprès des autres, sans parler du fait que, sous une forme ou sous une autre, nos manigances finissent par atteindre le malheureux. Il faut que chacun garde cela présent à l’esprit.</p>
<p>Puis vient le déluge. Que c’est-il passé ? Dieu nous dit que l’homme est devenu tellement charnel qu’il ne reste plus rien de spirituel en lui, il n’a plus d’élan vers le ciel. L’homme n’est plus qu’un objet, il ne doit plus exister. Cette humanité-là est non seulement défigurée, mais elle est aussi une impasse.<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-3" id="rev-pnote-91-3">3</a>]</sup></p>
<p>Quelle est notre situation ? Dans quelle mesure vivons nous charnellement et avons-nous cessé de vivre spirituellement ? Cherchons-nous toujours Dieu, visitons-nous encore les profondeurs de notre âme, nos aspirations sont-elles tournées tout ce qui est essentiel et véritable, vers la vie ? Que nous reste-t-il de ses choses-là ? Ou bien sommes-nous devenus charnels, presque des objets, ne vivant que de choses terrestres ? Et n’allons pas nous justifier en disant : « Mais nous allons à l’église ! Nous prions ! ». Que demandons-nous dans nos prières ? Le confort, la santé, le bonheur, le notre et celui de nos proches. Mais quelles décisions prenons-nous nous concernant, renonçons-nous à nous-mêmes pour vivre avec Dieu, comme nous pouvons renoncer à nous-mêmes pour être avec quelqu’un ? Je ne donne ici qu’un exemple, mais chacun peut en sondant les profondeurs de sont âme, s’observer dans ce contexte biblique.</p>
<p>Beaucoup plus loin on trouve le récit de la femme de Lot. Il n’y avait rien de mal en elle, avec Lot et sa suite, ils ont quitté Sodome et Gomorrhe, villes où le mal et le péché avaient atteint un tel paroxysme qu’elles ne pouvaient plus échapper à la destruction. En quittant ces villes, il avait été dit à Lot et à sa femme de partir sans se retourner ; d’aller là où Dieu leur avait commandé, pas là où la curiosité attire les yeux. La femme de Lot s’étant retournée est devenue une statue de sel. Elle n’a pas été changée, mais elle est restée en sel, au sens où le Christ nous dit que le sel conserve de la pourriture et de la décomposition. Mais elle est restée un sel mort, la vie l’a quittée parce qu’elle avait cessé de regarder dans la direction dans laquelle Dieu l’appelait, elle s’est retournée pour voir ce qui allait se passer, ce qui se passe quand Dieu n’est plus là – dans le péché.</p>
<p>Combien de fois faisons-nous, nous aussi, preuve de cette curiosité destructrice. Nous intéressons à toutes ces choses qui s’avèrent être en fait décomposition, pourriture, mort, péché, méchanceté, éloignement de Dieu ! Nous croyons que cela ne nous souillera pas et que nous resterons indemnes, tels que nous étions. Nous continuons de croire en Dieu, nous continuons à vouloir le bien – sommes pour une grande part du sel, mais du sel mort – il n’y a pas de vie en nous. Parce que la vie n’est que dans l’élan vers Dieu, que dans notre acquisition de Dieu et notre familiarité avec Lui. Regarder dans la fosse et en même temps scruter les profondeurs divines est impossible. Posons nous encore une dernière question.</p>
<p>Alors, existe-t-il un espoir, existe-t-il des figures bibliques que l’on pourrait prendre pour modèles ? Oui ! Je vais vous en donner deux : Abraham et Jacob.</p>
<p>Abraham était un païen. Lorsqu’il entendit la Voix de Dieu l’appelant, il n’entendit pas un son, il sentit une voix au plus profond de son âme. Trois fois il fut appelé ; il s’est levé et il est parti là où Dieu l’appelait, là où Il le conduirait ; il crut en Dieu, il Lui fit confiance. Dans le 11e chapitre de l’épître aux Hébreux, la foi se définie comme la ferme assurance dans les choses que l’on ne voit pas<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-4" id="rev-pnote-91-4">4</a>]</sup>. Abraham avait une ferme assurance dans ce qu’il avait entendu, et il a suivi Dieu par tous les chemins qu’Il lui a fait traverser.</p>
<p>Deuxièmement, Dieu lui promit un fils et à travers ce fils, une descendance innombrable. Or lorsque l’enfant eu grandi, Dieu lui demanda de Lui offrir Jacob en sacrifice sanglant. Abraham ne s’est pas mis à discuter la volonté de Dieu ; il croyait plus en Dieu qu’aux paroles qu’il entendait ; il croyait plus en Dieu, qu’en sa compréhension de Dieu. Dieu, devant Qui s’offraient volontairement les destins d’Abraham et de son fils, a alors pu trouver une façon de surmonter l’impossible, et cela uniquement parce qu’Abraham fit confiance à Dieu et s’abandonna entièrement à Lui.</p>
<p>Après cela, après s’être complètement enraciné dans la foi par cet abandon sans condition, Abraham commença être initié aux mystères de Dieu : l’apparition des trois Anges au chêne de Membrée, qui bien qu’étant trois parlaient au singulier, de même qu’au début de l’Ancien Testament au entend le Dieu-Un parler au pluriel : « Faisons l’homme à Notre image, selon Notre ressemblance »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-5" id="rev-pnote-91-5">5</a>]</sup>. Ici Trois Anges disent « Je ». C’est Dieu qui parle. Abraham connut Dieu comme Dieu Unique en Trois Personnes.</p>
<p>Durant sa vie Abraham apprit de Dieu la compassion et l’amour. Ainsi lorsque Dieu lui apprit qu’Il allait détruire Sodome et Gomorrhe, Abraham commença à implorer la pitié de Dieu : s’il reste cinquante, voire vingt, voire dix justes, est-ce que Tu vas réellement détruire ces villes ? Pensez-vous qu’Abraham, par sa sensibilité humaine, remettait en cause le courroux divin ? Non ! Il avait déjà en partie acquis l’amour de Dieu, la compassion divine et il offrait à Dieu ce que Celui-ci lui avait donné.</p>
<p>Et pour finir, la figure de Jacob : le combat de Jacob avec l’Ange durant la nuit. Combien de fois sommes-nous dans les ténèbres, combien de fois la foi, Dieu, la providence divine s’obscurcissent et deviennent incompréhensibles. Combien de fois avons-nous pu dire avec Job : « Seigneur, je ne Te comprends plus ! » C’est bien dans des ténèbres semblables que se trouvait Jacob. Il s’est accroché, il s’est littéralement emmêlé avec l’Ange ; il a voulu le vaincre et comprendre. Il s’est battu toute la nuit et à l’aurore, quand il s’est rendu compte avec Qui il se battait, il Lui a juste demandé : « Quel est Ton Nom ? »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-6" id="rev-pnote-91-6">6</a>]</sup> Il a voulu connaître le Nom de Dieu, parce que dans l’Ancien Testament, dans toute l’antiquité, le nom était étroitement lié à l’essence de la personne, qu’il soit Dieu ou homme. Il a voulu connaître Dieu tel qu’Il est ; en utilisant les mots de saint Pierre, il a sans doute voulu s’unir ainsi à la nature divine<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-7" id="rev-pnote-91-7">7</a>]</sup>. Mais c’était encore trop tôt, il fallait tout d’abord que Dieu s’unisse à la nature humaine. Et l’Ange ne lui pas donné de réponse, il n’a pas prononcé de nom. Plus tard, Moïse entendit quelque chose du genre : « Je suis Celui qui est »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#pnote-91-8" id="rev-pnote-91-8">8</a>]</sup>. C’est tout ce que l’on peut savoir. Mais Jacob n’a pas renoncé alors à la lutte, ni à la farouche volonté de savoir, même au prix de la déception.</p>
<p>Quand nous sommes dans la nuit et le doute, faisons-nous toujours preuve d’assez de constance, de fidélité, de force de caractère, de volonté, de renoncement à soi, afin de connaître Dieu quoi que cela nous coûte, quel qu’Il puisse nous apparaître quand viendra l’aurore ? Ne reculons-nous pas au contraire trop facilement en disant : « Seigneur, Tu ne veux pas te dévoiler ! Tu es inconnaissable ! Je vais me contenter du peu que je connais déjà de Toi, je vais demander des récompenses pour mes efforts – mais être un fils pour Toi, c’est au dessus de mes forces ! » Alors que nous ne sommes appelés à être ni des esclaves, ni des métayers mais des fils et des filles par le repentir, c’est à dire par un renoncement à tout en Dieu, en commençant par soi et par le cheminement dans la volonté de Dieu et non dans la sienne.
Réfléchissons à ces figures, à ces appels que nous lance l’Ancien Testament, parce que par notre vie intérieure, par notre manière de vivre nous appartenons encore pour une grande part à l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament, nous l’entendons à chaque liturgie, chaque dimanche, à chaque fête au travers des lectures de l’évangile et des épîtres. Observons combien nous ne nous sommes toujours pas convertis, bien que nous soyons baptisés, bien que nous communions, bien que nous nous confessions, bien que nous fréquentions une église. Pour une grande part, nous sommes des êtres de l’Ancien Testament, et pas de ceux qui ont vaincu, mais de ceux qui se battent encore désespérément, et plaise à Dieu que nous soyons parmi ceux qui se battent encore et non parmi ceux qui sont déjà vaincus.</p>
<p>Je terminerai là-dessus cette deuxième discussion, et j’espère que vous réfléchirez à ce qui s’est dit aujourd’hui. Je vais maintenant vous demander d’observer de nouveau une période de silence. Après cela nous nous rassemblerons au milieu de l’église pour une confession commune. Une confession commune, c’est le moment où nous nous reconnaissons membre d’un même corps et que les péchés de l’un sont aussi les péchés de l’autre, parce que nous sommes tous responsables les uns pour les autres. Je vais essayer de me confesser le plus sincèrement que je le peux ; pendant cette confession il y aura des périodes de silence durant lesquelles chacun pourra confesser devant Dieu son propre état, dans le contexte de ce qui a déjà été dit en commun. Après il y aura encore une petite période de silence pour que chacun puisse encore prier en lui-même et se tenir dans le repentir devant Dieu. Ensuite je prononcerai une prière commune d’absolution et ceux qui auront participé à cette réunion de prière pourront communier demain aux Saint Dons.</p>
<p>Si quelqu’un veut néanmoins se confesser individuellement, qu’il y réfléchisse-bien, parce qu’il lui faudra alors faire ce que je vous ai dit tout à l’heure, ce que chacun d’entre-nous devrait faire avant une confession individuelle : se réconcilier avec tous les proches qui lui sont accessibles ; réparer, dans le mesure de ses possibilités, tout le mal et tous les torts qu’il a faits et qu’il continue peut-être de faire ; et venir ensuite personnellement, et non pas au milieu d’une foule de pécheurs repentants (c’est ainsi que saint Ephrem le Syrien définit l’Église), mais au milieu des membres responsables du Corps du Christ, qui renient personnellement tout mal devant Dieu et commencent une nouvelle vie, quoi que cela leur coûte.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Notes</h4>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-1" id="pnote-91-1">1</a>] Première des deux discussions que Mgr Antoine (Bloom) a eues avec ses paroissiens le 30 décembre 1989 lors d’une veillée de préparation à la confession avant la fête de Noël. Dans la pratique paroissiale de Mgr Antoine, à l’occasion des fêtes de Pâque et de Noël, on consacrait une journée entière à des discussions spirituelles, suivies de temps de réflexion silencieuse, de prière personnelle et qui se terminaient par une confession qui avait lieu en commun.</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-2" id="pnote-91-2">2</a>] voir Gn 4,24</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-3" id="pnote-91-3">3</a>] Gn 6,3 …</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-4" id="pnote-91-4">4</a>] Heb 11,1</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-5" id="pnote-91-5">5</a>] Gn 1,26</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-6" id="pnote-91-6">6</a>] Gn 32,24-29</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-7" id="pnote-91-7">7</a>] 2P 3,14</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-2/2#rev-pnote-91-8" id="pnote-91-8">8</a>] Ex 3,14</p></div>
Le but de la confession et l'essence du péché - 1/2urn:md5:e7038ab826d182c867160321c1ed93a32013-04-24T06:00:00+02:002013-04-24T06:00:00+02:00nkConfessionconfessionmystèrepraxisrepentir <p><a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Divers/Antoine-Bloom.jpg" title="Mgr Antoine (Bloom)"><img src="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Divers/.Antoine-Bloom_s.jpg" alt="Mgr Antoine (Bloom)" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="Mgr Antoine Bloom" /></a><em>Première discussion</em><sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-1/2#pnote-90-1" id="rev-pnote-90-1">1</a>]</sup></p>
<p>Prendre pour thème de discussion la confession avec des personnes qui sont nées et qui ont été éduquées dans l’Église, pourrait sembler complètement inutile. D’un autre côté quand on constate jusqu’à quel point certaines confessions peuvent-être stériles (je parle ici des vôtres comme des miennes), il apparaît encore une fois nécessaire de se poser la question : qu’est que la confession ? Pourquoi nous confesser, à quoi cela nous oblige-t-il, et où cela peut-il nous mener ?</p>
<p>Quand je repense aux confessions, les miennes et celles que j’ai entendues, trop souvent la confession se réduit à un moment où nous désirons nous débarrasser d’un lourd fardeau, du poids pénible de nos anciens péchés afin que la vie devienne plus facile à vivre. Si je reprends les paroles d’un petit garçon à qui sa sœur demandait ce qui lui donnait envie de se confesser : « se débarrasser des anciens péchés pour faire de la place la place aux nouveaux… » Je pense que cela ne concerne pas seulement ce jeune garçon, mais aussi beaucoup d’adultes. On vient à la confession pour alléger sa conscience, pour se libérer du poids du passé ; mais qui vient pour faire sincèrement la paix avec Dieu, avec sa propre conscience et avec ses proches, en finir définitivement avec le passé et commencer réellement une nouvelle vie ?</p>
<p>Cette question chacun de nous doit se la poser, pas seulement pour se faire un avis, mais pour s’accuser réellement si, comme le petit garçon, il vient déposer un lourd fardeau pour que la vie aille mieux, et non pas pour en finir avec les péchés du passé. Quand je parle des « péchés du passé », je parle pas de tout ce qu’il nous reste à corriger – pour cela il faut une vie entière – mais je parle de tous nos péchés qui nous apparaissent comme tels, de tout notre péché qui est arrivé à notre conscience, qui nous apparaît dans toute sa laideur, qui nous est devenu insupportable et que nous voulons écarter ; pas seulement mettre de côté, mais détruire pour qu’il ne soit plus.</p>
<p>A ce propos, il y a un passage remarquable dans l’œuvre de saint Barsanuphe le Grand, qui nous met très justement en accusation et qui dit que si l’on se rend réellement compte de l’horreur d’un péché particulier qui nous retenait prisonnier, si réellement nous rejetons du tréfonds de notre âme l’horreur que ce péché y a instillé, alors arrive le moment où nous pouvons pleurer sur ce péché, pas seulement les larmes de nos yeux, mais les larmes de notre cœur par un repentir de tout notre être : il nous apparaît alors clairement que nous ne pourrons plus jamais retourner à ce péché. Saint Barsanuphe dit que c’est seulement alors que nous pouvons considérer que notre péché est pardonné. Il dit même plus : si nous avons vécu cette expérience, si la vision de notre péché dans toute son horreur nous a réellement retournés, si elle nous en a dégoûté au point que nous ressentons en nous-mêmes que jamais plus nous ne pourrons y revenir, alors nous pouvons nous considérer comme pardonnés par Dieu. Et il ajoute que ce n’est plus la peine d’aller confesser ce péché à un prêtre, car Dieu l’a déjà pardonné, purifié et guéri et qu’il ne peut plus y avoir d’autre pardon, purification et guérison.</p>
<p>Se pose ici une seconde question. Qui d’entre nous a un jour vécu une telle expérience vis à vis d’un quelconque de ses péchés, qui a vu ce péché comme le meurtre de son âme, comme le meurtre de son prochain, comme sa froide et consciente participation au meurtre du Christ ? C’est une question que nous ne pouvons éluder, car nous revenons régulièrement nous confesser des mêmes péchés. Comment se fait-il que nous ne les ressentions pas ? qu’ils comptent si peu pour nous ? que, si nous comprenons vraiment ce qu’est le péché, nous puissions y revenir aussi froidement ?</p>
<p>L’apôtre Paul nous dit que la question n’est pas dans l’importance du péché, mais que nous choisissions le péché. Je pense que l’on pourrait se représenter les choses de la manière suivante : il y a une rivière qui coule entre la domaine du Christ et le domaine de satan. Par endroit elle est étroite, peu profonde et on peut la traverser à pied, à d’autres endroits elle est profonde, rapide et large. La question n’est pas de savoir où nous avons traversé, mais de comprendre que nous avons quitté le domaine du Royaume du Christ et de Dieu pour le domaine de Satan. C’est à la fois aussi simple et terrible. Le péché – c’est le choix entre Dieu et Son adversaire, entre la vie et la mort, entre la lumière et les ténèbres. Ce n’est peut-être pas un choix partisan, dans la mesure où on ne dit pas : « Oui, je rejette Dieu et Son Christ et je choisis le camp de Son adversaire. » Mais c’est un choix dans la mesure où je me dis : « Ça passera ! Ce n’est pas grave ! Je me donne un répit, je passe pour un temps dans l’autre camp, là où ma conscience ne me fera pas de reproches, parce que dans le camp des ténèbres, je ne me verrai pas aussi sombre que si j’étais encore dans le camp de la lumière. »</p>
<p>Voilà en quoi consiste le péché ; et à chaque fois que nous y succombons, nous nous mettons dans cette situation. Parfois par méchanceté et sciemment contre Dieu, parfois involontairement ou par insouciance. On se dit que l’on « pourra toujours revenir ! » Oui, on pourra revenir, mais ce n’est pas si facile ; oui, on peut retraverser la rivière, à la nage ou parfois à pied, mais dans quel état sommes-nous alors ? Nous ne revenons pas tels que nous étions avant de nous couper de notre amitié avec Dieu et de rejoindre le camp de Ses adversaires, de Ses meurtriers ; nous revenons éclaboussés, salis, blessés et parfois très profondément. La confession, celle dont nous parlons aujourd’hui, consiste à revenir à la vie : pas juste se laver, prendre une douche et sentir que le passé n’est plus ; non – nous parlons maintenant de réconciliation. Pas une simple réconciliation avec sa conscience : « Je ne suis plus le même, je ne veux plus de ça et je ne le ferai plus ! » – une réconciliation avec Dieu, que nous avons trahi, que nous avons abandonné pour nous choisir un autre maître, un autre pasteur.</p>
<p>Nous savons ce qu’est la réconciliation dans la vie courante, quand nous nous sommes fâchés avec quelqu’un, ou même quand cette personne n’est pas au courant que nous avons médit derrière son dos, menti à son sujet, propagé des rumeurs la concernant… Qu’elle soit au courant ou pas, nous devons aller la trouver et lui dire : « Tu me considérais comme un ami, tu as toujours agi envers moi, tu as toujours témoigné pour moi comme un ami fidèle : et bien moi non ! Je t’ai trahi, je t’ai trahi comme Judas a trahi le Christ ; je me suis détourné de toi comme Pierre s’est détourné du Christ en voyant le danger, mais moi je n’étais pas en danger. Rien ne me menaçait, j’étais juste fasciné par quelque chose de mensonger, je voulais quelque chose de plus que ton amitié, quelque chose de plus que ma pureté physique et spirituelle. »</p>
<p>Voilà l’état d’esprit dans lequel nous devrions nous confesser, et que nous ayons péché en peu ou en beaucoup. Car la taille de notre péché ne se mesure pas de manière objective, mais à l’aune de l’amour que nous avons ou que nous n’avons pas. Contre une personne que nous aimons profondément, le moindre manquement, la moindre parole ou action qui pourrait la chagriner nous paraît une catastrophe et nous inquiète profondément. Mais si nous aimons peu cette personne, on pense : « Bah quoi ! Ça passera ! Ça s’oubliera ! Est-ce si important ? Est-ce que nos relations sont si pures, si harmonieuses et claires que cela puisse les refroidir ou les interrompre ? » Alors on envisage la réconciliation avec froideur : « se réconcilier ? À quoi bon, quand il suffit de se calmer… ». C’est en ça que se résume la question de la confession : est-ce que l’on vient sincèrement et intimement se réconcilier ou bien est-ce que l’on attend simplement que la vie nous soit moins douloureuse, plus facile et plus agréable.</p>
<p>Il reste encore un aspect de la confession à envisager : quand nous venons à Dieu, que nous Le prions, que nous confessons devant Lui nos péchés avec plus ou moins d’ardeur, nous n’entendons de Sa part aucun mot de reproche ou de réconciliation. Il est comme muet. Il faut une grande sensibilité de l’âme pour ressentir si nous sommes réconciliés avec Dieu ou pas. On voit bien quelle est la différence entre la simple confession et la véritable réconciliation lorsque l’on s’adresse un homme que nous avons peiné, insulté ou négligé, il peut nous écouter et nous dire : « J’ai été trahi par ton amitié, je ne te fais plus confiance ». Ou encore : « Non, je ne peux pas te pardonner, tu m’as blessé trop profondément, tu m’as peiné trop cruellement ; ne pense pas qu’avec de simples mots tu puisses changer mon état, guérir mon âme ! Il faudra que tu me démontres, peut-être pendant un temps assez long et avec des signes visibles, la sincérité de tes mots, que tu as honte et que tu regrettes. Notre amitié est mise à rude épreuve ».</p>
<p>Il faut véritablement que nous réfléchissions là dessus : parce qu’à peine avons-nous dit nos péchés à Dieu, montré notre « repentir », dit tous nos regrets, nous attendons trop facilement que Dieu nous pardonne. Bien sûr qu’Il nous pardonne ! N’est-Il pas Dieu ? N’est-ce pas pour cela qu’Il a vécu, qu’Il a enseigné et qu’Il est mort sur la Croix ?</p>
<p>Voilà, c’est ce mot « mort sur la Croix » que nous oublions trop facilement. Sur ce sujet, saint Séraphim de Sarov a eu un jour une discussion qui devrait nous toucher profondément. Saint Séraphim disait que lorsque nous demandons à Dieu de nous pardonner avec repentir, Il le fera d’une manière certaine puiqu’Il ne nous rejette pas, mais il faut se rappeler le prix qu’Il a payé pour obtenir le pouvoir de nous pardonner. Il a le pouvoir de nous pardonner parce qu’Il est mort pour nous ; Il a le pouvoir de nous pardonner parce qu’Il pourrait considérer chacun de nous comme Son bourreau. Oui, littéralement nous participons à Sa crucifixion et littéralement Il peut dire de nous : « Pardonne leur Père, car ils ne savent pas ce qu’ils font… ».</p>
<p>À l’époque, les gens ne savaient pas ce qu’ils faisaient, pouvons-nous en dire autant aujourd’hui ? Ne savons-nous pas ce que dit l’évangile ? Ne savons-nous pas que le Christ n’est pas mort que pour nous, mais aussi à cause de nous ? Ne savons-nous pas que si mon péché, grand ou petit, n’existait pas, Il n’aurait pas eu a mourir ? Que s’il n’y avait eu qu’un seul pécheur sur la terre (c’est ce que nous rapporte un saint père), le Christ serait mort pour le sauver, lui uniquement. Ainsi, à chaque fois que je tue mon âme, que je me souille, que je deviens un traître, je ne trahis pas que Dieu, mais mon prochain et moi-même, à chaque fois je deviens responsable de la mort du Christ, le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme.
Tout ceci doit nous donner la possibilité et l’obligation de prendre la mesure de chacun de nos péchés, parce qu’en fin de compte il n’y a pas de petit ou de grand péché. Bien sûr, il y a des péchés qui peuvent tuer notre âme en une fois et d’autre moins meurtriers, mais ils représentent tous notre part dans la crucifixion du Christ. Il nous semble si facile de nous séparer de nos péchés ! D’un grand péché, c’est sans doute possible ; s’il nous a frappé véritablement au creux de l’âme, on peut s’en repentir profondément, tragiquement. Mais pour les petits, il nous semble suffisant de dire « Seigneur, pardonne-moi » et de se sentir pardonné. Dans la vie d’un saint russe, un fol en Christ, on raconte l’histoire suivante. Deux femmes viennent voir le saint, la première avec un grand péché, qui l’a profondément blessée, dont elle se repend et qu’elle pleure amèrement ; l’autre avec beaucoup de petits en disant : « Et quoi ? Je suis pécheresse, ce sont de petits péchés ! Est-ce si important ? ». Le fol en Christ dit à la première : « Vas dans le champ voisin, trouve la plus grosse pierre que tu puisses porter et rapporte la moi ». À la seconde : « Remplis ton tablier avec toutes les petites pierres que tu trouveras sur le chemin et reviens me voir ». Les deux femmes firent ce qu’il leur avait demandé et revinrent ensuite. Le saint dit à la première : « Rapporte ta pierre là où tu l’as trouvée » ; et à la seconde : « remets chaque pierre là où tu l’as prise ». Les deux partirent. La première revint rapidement car elle retrouva facilement l’endroit d’où elle avait pris la grosse pierre, tandis que la seconde revint tard avec son tablier rempli de pierres en disant : « Je ne sais plus où je les ai prises ». Et le saint leur dit : « Il en va de même avec les péchés : si tu te repens sincèrement d’un grand péché, c’est comme si tu remettais le gros caillou à sa place ; mais pour se défaire d’une multitude de petites pierres, tu ne retrouveras jamais l’endroit où tu les a prises ».</p>
<p>Il faut donc avoir à l’esprit, que cela n’a aucun sens de se poser la question de savoir si tel ou tel péché vaut la peine que l’on s’en repente, parce que nous ne savons pas si nous pourrons nous débarrasser de ce petit péché que nous avons commis. Par un petit ou par un grand – peu importe, nous avons franchi la frontière, nous sommes passés du domaine de la lumière dans celui des ténèbres, et nous ne pouvons pas en revenir tout blanc et sans tâches. Encore une fois, je le répète : pour que la confession soit purification, il faut qu’elle soit parfaite réconciliation.
Maintenant, réconciliation en quoi et avec qui ? Le plus souvent, quand nous venons à la confession, nous pensons qu’il suffit principalement de se réconcilier avec Dieu et que pour cela il suffit de tout Lui dire, ou du moins autant que l’on en est capable, pour qu’Il nous dise : « Bon, Je te pardonne ! ». Cela n’est pas suffisant ! Cela n’est pas suffisant parce que la plupart de nos péchés consistent à mépriser, à peiner et à faire perdre espoir à l’un de nos proches ; et la réconciliation devrait commencer par la réconciliation avec celui devant qui nous sommes fautifs. Dieu ne peut pardonner ce que nous avons fait à notre prochain, tant que nous n’avons rien fait pour nous réconcilier avec lui. C’est pourquoi, aux vêpres du pardon par exemple, il est totalement vain de dire à quelqu’un « pardonne-moi » et s’entendre répondre « que Dieu te pardonne », si au paravent nous ne sommes pas venus rencontrer ceux devant qui nous avons une dette et que nous avons peinés, que nous ne leur avons pas confessé la honte que nous ressentons de leur avoir manqué de confiance et de les avoir trahis.</p>
<p>Pour finir notre réconciliation doit avoir lieu avec nous-même, pas seulement avec Dieu et avec notre prochain ; c’est à dire que nous devons quitter cet état partagé, éclaté, éparpillé qui est le notre en permanence pour se sentir réunifié et guéri. Souvenez-vous de l’apôtre Paul qui dit : le bien que je voudrais faire, je ne fais pas ; le mal que je ne voudrais pas faire je le fais en permanence (Rm 7,19). Il y a réellement en nous une séparation : une séparation entre nos pensées justes et sincères et les désirs de notre cœur ; entre notre élan vers le bien et notre attirance vers le mal.</p>
<p>Un saint père raconte qu’il y a trois volontés qui gouvernent le monde et qui le modèlent. La volonté de Dieu – toujours bonne, toujours prête à sauver ; mais Dieu n’essaye pas de nous envoûter ou de nous contraindre. Saint Maxime de Confesseur dit que Dieu peut tout faire sauf nous obliger à L’aimer, parce que l’amour est un libre don de soi.</p>
<p>Mais il y a une autre volonté, satanique, une volonté sombre, toujours destructrice, toujours orientée vers le mal, cherchant à nous détruire et à travers nous, à détruire les autres et à s’opposer à Dieu et à Sa providence sur terre. Satan nous promet tout, Satan nous envoûte, Satan nous attire à lui, et à chaque fois il nous ment. Et à chaque fois que nous l’avons écouté et que nous nous rendons compte qu’il nous a menti, il nous murmure encore : « si tu t’étais enfoncé plus dans le péché, avec plus d’ardeur, tu aurais obtenu ce que je t’avais promis » ; nous attirant ainsi de plus en plus profondément dans la fosse.</p>
<p>Et entre ces deux volontés, il y a la volonté humaine. Elle peut s’allier à la volonté divine qui s’offre à nous ou à celle de Satan qui veut nous emprisonner et nous entraîner dans la mort éternelle. De nos choix dépend ce qui se passe sur terre.</p>
<p>Et tout cela provient pour l’essentiel de notre morcellement intérieur, de l’obscurcissement de notre discernement et de notre cœur (souvenez-vous des paroles du Christ : « Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu »), des hésitations de notre volonté, qui n’est pas stable parce que nous n’offrons pas entièrement notre cœur à Dieu, à notre prochain, parce que nous ne l’ouvrons pas entièrement à la beauté et à la vérité, mais nous n’en consacrons que quelques parcelles aux valeurs véritables. Voilà en quoi consiste notre dilemme. Et c’est par là qu’il faut commencer notre réconciliation. Par réconciliation, je ne dis pas qu’il faut se satisfaire de l’état dans lequel on est, mais au contraire faire l’effort de changer pour se réconcilier avec Dieu, son prochain et refaire l’unité en soi. Voilà à quoi il faut être très attentif.</p>
<p>Puisque l’on parle de la confession, il serait bon de se souvenir de ce qu’elle représentait dans les premiers siècles. La confession sous la forme actuelle n’existait pas alors. Chez l’apôtre Jacques, on trouve : « Confessez donc vos péchés les uns aux autres, et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. La prière fervente du juste a un grand pouvoir ». (Jq 5,16) Dans les premiers siècles cela se passait comme cela. On ne confessait pas toutes sortes de petits péchés, mais il y avait trois grandes catégories de péchés qu’il fallait absolument confesser avant d’être réconcilié avec Dieu.</p>
<p>En premier – l’apostasie, ce qui consiste à renier Dieu et le Christ ; qu’il ne faut pas comprendre comme un simple changement d’opinion sur l’existence de Dieu, mais comme un signe caractéristique de haine. Renier Dieu, renier un homme signifie que l’on considère qu’il ne représente rien pour moi, que s’il n’existait pas je continuerai de vivre et de me réjouir de la vie. C’est le premier des péchés fondamentaux. Et ne pensez pas que cela concerne que les prises de positions publiques ou ceux qui vivent leur vie sans Dieu. On commet ce péché constamment : à chaque fois que nous avons le choix entre la lumière et les ténèbres et que nous choisissons les ténèbres, nous disons à Dieu : « je préfère les ténèbres à Ta lumière ». C’est très grave et il ne faut pas le prendre à la légère. Il ne suffit pas de dire en confession que l’on a pas agi comme il faut, pas dit ce qu’il faut, pas pensé ce qu’il faut, pas ressenti ce qu’il faut ; il faut mesurer ce que cela implique dans nos rapports avec Dieu.</p>
<p>Le deuxième – le meurtre, devait absolument être confessé. Il est par essence équivalent à l’apostasie, affirmant que quelqu’un est gênant ou inutile sur terre, c’est fondamentalement de la haine pour l’homme. Bien sûr, nous ne sommes pas des meurtriers, nous n’avons tué personne, n’est-ce pas ? Mais ne sommes nous pas semblables à Caïn le premier meurtrier à chaque fois que nous pensons : « Ah, comme cela serait bien si cet homme là n’existait pas. S’il pouvait périr ! ». Qui d’entre nous peut dire qu’il n’a jamais pensé cela à propos de quelqu’un qui lui était insupportable. Que le monde serait mieux sans lui. Et pourquoi existe-t-il ? Et pourquoi Dieu l’a-t-Il créé ? Pourquoi a-t-il croisé ma route, pourquoi est-il entré dans ma vie ? C’est exactement la pensée de Caïn le premier meurtrier.</p>
<p>Et pour finir le troisième péché – l’adultère. L’adultère salit et détruit l’amour qui existe déjà ; que ce soit un amour timide, un amour moribond, mais comme une bougie dans la nuit, cet amour est une lumière qui luit faiblement et quelqu’un l’a éteinte. Les saints pères disent aussi que l’adultère commence au moment où nous tournons notre cœur vers la matière en le détournant de Dieu, le Créateur de cette matière ; c’est le moment où nous détruisons notre amour pour Lui, le moment où nous le rendons impur.</p>
<p>Voilà, ce sont ces trois péchés, qui tous disent que l’on n’aime pas Dieu, que l’on n’aime pas son prochain, que l’on ne croit pas à l’amour, qu’il fallait dans les premiers siècles confesser publiquement devant l’Église. Parce qu’on ne pouvait pas appartenir à l’Église si on avait renié Dieu, son prochain et l’amour.</p>
<p>Vous vous demandez sans doute comment cela se passait ? Quels pouvaient bien être les rapports entre les gens après de telles confessions ? Si de telles confessions avaient lieu aujourd’hui, nos rapports s’en trouveraient certainement très perturbés. Mais il faut se rappeler qu’en ces temps là, l’Église était persécutée et que pour devenir chrétien, il fallait faire un choix entre le Christ et tout le reste ; pas simplement entre la loi impériale et la foi, mais entre la foi et ses proches. Quand on apprenait que quelqu’un était chrétien, ses amis, son père, sa mère, son mari, sa femme, ses enfants pouvaient le dénoncer ; il était alors torturé et mis à mort. Et c’est pour cela que chaque membre de la communauté chrétienne savait que les autres membres étaient ses proches véritables. Rien ne les rassemblait d’un point de vue humain : ils parlaient des langues différentes, ils provenaient de cultures différentes, ils étaient de couleurs différentes et de milieux sociaux différents ; ces hommes ne se seraient jamais croisés, parlés, touchés dans la vie courante. Mais assemblés dans l’église, ils savaient que le Christ les avait réunis et qu’ils étaient un dans le Christ ; le monde entier pouvait être contre eux, chacun était là au nom du Christ ; ils étaient réunis par la foi, la fidélité au Christ et leur amour pour Lui. C’est pourquoi ils pouvaient ouvrir leurs cœurs les uns aux autres, exposer devant les autres les méandres les plus profonds de leurs âmes sachant que chacun recevra cette confession avec compassion, mais sans dégoût ; que ce sera la souffrance de tout le corps sachant qu’un seul de ses membres est blessé, se gangrène et meurt. C’était possible alors, en ce temps là l’assemblée des fidèles était capable de porter par amour les péchés de chacun de ses membres, de les guérir non par un amour sentimental en disant « ce n’est rien, ça va passer » ; mais de les guérir avec horreur devant le péché, avec une horreur profonde, mais une horreur pleine de compassion, avec la véritable conscience que ce péché est terrible et qu’il faut sauver cet homme de la mort éternelle, pas seulement d’un malheur passager. La question n’était pas de soulager l’existence de quelqu’un, mais de le guérir.</p>
<p>Aujourd’hui cet état d’esprit a disparu, une telle pratique est devenue impossible ; pourquoi ? Parce que ce n’est plus seulement le Christ qui nous lie, nous sommes liés par la culture, la langue, le milieu social, nos histoires personnelles – beaucoup de choses nous lient qui ne sont pas du domaine de l’Église. Quand je parle de l’Église, je ne parle pas du lieu mais l’organisme divino-humain : complètement divin par le Christ, par l’Esprit-Saint et par le Père, et complètement humain par le Christ de nouveau et par nous-mêmes. Il y a deux vies en nous, nous sommes divisés à l’intérieur de nous-mêmes, nous sommes fendus comme une bûche ; nos attachements nous privent de cette liberté intérieure venant du Royaume dont jouissaient les premiers chrétiens. Si certains d’entre eux étaient des esclaves par leur condition sociale, ils étaient libres en Christ et par le Christ.</p>
<p>C’est pourquoi cette sorte de confession publique, déchirante et source de guérison, était alors possible et qu’elle ne l’est plus aujourd’hui. C’est inquiétant du point de vue de la confession, ça l’est encore plus en ce qui concerne nos rapports mutuels. Avec quelle timidité nous nous avouons nos péchés ! Comme nous sommes effrayés à l’idée que quelqu’un, même un proche qui nous aime, apprenne l’homme que nous sommes en réalité ! Cela veut dire que la destruction est de plus en plus profonde, que la gangrène s’insinue profondément en nous, détruisant non seulement nos relations en Christ, mais nos relations tout court.</p>
<p>Nous terminerons ici notre première discussion ; nous allons maintenant entamer une période de silence. Je voudrai que vous vous interrogiez sur chacun des points que j’ai évoqués, que vous les examiniez non d’un point de vue philosophique, mais comme une question qui se pose à chacun d’entre nous individuellement et y répondiez en conscience face à Dieu, face au prochain. Le silence doit être total ; si cela vous parait trop difficile, sortez, allez vous promener ; le silence dans l’église doit être total, parce que ceux qui veulent rentrer en silence dans leur vie et contempler leur âme, leur destin, leur vie, leur Dieu doivent pouvoir le faire sans être dérangés.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Note</h4>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Le-but-de-la-confession-et-l-essence-du-p%C3%A9ch%C3%A9-1/2#rev-pnote-90-1" id="pnote-90-1">1</a>] Première des deux discussions que Mgr Antoine (Bloom) a eues avec ses paroissiens le 30 décembre 1989 lors d’une veillée de préparation à la confession avant la fête de Noël. Dans la pratique paroissiale de Mgr Antoine, à l’occasion des fêtes de Pâque et de Noël, on consacrait une journée entière à des discussions spirituelles, suivies de temps de réflexion silencieuse, de prière personnelle et qui se terminaient par une confession qui avait lieu en commun.</p></div>
Grand carême - dimanche de sainte Marie l'Égyptienneurn:md5:000d0dfcdde0fe8991f9e670a0e6e1772013-04-20T06:00:00+02:002013-04-20T08:46:45+02:00nkGrand Carêmecombat spiritueldéificationGd carêmepraxisrepentir <p><a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Icones/Marie_l_Egyptienne_Ouspensky.jpg" title="Ste Marie l'Égyptienne"><img src="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Icones/.Marie_l_Egyptienne_Ouspensky_s.jpg" alt="Ste Marie l'Égyptienne" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="Ste Marie l'Égyptienne " /></a>
Extrait de l’introduction écrite par le hiéromoine Nicolas Molinier pour sa traduction de la <strong>Vie de Ste Marie l’Égyptienne composée par Sophrone archevêque de Jérusalem</strong>, et éditée par <a href="http://monastere-stantoine-legrand.blogspot.fr/" hreflang="fr">le monastère St Antoine-le-Grand</a>. Vous trouverez le texte intégral de l’introduction <a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#VMME" hreflang="fr" title="Introduction à la vie de Ste Marie l'Égyptienne">ci-dessous</a> et la vie de Ste Marie l’Égyptienne composée par le patriarche Sophrone <a href="http://www.pagesorthodoxes.net/saints/marie-egyptienne.htm" hreflang="fr" title="Vie de Ste Marie l’Égyptienne composée par le patriarche Sophrone">ici</a>.</p>
<blockquote><p>La Sagesse utilise au profit de l’homme jusqu’à son péché. Dieu guérit du péché en le laissant agir, cette tactique est mise en œuvre dans la passion du Fils. Les circonstances de sa mort furent toutes déterminées par le péché des hommes. Jésus s’est librement livré aux mains des pécheurs et des impies, et ceux-ci ont fait de Lui ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que la mort a été prise au piège, que l’enfer a englouti Celui qu’il ne pouvait retenir captif, et a été contraint par la Sagesse divine de libérer ceux qu’il tenait enchaînés. Dieu a utilisé le péché, qu’il n’a certes pas voulu, pour que son Fils bien-aimé aime comme personne n’a jamais aimé car il conduit inéluctablement le pécheur à la ruine.</p></blockquote>
<h4>Textes du triode</h4>
<p><strong>Tropaire de sainte Marie l’Égyptienne - ton 8</strong></p>
<blockquote><p>En toi mère fut sauvée précisément * la ressemblance à l’image * Car tu as pris la croix, tu as suivi le Christ * et tu a enseigné par tes actes * à surmonter la chair car elle passe * et à veiller à la cause immortelle de l’âme * Avec les anges sainte Marie se réjouit ton esprit.</p></blockquote>
<p><strong>Kondakion de sainte Marie l’Egyptienne, ton 3</strong></p>
<blockquote><p>Autrefois tu étais pleine de toutes les prostitutions * Mais aujourd’hui par le repentir tu es devenue l’épouse du Christ * désirant la vie des anges * et foulant les démons par la force de la Croix * glorieuse Marie, épouse du Royaume.</p></blockquote>
<h4>Lecture de l’épître du saint apôtre Paul aux Hébreux</h4>
<p><em>(Hb IX,11-14)</em></p>
<p>Frères, le Christ a paru comme grand prêtre des biens à venir, il a traversé un tabernacle plus grand et plus parfait, celui qui n’est pas fait de main d’homme, c’est-à-dire qui n’appartient pas à cette création, et ce n’est pas avec le sang des boucs ou des jeunes taureaux, mais avec son propre sang, qu’il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire, nous ayant acquis l’éternelle rédemption. Si le sang des taureaux et des boucs, si la cendre des génisses, en effet, sanctifient par leur aspersion ceux qui sont souillés et leur procurent la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ, qui par l’éternel Esprit s’est lui-même offert à Dieu comme victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience de ses œuvres de mort, pour nous permettre de rendre un culte au Dieu de vie !</p>
<h4>Lecture de l’Évangile selon Saint Marc</h4>
<p><em>(Mc X,32-45)</em></p>
<p>En ce temps-là, les disciples étaient en chemin pour monter à Jérusalem, et Jésus allait devant eux. Ils étaient troublés, et le suivaient avec crainte. Et Jésus prit de nouveau les douze auprès de lui, et commença à leur dire ce qui devait lui arriver : « Voici, nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux principaux sacrificateurs et aux scribes. Ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux païens, qui se moqueront de lui, cracheront sur lui, le battront de verges, et le feront mourir ; et, trois jours après, il ressuscitera. »<br />
Les fils de Zébédée, Jacques et Jean, s’approchèrent de Jésus, et lui dirent : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. » Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » « Accorde-nous, lui dirent-ils, d’être assis l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, quand tu seras dans ta gloire. » Jésus leur répondit : « Vous ne savez ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je dois boire, ou être baptisés du baptême dont je dois être baptisé ? » « Nous le pouvons, dirent-ils. » Et Jésus leur répondit : « Il est vrai que vous boirez la coupe que je dois boire, et que vous serez baptisés du baptême dont je dois être baptisé ; mais pour ce qui est d’être assis à ma droite ou à ma gauche, cela ne dépend pas de moi, et ne sera donné qu’à ceux à qui cela est réservé. »<br />
Les dix, ayant entendu cela, commencèrent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela, et leur dit : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands les dominent. Il n’en est pas de même au milieu de vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. »</p>
<h2><a name="VMME"></a>Vie de Sainte Marie L’Égyptienne</h2>
<h3>Vie dans le péché</h3>
<h4>La racine du péché</h4>
<p>« Du vivant de mes parents, à douze ans accomplis, je rejetai toute tendresse à leur égard et me rendis à Alexandrie… ». Cette affirmation initiale n’est simple qu’en apparence. La confession de sainte Marie l’Égyptienne nous introduit en fait au cœur de cette énigme qu’est le péché en l’homme. La mention des « douze ans accomplis » n’est pas fortuite. Cet âge est celui d’un changement de statut social. L’enfant n’est plus considéré comme tel sans pour autant jouir de la totalité des prérogatives de l’adulte. Comme tous les changements, tous les passages de la vie sociale, l’acquisition d’une liberté neuve mais limitée est l’occasion d’une crise qui affecte non seulement l’adolescent mais aussi son milieu. Celui-ci doit désormais le reconnaître à la fois comme identique et différent.<br />
La mention de l’âge de douze ans renvoie aussi le lecteur au passage évangélique ou Jésus, à douze ans précisément, laisse s’éloigner ses parents sur le chemin de Nazareth, tandis qu’il demeure dans le temple de Jérusalem assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant : il doit être aux affaires de son Père<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-1" id="rev-pnote-88-1">1</a>]</sup>.<br />
Cette affirmation d’autonomie de la part d’un adolescent qui assume sa vocation est uniquement l’expression de sa volonté d’acquiescement au vouloir divin. Ce n’est en rien une rupture violente par rapport au milieu familial. Jésus accomplit toute la Loi, bien plus, en sa personne, il est la Loi. Il ne peut y avoir en Lui d’opposition entre le premier commandement du Décalogue et le cinquième : « honore ton père et ta mère »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-2" id="rev-pnote-88-2">2</a>]</sup>. Il est inséparablement la Gloire du Père qui l’a engendré avant les siècles et la Gloire et la fierté de tout Israël. Plus il est aux affaires de son Père et plus il est l’honneur de sa mère et de toute la lignée de David : « bienheureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-3" id="rev-pnote-88-3">3</a>]</sup>.<br />
La péricope évangélique à laquelle nous nous référons montre que la prise de distance de Jésus n’est pas une rupture haineuse. C’est bien plutôt une conséquence de la mission confiée par le Père : la soumission qu’il doit à ses parents se situe à l’intérieur du cadre plus vaste de son acquiescement au vouloir divin. Elle en est l’icône. Marie, ainsi éclairée sur la profondeur de la relation qui l’unissait à son fils dans l’ordinaire de la vie quotidienne, gardait tout cela et le méditait dans son cœur. Dès lors, il leur était soumis, et cette soumission était la plus haute expression de sa liberté.<br />
Marie l’Égyptienne a pris un parti bien différent. « A douze ans accomplis, je rejetai, dit-elle, toute tendresse à l’égard de mes parents ». A la lumière du passage évangélique que nous venons de citer, il est aisé de comprendre la nature réelle de cette révolte. La racine de son péché est une rébellion profonde, non dite. Entrant dans l’âge adulte, elle ne remet pas sa jeune liberté à l’Auteur de la liberté pour acquérir une liberté plus grande. Elle ne veut pas comprendre qu’on ne possède réellement que ce que l’on a offert et que le mystère de l’obéissance oblative régit la vie trinitaire toute entière. Elle s’empare du privilège qui lui a été accordé, s’en fait la propriétaire. Elle use contre le Créateur lui-même de cette liberté qu’il lui a concédée et qui la constitue comme image de Dieu. Par cet acte intérieur de convoitise au sens biblique et patristique, elle s’interdit l’action de grâces et rejette de fait le premier et le plus grand des commandements. Ainsi : «  Nos pères ont tous été sous la nuée… cependant ce n’est pas le plus grand nombre qui plut à Dieu… ces faits se sont produits pour nous servir d’exemples, pour que nous n’ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-4" id="rev-pnote-88-4">4</a>]</sup><br />
Elle se rend ainsi incapable d’accomplir celui qui le suit immédiatement et qui commande d’honorer son père et sa mère. Elle renie toute paternité divine, toute confession de la divine Providence, elle apostasie et renonce à entendre l’appel à la sainteté. Séparée de Dieu, elle perd logiquement toute tendresse pour ses parents : elle se coupe de la communauté humaine en laquelle sa vie prend son sens. Elle veut être l’unique artisan de sa propre aventure. Coupée de son histoire et de toute solidarité, elle est désormais seule. Elle n’est plus une personne mais un individu séparé. Elle a voulu ravir la liberté mais, dans cet effort illusoire et ruineux, elle n’a acquis qu’une pernicieuse autonomie.<br />
On comprend ainsi que le péché de Marie l’Égyptienne n’est pas d’abord la violation de l’ordre moral ou social, mais bien une rupture de la communion avec Dieu qui la livre à elle-même, abandonnée à ses propres forces.</p>
<h4>La révolte</h4>
<p>Le péché en sa racine, cet état pécheur intérieur, donne naissance au multiples rejetons que sont les actes peccamineux. Ayant renoncé à rendre un culte au vrai Dieu, Marie l’Égyptienne n’en reste pas moins une créature spirituelle destinée à l’adoration, même si elle le refuse. La perversité de son intention l’amène donc à s’adorer elle-même. Désormais elle rend un culte à sa chair ou plutôt, par elle, recherche l’ivresse du plaisir, pauvre substitut à la béatitude promise aux serviteurs de Dieu. Renonçant à la dépossession de l’amour, elle s’abandonne à la possession du plaisir. « Satisfaire en tout temps le mouvement passionné de la nature, voilà ce qui faisait ma vie et en réglait la conduite ».<br />
Marie l’Égyptienne menait donc une lutte incessante. Car le plaisir voulu pour lui-même est, au moins dans les commencements, à la fois violent et fugitif. Mais au fil du temps, il perd de son intensité. La passion devient frustrante, elle requiert, pour satisfaire une sensualité toujours plus exigeante, la réitération des actes et une perversité croissante. C’est ainsi que Marie l’Égyptienne, dans son expérience de l’athéisme, subit l’esclavage des sens et de la passion. Sous prétexte de l’exercice de sa liberté, elle est dépossédée d’elle-même. Elle perd toute pudeur, donne libre cours aux dépravations, et recherche un nombre toujours croissant de partenaires.<br />
On le voit, Marie l’Égyptienne expérimente l’enfer. Elle s’épuise dans une course effrénée contre la frustration que cette course même engendre. C’est ainsi que refusant le culte en esprit et en vérité qu’elle devait à Dieu, elle s’est de fait éloignée d’elle-même et est descendue par le péché au-dessous de sa nature. Dans son idolâtrie du plaisir sensuel elle est retournée à l’animalité. « L’envie insatiable, l’irrépressible amour de me rouler dans la fange me possédait ». Sans s’en rendre compte, à ce jeu, Marie l’Égyptienne s’est désagrégée. Son corps n’est plus elle-même mais seulement l’instrument de son désir. Elle en fait ce qu’elle veut. Elle le possède comme un objet: « J’ai un corps, dit-elle, ils le prendront pour prix de la traversée ».</p>
<h4>Haine et envie</h4>
<p>Mais les dommages qu’elle subit sont plus graves encore. Saint Sophrone nous montre Marie l’Égyptienne non seulement comme un animal, mais aussi comme un démon. Elle est devenue « le vase d’élection du diable » et, comme son maître, elle « rôde cherchant qui dévorer »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-5" id="rev-pnote-88-5">5</a>]</sup>. Elle fait entrer en tentation, et ses procédés sont rigoureusement identiques à ceux du Mauvais qui l’inspire.<br />
Tout commence par une sorte de liaison, Marie l’Égyptienne fait irruption, puis prononce des propos indécents, et enfin, pousse à rire. Après avoir obtenu ce premier accord non explicite, il est aisé de passer à l’acte. Cependant cette première victoire ne saurait la satisfaire. Ayant acquis par elle quelque emprise, la voici qui enseigne de nouvelles perversions, faisant expérimenter d’autres plaisirs. Ceux qui ont été attirés sont désormais subjugués et c’est ainsi que ces malheureux en viennent à se laisser contraindre à faire même ce qu’ils ne veulent pas. Ils sont réduits à un véritable esclavage. La servante du démon leur apparaît désormais comme un maître tyrannique.<br />
Toute cette stratégie de Marie l’Égyptienne est au service d’une haine et d’une envie dont les raisons sont multiples, mais dont la première est sans doute, paradoxalement, son impuissance. Les hommes lui sont nécessaires pour assouvir sa passion, mais quel n’est pas son dépit de se voir dépendante du vouloir d’autrui, elle qui revendique sa totale libération. La nécessité où elle est de devoir séduire est le signe de sa faiblesse. Elle ne peut rien contre ceux qui ne lui cèdent pas ou même qui ne lui prêtent pas attention. Elle en vient seulement à être « offerte au peuple comme un combustible disponible à tous pour le feu de la débauche ».<br />
Mais sa haine des hommes s’accroît aussi, et peut-être surtout, parce qu’il subsiste en elle, et sans qu’elle se l’avoue, la nostalgie de la beauté spirituelle à laquelle elle a volontairement renoncé : elle veut « piéger l’âme des jeunes gens », comme si cette capture lui fournissait un aliment nécessaire. Elle mène l’existence misérable et pathétique d’un être déchiré entre l’attrait de la Beauté et l’incapacité d’y consentir. Marie l’Égyptienne fait l’œuvre du diable, lui qui « est homicide dès le commencement…, menteur et père du mensonge »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-6" id="rev-pnote-88-6">6</a>]</sup>.</p>
<h3>La vie de pénitence</h3>
<h4>La conversion</h4>
<p>« A ce qu’il me semble, Dieu voulait mon repentir, il ne veut pas la mort du pécheur, il attend patiemment et accueille de grand cœur la conversion ». La conversion de sainte Marie l’Égyptienne a pour cause première la volonté divine. Dieu agit avec elle comme il a agi à l’égard de son peuple. Il a pour elle une patience qui est à la fois pitié, fidélité, tendresse. Sa pitié à l’égard de Marie l’Égyptienne est une bienveillance gratuite : il s’incline, consent, attend, se fait discret. Mais cette pitié s’accompagne de son irrévocable fidélité : jamais Dieu notre Père ne renonce à son dessein de salut. De cette manière se déploie une mystérieuse tendresse que la Bible n’hésite pas à qualifier de maternelle. Nul ne peut désespérer car son être même est inscrit dans la mémoire de Dieu : « Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t’oublierai pas »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-7" id="rev-pnote-88-7">7</a>]</sup>.<br />
Mais il ne faudrait pas se laisser leurrer par le terme de tendresse que nous venons d’employer. Il ne s’agit en aucun cas d’un sentiment doucereux. La tendresse divine ne s’exerce qu’en vue du repentir<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-8" id="rev-pnote-88-8">8</a>]</sup>. <strong>La Sagesse utilise au profit de l’homme jusqu’à son péché. Dieu guérit du péché en le laissant agir, cette tactique est mise en œuvre dans la passion du Fils. Les circonstances de sa mort furent toutes déterminées par le péché des hommes. Jésus s’est librement livré aux mains des pécheurs et des impies, et ceux-ci ont fait de Lui ce qu’ils ont voulu. C’est ainsi que la mort a été prise au piège, que l’enfer a englouti Celui qu’il ne pouvait retenir captif, et a été contraint par la Sagesse divine de libérer ceux qu’il tenait enchaînés. Dieu a utilisé le péché, qu’il n’a certes pas voulu, pour que son Fils bien-aimé aime comme personne n’a jamais aimé car il conduit inéluctablement le pécheur à la ruine.</strong> L’homme découvre ainsi le tort qu’il se fait en ne suivant que son désir. Toute l’histoire du peuple d’Israël suit cette logique, elle est rythmée par la célébration de l’alliance à laquelle succède l’infidélité du peuple de Dieu et l’effondrement historique lié à ce péché. Le retour au Dieu sauveur est l’inéluctable conséquence du désastre. La célébration du renouvellement de l’Alliance inaugure une période de restauration.<br />
C’est ainsi que Marie l’Égyptienne par l’impossibilité où elle est d’entrer dans le temple pour vénérer la divine et vivifiante Croix, instrument du salut universel, est mise en face de son excommunication de fait. Elle seule est empêchée et repoussée dans le parvis de l’église où elle ne peut que se réfugier dans un coin, symbole de l’impasse où elle s’est fourvoyée. Il faut du temps à notre héroïne pour comprendre que cette impossibilité ne vient pas de quelque faiblesse physique qui l’affecterait. Elle ne saurait en dire plus, incapable de connaître la cause de l’enfer qu’elle expérimente. Elle est une énigme pour elle-même, accablée par son effondrement : « J’en étais découragée, je n’avais plus de force, mon corps était brisé ». C’est par pure grâce que lui seront accordés les prémices du salut. « Le Verbe Sauveur toucha les yeux de mon cœur me montrant que c’était la fange de mes actions qui me fermait l’entrée ». Le Christ vient briser les verrous qui la tenaient captive en les exposant en pleine lumière. La voilà désormais libre.<br />
La Lumière de l’Esprit-Saint inaugure en elle un saint deuil. « Je commençais à pleurer, à me lamenter, à me frapper la poitrine en gémissant du fond du cœur ». Cette manière de parler n’est pas un artifice littéraire tout oriental. C’est bien plutôt la description d’un enchaînement spirituel logique dans le processus d’une pénitence authentique. L’irruption de l’Esprit a provoqué le brisement du cœur dont les larmes sont le signe. Les lamentations sont celles-là même d’Adam qui se voit désormais soumis à une condition mortelle, mais bien plus encore celles que l’on fait sur le cadavre que l’on est devenu.<br />
Mais dans le même temps, ces larmes de componction se mêlent aux eaux vives de l’Esprit qui jaillissent en vie éternelle. C’est pourquoi lorsque Marie l’Égyptienne se frappe la poitrine, elle confesse qu’elle est pleinement responsable.<br />
Elle désigne son cœur, non seulement comme la source véritable de ses iniquités, mais aussi comme le lieu où s’accomplit l’œuvre de l’Esprit. Le gémissement qu’elle ne peut s’empêcher de pousser est l’expression de son espérance contre toute espérance, appel inarticulé à la miséricorde divine.<br />
L’action bouleversante du Sauveur qui envoie l’Esprit, l’Illuminateur, donne à Marie l’Égyptienne, dans l’impasse de sa solitude, les larmes du repentir. Mais ce n’est qu’un don préparatoire. A travers ces larmes qui lavent son regard, elle peut désormais discerner dans l’icône de la Mère de Dieu le signe de sa présence compatissante. Dès lors, et c’est là le véritable bien spirituel, celle qui est maintenant une pénitente peut confesser explicitement sa faute à la Toute Pure. Retrouvant la parole, elle peut conclure avec elle un pacte, une alliance, où elle offre son propos de conversion contre l’assurance d’être secourue.<br />
Et la montée vers la Lumière se poursuit. Tout lui est désormais montré puisqu’elle accueille « le feu de la foi comme quelque chose de certain ». Les portes de l’Église, lieu du salut, lui sont ouvertes. Guidée par l’Esprit, elle peut voir le Bois vivifiant, la Croix du Fils, et comprendre comment le Père attend le repentir des pécheurs : « Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions par Lui justice de Dieu »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-9" id="rev-pnote-88-9">9</a>]</sup>. Elle contemple Jésus qu’elle persécute et comprend le mystère de la divine Économie.<br />
On aurait tort de croire qu’il s’agit là seulement d’une saisie purement intellectuelle. Les verbes grecs employés désignent tous une connaissance impliquant une participation. Marie l’Égyptienne communie de tout son être de pécheresse pardonnée à l’amour qui la sauve.<br />
Dans le mouvement même de la charité retrouvée, elle s’incline devant tous. Son péché n’a pas seulement été un refus du Ciel. Il fut tout autant une injure à la terre. De là provient son étonnement : « Comment la terre n’a-t-elle pas ouvert la bouche et fait descendre en enfer toute vivante celle qui prenait tant d’âmes dans ses pièges ?  ». Elle comprend que tout a été créé pour elle et que, se détournant de sa vocation, elle a privé la création de son sens. Elle est coupable de tout devant tous. C’est pourquoi en signe de repentir, elle s’abaisse et vénère cette terre sanctifiée par les pas du Sauveur et qu’elle a offensée.<br />
Dès lors, remplie d’action de grâces, elle retourne en hâte vers l’icône de la Mère de Dieu pour apprendre d’elle ce qu’il lui convient désormais de faire. La vérité de la conversion de sainte Marie l’Égyptienne se reconnaît à son obéissance exemplaire. L’obéissance de sainte Marie l’Égyptienne est un sacrifice, dont le prototype est celui qu’accomplit naguère Abraham offrant à Dieu pour l’holocauste l’objet même de la Promesse : Isaac, son fils. Et dont la source et l’accomplissement parfait se trouvent dans le sacrifice rédempteur du Fils unique : Lui qui « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit lui-même… obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-10" id="rev-pnote-88-10">10</a>]</sup> résolu de sa volonté propre sur l’autel de la Foi. Elle consiste d’abord en une attitude intérieure d’écoute attentive de la volonté divine, accompagnée d’une imploration sincère pour avoir la force de la mettre en pratique. L’action en découle naturellement. L’obéissance s’accomplit dans la foi, sans tergiversation inutile, et de façon décidée.<br />
Le sacrifice de sainte Marie l’Égyptienne est accepté par Dieu. Réconciliée, elle est réintégrée dans la solidarité humaine : quelqu’un ayant vu son dénuement lui fit l’aumône de trois pièces de monnaie. Elle fait partie désormais de ces pauvres que Dieu aime et qui reçoivent tout de Lui. Elle comprend que ce qui est donné par charité est icône du don permanent que Dieu fait de lui-même. « J’emportai l’offrande qui m’était faite et j’achetai grâce à elle trois pains que je considérais comme un viatique de bénédiction ».</p>
<h4>Une vie de pénitence</h4>
<p>Parvenue au bord du Jourdain, Marie l’Égyptienne inaugure son existence nouvelle par un acte liturgique, une célébration de l’Alliance. Priant dans le sanctuaire de saint Jean le Baptiste, elle communie à la Parole du prophète : « Préparez le chemin du Seigneur… toute chair verra le salut de Dieu… produisez donc de dignes fruits du repentir… »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-11" id="rev-pnote-88-11">11</a>]</sup>. Puis elle accomplit la parole : baignant ses mains dans l’eau du fleuve elle reconnaît que son péché n’est pas une simple faute morale que l’on pourrait oublier mais bien une blessure qui doit être purifiée et guérie.<br />
Mais, elle ne baigne pas seulement ses mains, elle plonge aussi son visage dans l’eau sanctifiée par Celui qui, pur de tout péché, daigna y être baptisé. Elle laisse ainsi s’exprimer son désir de recouvrer sa beauté spirituelle. Dès lors, elle peut communier au corps très pur et au sang précieux du Seigneur Jésus. Elle s’expose à l’action salvatrice du Fils de Dieu et redevient temple du Saint-Esprit. Ainsi s’accomplit la prophétie que le prophète Malachie adressait au peuple d’Israël : « Il entrera dans son sanctuaire le Seigneur que vous cherchez; et l’ange de l’alliance que vous désirez, le voici qui vient! dit le Seigneur Sabaot.. Il est comme le feu du fondeur et la lessive des blanchisseurs. Il siégera comme fondeur et nettoyeur Il purifiera les fils de Lévi et les affinera comme or et argent. Alors l’offrande de judas et de Jérusalem sera agréée de Yahvé comme aux jours anciens »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-12" id="rev-pnote-88-12">12</a>]</sup>.<br />
Ayant fait de Dieu son abri, elle demeure dans le monde comme n’en étant pas. Elle communie au Christ Sauveur et l’Esprit la pousse au désert, lieu de l’union transformante. Elle s’abandonne à l’action de Celui qui est seul à connaître et la profondeur de son cœur et l’étendue de son mal. Elle comprend et accepte que l’œuvre de sa régénération, déjà acquise en Dieu, ne s’accomplisse que progressivement puisqu’elle est encore dans le temps. Dans son obéissant désir, franchissant le Jourdain, elle fera l’expérience de la vie pénitente. Elle s’avance donc hardiment dans le feu du désert.<br />
Dépouillée de tout appui humain, solitaire dans un milieu hostile, Marie l’Égyptienne voit inexorablement diminuer le peu d’autosuffisance qu’elle possède encore : les pains qu’on lui a offerts s’épuisent et le vêtement qu’elle porte s’use. La voici réduite à ne devoir sa subsistance qu’aux herbes du désert et à vivre nue. Sans abri, elle fait l’expérience de la vie de pauvre qui lui rappelle sans cesse et sa fragilité et sa dépendance. Elle n’a d’espérance qu’en Dieu seul. Elle comprend qu’Il élève les humbles. Elle grandit dans la Foi. Elle accepte de demeurer volontairement immobile sous l’action divine. Faisant taire tout raisonnement humain, elle a confiance. Sa vie présente en la chair, elle la vit dans la foi au Fils de Dieu<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-13" id="rev-pnote-88-13">13</a>]</sup>. Son existence dans ce lieu de mort et de désolation qu’est le désert est un miracle par lequel lui est donnée la crainte de Dieu. Il n’est pas ici question de peur mais plutôt du sentiment paradoxal de celui qui, tout en reconnaissant son néant, se sait aimé et garde fidèlement l’espérance d’être sauvé. L’authenticité de cette sainte crainte est vérifiée par l’obéissance : Dieu dit à Abraham :« je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils unique »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-14" id="rev-pnote-88-14">14</a>]</sup>. Ainsi, espérance, foi, crainte de Dieu et obéissance sont les multiples aspects d’une attitude unique qui ne dit pas encore son nom et qui n’est rien d’autre que la charité.<br />
Dans cette synergie avec Celui qui la conduit et la sauve, Marie l’Égyptienne est semblable à Israël au désert. La purification de son cœur a pour condition les contraintes de la vie risquée, mais elle ne s’accomplit que dans le combat contre les suggestions diaboliques. C’est pour cette lutte qu’elle a été conduite au-delà du Jourdain en ces contrées hostiles. Il faut que se révèlent au grand jour les puissances ténébreuses qui, bien que terrées depuis sa conversion, l’habitent encore après avoir régi sa vie. Elle les terrassera non par sa vigueur mais bien plutôt par sa faiblesse. Elle sera vainqueur par l’appui qu’elle prendra sur le Roc du Salut grâce à l’intercession de la Mère de Dieu. Prosternée à terre, elle obtient d’échapper au filet de l’oiseleur. Bien plus, par cette victoire qu’un Autre remporte pour elle, elle est transformée.<br />
Quand l’assaut des tentations met en demeure Marie l’Égyptienne de se jeter à terre, elle confesse par son attitude sa condition de créature égarée. Telle est son humilité. Elle s’offre ainsi, dans l’immobilité, à une mystérieuse Lumière qui vient d’en-haut par grâce et qui est tout autant la réponse du Père à sa détresse que l’action du Christ sauveur, Lumière du monde ou le don de l’Esprit, l’Illuminateur qui purifie de toute souillure. Cette épiclèse accomplit le renouvellement de son être.<br />
C’est ainsi que d’alliance en alliance, de hauteur en hauteur, Marie l’Égyptienne est guérie, purifiée, installée dans des dispositions stables pour la vie de charité, d’union à Dieu. Communiant au seul qui est Saint, elle n’a plus de vie, de repos qu’en Lui. Il est l’objet unique de son attention. Rien n’a d’intérêt qu’en Lui. Marie l’Égyptienne, pauvre de tout, riche de Dieu, recouvre sa virginité spirituelle et redevient elle-même, telle que Dieu l’a désirée avant la création du monde.<br />
Le temps passé au désert dans cette lutte spirituelle se compte en années. Dix-sept ans. Une durée égale à celle où elle a vécu dans la débauche.</p>
<h4>La vie en Dieu</h4>
<p>Marie l’Égyptienne entre dans ce que l’on peut considérer comme la troisième étape de sa vie spirituelle, si l’on peut employer ce langage. Purifiée par la solitude, la nudité, les dangers encourus, elle accepte de ne devoir son existence qu’à une grâce dont elle se sait indigne. Accoutumée à devoir supplier pour tout, elle vit pour Dieu et demeure en Lui. On n’insistera jamais trop sur le caractère concret de cette communion à Dieu dans laquelle progressivement elle se détourne de la préoccupation de soi et en vient à aimer Dieu pour Lui-même. Elle Lui parle dans la chasteté d’une charité véritable. Objet de la grâce divine, initiée à la communion avec Dieu, elle est le trésor que Dieu a caché au désert.<br />
Dans cet acte apparemment fou qui consiste à se renier soi-même aussi totalement, et qui devrait la conduire à une mort certaine, Marie l’Égyptienne trouve la vraie vie. Elle fait l’expérience de la foi et, par la foi, est introduite dans le mystère d’une existence eucharistique. Elle voit et comprend de quelle façon mystérieuse seule la bénédiction divine lui permet de subsister dans un monde si hostile. Elle habite un permanent miracle. Elle est tout entière revêtue de l’Esprit. Le Père qui la protège Le lui confère. L’Esprit l’inspire et la conduit à la Vérité tout entière. Par Lui, elle est initiée à la Parole de salut. Elle est introduite dans la connaissance des Écritures sans qu’elle ait jamais appris les lettres. Elle est théodidacte, enseignée par Dieu. Communiant à la Parole, Marie l’Égyptienne devient compagne de vie du Verbe de Vérité. Dans cette union mystique elle trouve désormais nourriture et protection. Dans la Présence du Père, elle est conduite par l’Esprit au Sauveur crucifié et glorifié, et reçoit de Lui, en retour, une participation accrue à la grâce de ce même Esprit-Saint. Prise ainsi entre les deux mains du Père, elle est le lieu docile où peut s’accomplir le désir divin exprimé dans le secret trinitaire: « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance »<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#pnote-88-15" id="rev-pnote-88-15">15</a>]</sup>. C’est ainsi que Marie l’Égyptienne vit dans la communion trinitaire dès ici-bas. En cette existence eucharistique, elle devient ce qu’elle contemple. Encore sur terre, elle ne vit que du Ciel. Elle confesse que la grâce de l’Esprit suffit à conserver dans son intégrité l’être de sa personne. Cependant comme son passage sur l’autre rive n’est pas encore accompli, elle reste affamée et assoiffée de la communion au corps même et au sang même de son Seigneur et Sauveur.<br />
Cet élan spirituel qui conduit Marie l’Égyptienne de commencements en commencements ne lui confère en rien l’assurance d’avoir gagné un havre de salut. Bien plutôt, malgré la permanence des prévenances divines, Marie l’Égyptienne demeure consciente de sa faiblesse. Elle sait que tout se joue dans le mouvement oblatif de sa liberté. Elle confesse sa condition de créature, poussière et cendre, pécheresse protégée par le rempart du Saint Baptême. Son identité profonde, même dans cet état spirituel élevé n’est jamais que celle d’une pécheresse pardonnée. C’est pourquoi elle se confie en tout à sa sainte protectrice, à Celle qui se porte garant de la vérité de sa conversion devant le Christ Sauveur. La très pure et toute bénie Mère de Dieu ne cesse de l’accompagner de sa sollicitude maternelle et de la conduire par la main sur le chemin étroit de l’obéissance aimante.<br />
Non contente d’implorer encore le secours du Ciel, elle supplie aussi abba Zossima qu’elle a rencontré par la volonté divine d’intercéder pour elle afin de trouver grâce au jour du jugement. Même ornée des charismes les plus étonnants, elle ne se considère pas comme spirituelle. Elle se tient devant Dieu et devant toute créature dans une pieuse crainte. Amenée par Dieu à confesser ses errements passés, elle redoute que cette évocation ne fasse resurgir malgré elle des tentations dont elle n’a sûrement pas l’orgueil de croire qu’elle peut les vaincre à nouveau. Elle craint parce qu’elle sait la Puissance du Malin, aussi habile à duper l’intelligence qu’à utiliser la mémoire : le récit de sa confession pourrait comporter des dangers tant pour elle que pour d’autres. Et sa délicatesse est telle qu’elle craint même, en faisant le récit de ses turpitudes, de salir l’air. Elle sait quel drame le péché des hommes constitue pour eux et quelle catastrophe il entraîne pour le cosmos.<br />
Qu’on n’aille pas cependant croire que Marie l’Égyptienne, vivant en Dieu, est en proie à une perpétuelle terreur. La crainte que nous venons d’évoquer s’exerce toujours dans le cadre de la communion aimante. Car si Marie l’Égyptienne, comme les trois jeunes gens dans la fournaise, vit consciemment au milieu des dangers, elle sait aussi quelles sont ses armes de salut. Outre la protection de sa Garante, elle est munie du signe de la divine et vivifiante Croix qu’elle a vénérée à Jérusalem. Par le signe de la croix, elle foule les flots du Jourdain pour aller communier à son Seigneur. Par le signe de la croix, elle scelle son front, sa bouche et sa poitrine pour les fermer à l’Adversaire. Par le signe de la croix elle connaît l’humble assurance de ceux qui sont sauvés par grâce.<br />
Ainsi donc communiant à Dieu, comme nous l’avons dit, elle a part à l’élan de l’Esprit vers le Père. Sa synergie aux gémissements ineffables de l’Esprit est telle qu’elle est soulevée de terre lorsqu’elle s’adresse à Dieu. L’ascèse du désert et la grâce divine ont rendu à son corps sa légèreté spirituelle, c’est pourquoi elle peut traverser le Jourdain en marchant sur les eaux. Sa douceur aux motions de l’Esprit, son ardente obéissance lui font parcourir en une heure la distance qu’abba Zossima mettra vingt jours à franchir.<br />
Mais le don de l’Esprit ne consiste pas seulement en cet accomplissement de sa personne. Cette perfection ne serait rien si elle n’était mise au service de la vocation de tout homme à entrer dans l’intimité divine. Tout ce travail solitaire de régénération trouve sa perfection dans le mouvement apostolique de son cœur. Marie l’Égyptienne mène une vie angélique, unissant étroitement le service de la liturgie céleste et celui de la divine philanthropie. L’amour de Dieu ne saurait se diviser, opposer le premier commandement au second. De fait, Marie l’Égyptienne a fait siennes les pensées et les volontés divines. C’est pourquoi, rencontrant abba Zossima, elle commence d’abord par s’inquiéter des affaires de l’Église, de l’empire, de la vie des chrétiens. Il ne s’agit pas là d’une vaine curiosité mondaine, mais du désir aimant de voir la paix divine s’étendre à toute créature.
Habitée par l’Esprit-Saint, elle a le cœur pur. Elle sonde les cœurs et les reins. Elle connaît les pensées cachées et perçoit chacun dans la lumière de Dieu. Sans l’avoir jamais rencontré, Marie l’Égyptienne connaît le nom et la dignité sacerdotale d’abba Zossima. C’est dire qu’elle a une juste perception du mystère de sa vocation personnelle. Elle peut contempler en lui le nom prononcé de toute éternité par le Père dans le sein de la sainte Trinité et qui le constitue. Elle voit la place assignée par Dieu à abba Zossima dans le corps du Christ qu’est l’Église et lui transmet avec autorité, de la part de Dieu, des recommandations et des directives. Cela ne l’empêche pas d’accepter de lui les services voulus par Dieu, et de donner tous les signes de la soumission à son autorité sacerdotale.<br />
Mais ce qui constitue son œuvre apostolique est bien moins ce qu’elle transmet de la part de Dieu, que son être même transfiguré par le don de Dieu et le récit des merveilles accomplies en sa faveur. Elle montre à abba Zossima qu’il est encore bien éloigné de la perfection mais surtout avive en lui le désir d’avoir part à l’Esprit qui confère un tel accomplissement et une telle beauté spirituelle.<br />
Après la mort de la sainte, et jusqu’à nos jours, beaucoup trouveront dans cette confession, mieux qu’un exemple, une assistance. Et cette aide, ce renouvellement de leur courage dans l’élan vers Dieu, les remplit d’étonnement et d’émotion de sorte qu’ils gardent toutes ces choses et les méditent dans leur cœur. Tel est le stade qui nous est ouvert maintenant.</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Notes</h4>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-1" id="pnote-88-1">1</a>] Lc 2, 41-52</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-2" id="pnote-88-2">2</a>] Dt 5, 6-22 ; Ex 20, 1-17</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-3" id="pnote-88-3">3</a>] Lc 11, 27</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-4" id="pnote-88-4">4</a>] 1Cor. 10, 10</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-5" id="pnote-88-5">5</a>] 1Pierre 5, 8</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-6" id="pnote-88-6">6</a>] Jn 8,44</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-7" id="pnote-88-7">7</a>] Is 49, 15</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-8" id="pnote-88-8">8</a>] Sag 11, 24</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-9" id="pnote-88-9">9</a>] 2Cor 5, 21</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-10" id="pnote-88-10">10</a>] Phil. 2, 68)</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-11" id="pnote-88-11">11</a>] Lc 3, 4-5 et 7</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-12" id="pnote-88-12">12</a>] Mal 3, 1-4</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-13" id="pnote-88-13">13</a>] cf. Gal 2, 20</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-14" id="pnote-88-14">14</a>] Gen. 22,12</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Grand-car%C3%AAme-dimanche-de-sainte-Marie-l-%C3%89gyptienne#rev-pnote-88-15" id="pnote-88-15">15</a>] Gen 1, 26</p></div>
Confession - les larmesurn:md5:ab21c4138030685dc08ac10d641b53802013-04-17T15:00:00+02:002013-04-17T15:00:00+02:00nkConfessionconfessionlarmesmystèrerepentir <p><a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Mysteres/Confession/confession.jpg" title="La confession Orthodoxe"><img src="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/public/Photos/Mysteres/Confession/.confession_s.jpg" alt="La confession Orthodoxe" style="float:right; margin: 0 0 1em 1em;" title="La confession Orthodoxe" /></a><em>Extrait de <strong>Le royaume intérieur</strong>, </em>Kallistos Ware<em> ; Éditions Cerf - Sel de la Terre, 1993.</em></p>
<p>L’expérience du repentir est vécue avec une force toute particulière dans le sacrement de la confession. Le sens de ce “mystère” est très bien résumé dans la brève exhortation que le prêtre adresse au pénitent dans le rite russe :</p>
<blockquote><p>Voici, mon enfant, que le Christ est présent de manière invisible pour recevoir ta confession : N’aie pas honte, ne crains pas, et ne cache rien ; mais, sans réticence, dis-moi tout ce que tu as fait, pour en recevoir le pardon de notre Seigneur Jésus Christ. Voici devant nous son icône ; moi, je ne suis qu’un témoin, pour rendre témoignage devant lui de tout ce que tu m’auras dit. Si tu me caches quelque chose, tu porteras double péché. Veille donc, puisque tu es venu(e) chez le médecin, à ne pas le quitter sans être guéri(e).</p></blockquote>
<h4>Le repentir</h4>
<p>Paraphrasant cette exhortation, saint Tikhon de Zadonsk (1724-1783) écrit : “Lorsqu’il donne des indications sur le sacrement du repentir, le prêtre devrait parler au pénitent ainsi : Mon enfant, tu te confesses à Dieu, et moi, son serviteur, je suis le témoin indigne de ton repentir. Ne cache rien, n’aie ni honte ni peur, car il n’y a ici que nous trois, toi, moi, et Dieu, devant qui tu as péché, qui connaît tous tes péchés et sait comment tu les as commis. Dieu est partout et où que tu aies dit, pensé ou fait quelque chose de mal, il était là et savait tout ; et il est ici avec nous maintenant, attendant des paroles de repentir et de confession. Toi aussi tu connais tous tes péchés : n’aie pas honte de parler de tout ce que tu as commis. Et moi qui suis ici, je suis un pécheur comme toi ; ainsi, n’aie pas honte de confesser tes péchés en ma présence.”</p>
<p>“Puisque tu es venu(e) chez le médecin”, dit le prêtre. Dans la confession, nous devons voir le Christ-juge, qui nous délivre de la sentence de condamnation ; mais nous devons voir aussi le Christ-médecin, qui restaure ce qui a été brisé et renouvelle la vie. Le sacrement ne doit pas être envisagé en termes seulement juridiques, mais aussi thérapeutiques. Par-dessus tout, la confession est un sacrement de guérison. Fait remarquable à cet égard, dans certains commentaires liturgiques byzantins, la confession et l’onction des malades sont considérés non pas comme deux sacrements distincts, mais comme des aspects complémentaires d’un seul et même “mystère” de guérison. Ce que nous cherchons dans la confession, c’est beaucoup plus qu’une absolution externe, légaliste ; c’est surtout la guérison de nos profondes blessures spirituelles. Nous apportons devant le Christ non seulement des péchés spécifiques, mais encore la réalité du péché en nous, c’est-à-dire une corruption profonde de notre nature qui ne peut être complètement exprimée par les mots, qui semble échapper à notre conscience et à notre volonté. C’est de cela surtout que nous demandons d’être guéris. En tant que sacrement thérapeutique, la confession n’est absolument pas une nécessité pénible, une discipline que nous imposent les autorités de l’Église, mais une action pleine de joie et de grâce salvatrice. Par la confession, nous apprenons que Dieu est vraiment “l’espérance des désespérés”, comme le dit la Liturgie de saint Basile.</p>
<p>“Il n’y a ici que nous trois” - le prêtre, le pénitent et le Christ médecin. Que fait chacune de ces trois personnes ? L’action de qui est-elle la plus importante ? Beaucoup de gens ont tendance à mettre avant tout l’accent sur ce que le prêtre fait, sur ses conseils et ses encouragements ; et si le prêtre ne dit rien d’éloquent ou d’inattendu, ils pensent que peu, sinon rien, ne s’est accompli. Ou alors ils surévaluent le deuxième aspect, ce qu’ils font eux-mêmes. Ils s’imaginent qu’ils doivent être profondément remués, au plan émotionnel, même si, comme nous l’avons dit, le repentir n’est pas d’abord une question d’émotion. Et parce qu’ils mettent l’accent principal sur leurs propres efforts, ils voient la confession sous un jour triste et décourageant, un peu comme une douche froide, une chose nécessaire mais désagréable avec laquelle il faut en finir au plus vite. Pourtant, en réalité, l’action la plus importante n’est pas celle du pénitent ou du prêtre, mais celle de Dieu. Même si on lui demande de se préparer par un minutieux examen de conscience, le pénitent, en dernier ressort, arrive à la confession les mains vides, impuissant, sans prétendre être capable de se guérir lui-même, mais en demandant à un autre de le guérir. Et cet autre, dont il invoque le secours, n’est pas le prêtre mais Dieu. Le prêtre n’est que “l’huissier de Dieu”, qui introduit le pénitent dans la présence divine ; il n’est, pour prolonger la métaphore médicale, que le réceptionniste dans la salle d’attente. C’est au Christ, et non au prêtre, que la confession est faite : “le Christ est présent de manière invisible pour recevoir ta confession” ; c’est du Christ, et non du prêtre, que vient le pardon : “pour en recevoir le pardon de notre Seigneur Jésus Christ.”</p>
<p>À partir du moment où nous regardons la confession, fondamentalement, comme une action du Christ plutôt que comme la nôtre, le sacrement du repentir apparaît sous un jour beaucoup plus positif. Il n’est plus simplement l’expérience de notre propre désintégration et faiblesse, mais celle de l’amour et du pardon curatifs de Dieu. Nous avons à voir non seulement le fils prodigue, cheminant lentement et lourdement sur la longue route du retour à la maison, mais aussi le père qui l’aperçoit au loin et qui court a sa rencontre<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Confession-les-larmes#pnote-87-1" id="rev-pnote-87-1">1</a>]</sup>. Comme l’écrit Tito Colliander : “Si nous faisons un pas vers Dieu, il en fera dix vers nous.” C’est précisément ce que nous vivons dans la confession. Comme tous les sacrements, la confession est une action divino-humaine, dans laquelle il y a une convergence et une “coopération” entre la grâce de Dieu et notre volonté libre. Les deux sont nécessaires ; mais ce que Dieu fait est de loin le plus important.</p>
<p>Le repentir et la confession ne sont donc pas simplement quelque chose que nous faisons par nous-mêmes ou avec l’aide du prêtre, mais quelque chose que Dieu fait avec nous et en nous. Comme le dit saint Jean Chrysostome (IVe s.), “Administrons-nous le remède salvateur du repentir ; acceptons de Dieu le repentir qui nous guérit. Car ce n’est pas nous qui le lui offrons, mais lui qui nous le donne.” Il convient ici de se rappeler qu’en grec le mot <em>exomologesis</em> signifie à la fois la confession des péchés et l’action de grâces pour les dons reçus.</p>
<h4>La part du prêtre</h4>
<p>Quelle est, plus spécifiquement, la part du prêtre dans cette synergie ? D’un certain point de vue, son pouvoir est très étendu. Tous ceux qui ont eu la bénédiction d’avoir pour confesseur une personne douée du vrai charisme de la paternité spirituelle, témoigneront de l’importance du rôle du prêtre. Sa fonction n’est pas simplement de donner des conseils. Son absolution n’ a rien d’automatique. Il peut lier aussi bien que délier. Il peut refuser l’absolution - même si c’ est très rare - ou imposer une pénitence, en interdisant par exemple au fidèle de communier pendant un certain temps ou en lui demandant d’accomplir une certaine tâche. Même si ce n’est pas très fréquent dans la pratique orthodoxe contemporaine, il n’en demeure pas moins important de se souvenir que le prêtre possède ce droit.</p>
<p>Dans l’Église des premiers siècles, les pénitences étaient souvent sévères. Pour la fornication, saint Basile le Grand (IV s.) prescrivait sept ans d’exclusion de la sainte communion et saint Grégoire de Nysse (IVe s.) neuf ans ; dans la législation canonique ultérieure, attribuée à saint Jean le Jeûneur, la peine fût réduite à deux ans avec un jeûne rigoureux. Pour un homicide involontaire - par exemple, aujourd’hui, tuer quelqu’un dans un accident de voiture - saint Basile imposait dix à onze ans d’excommunication et saint Grégoire neuf ans ; pour autant que le pénitent s’impose un jeûne strict, saint Jean le Jeûneur autorisait la réduction de cette peine à trois ans. Quant aux parents qui laissent leur enfant mourir non baptisé, ils étaient privés de communion pendant trois ans.</p>
<p>Cela dit, déjà à cette époque, l’évêque ou le prêtre-confesseur avait la possibilité de modifier ces pénitences en fonction de la situation particulière de chacun, selon les principes de “l’économie” ou souplesse pastorale. Il serait aujourd’hui tout à fait exceptionnel d’appliquer les canons dans toute leur rigueur ; une large part d’”économie” est normale. Mais le principe demeure : le prêtre est responsable devant Dieu de sa manière d’administrer le sacrement et il conserve le pouvoir d’imposer une pénitence qui peut impliquer si nécessaire, une période d’excommunication. Par exemple, dans l’Église grecque en Europe occidentale, il est d’usage pour une femme qui a avorté d’être exclue de la communion pendant une année - les anciens canons prévoyaient une période beaucoup plus longue. Dans un tel cas, le prêtre peut aussi proposer une forme plus active de pénitence : “Puisque vous avez détruit la vie, peut-il dire, allez maintenant l’affirmer, par exemple en travaillant bénévolement les douze prochains mois dans un foyer pour enfants paralysés à raison de quatre heures par semaine.”</p>
<h4>L’absolution</h4>
<p>La pénitence ne doit pas être considérée comme une punition, et encore moins comme une expiation. Le salut est un don libre de la grâce. Par nos propres efforts, nous ne pouvons jamais effacer notre faute : le Christ, l’unique médiateur, est notre seule réparation ; soit il nous pardonne gratuitement, soit nous ne sommes pas du tout pardonnés. Nous n’acquérons pas de “mérite” en accomplissant une pénitence, car, dans sa relation à Dieu, l’homme ne peut jamais revendiquer un mérite personnel. Ici, comme toujours, nous devrions penser d’abord en termes thérapeutiques plutôt que juridiques. Une pénitence n’est pas une punition, ni une forme d’expiation, mais un moyen de guérison. C’est un médicament. Si la confession véritable est comme une opération, la pénitence est le fortifiant qui redonne la santé au patient pendant sa convalescence. La pénitence est donc, à l’instar de la confession tout entière, essentiellement positive dans son but : elle n’élève pas une barrière entre le pécheur et Dieu, mais sert de pont entre les deux. “Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu”, dit saint Paul<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Confession-les-larmes#pnote-87-2" id="rev-pnote-87-2">2</a>]</sup> : la pénitence est une expression non seulement de la sévérité de Dieu, mais aussi de son amour.</p>
<p>Investi de l’autorité de lier et de délier, de refuser ou d’accorder l’absolution, jouissant d’une grande latitude quant aux conseils et à la pénitence thérapeutique qu’il peut donner, le prêtre-confesseur est chargé d’une lourde responsabilité. Pourtant son rôle est aussi limité. La confession, comme nous l’avons dit, est faite à Dieu et non au prêtre ; et c’est Dieu qui accorde le pardon. “Je ne suis qu’un témoin”, dit le prêtre ; et, plus explicitement encore selon la paraphrase de saint Tikhon de Zadonsk : “Je suis un pécheur, comme vous”. Si, au moment de l’absolution, quand il pose sa main sur la tête du pénitent, le prêtre se trouve dans une certaine mesure à la place de Dieu, il n’en est pas moins, pendant la première partie de l’action sacramentelle, comme un compagnon de pénitence, “un pécheur” qui a lui aussi besoin du pardon divin. Il y a, en fait, une relation réciproque entre le prêtre et celui qui se confesse : le père spirituel est aidé par ses enfants, comme ils le sont par lui. Le prêtre-confesseur doit aussi, à son tour, aller se confesser ; et quand il le fait, il est d’usage qu’il enlève la croix sacerdotale qu’il porte autour du cou.</p>
<p>Le rôle du prêtre en tant que témoin et compagnon de pénitence apparaît clairement dans les modalités extérieures du sacrement. Normalement, le prêtre ne devrait pas être assis lorsque le pénitent est agenouillé, car cela laisserait entendre qu’il est juge plutôt que témoin. Pendant les prières initiales, avant la confession proprement dite, le pénitent est debout face à l’icône du Christ ou à l’Évangile, et le prêtre se tient à ses côtés. Ensuite, pour la confession en tant que telle, le prêtre et le pénitent peuvent tous deux s’asseoir (pratique grecque) ou rester debout (pratique russe) : dans chaque cas, les deux font la même chose et sont comme sur un plan d’égalité. Il arrive que le pénitent s’agenouille et que le prêtre reste debout ; dans ce cas, le prêtre devra s’incliner pour entendre ce qui est dit, et ce geste a aussi sa signification propre. Au cours de l’absolution finale, le pénitent incline la tête - non pas vers le prêtre, mais vers l’icône ou l’Évangile, qui symbolisent la présence invisible du Christ, le seul à avoir le pouvoir de remettre les péchés. La prière d’absolution indique sans équivoque que c’est le Christ, et non le prêtre, qui accorde le pardon. Dans la formule la plus ancienne, toujours en usage chez les Grecs, le prêtre ne dit pas “Je te pardonne”, mais “Que Dieu te pardonne”. Au XVIIe siècle, sous l’influence de l’Église catholique romaine, l’expression a été changée dans les livres slavons et mise à la première personne : “(…) et moi, son indigne prêtre, par le pouvoir qu’il m’a donné, je te pardonne…” ; cependant, pour aucun autre sacrement de l’Église orthodoxe, le célébrant n’utilise la première personne dans son administration. On retrouve l’ancienne tradition dans la coutume du pardon mutuel, toujours observée par les Russes et d’autres orthodoxes avant de recevoir la communion : un membre de l’assemblée - ou du clergé - dit “Pardonne-moi” à une autre personne, laquelle lui répond : “Dieu pardonne”.</p>
<p>La guérison que nous vivons à travers le sacrement de la confession prend la forme plus spécifique d’une réconciliation. C’est ce que la prière d’absolution révèle : “Ne le (la) sépare pas de ton Église, sainte, catholique et apostolique, mais unis-le (la) au pur troupeau de tes brebis” (usage grec) ; “veuille le (la) réconcilier et l’unir à ta sainte Église” (usage russe). Le péché, ainsi que nous l’apprend la parabole du fils prodigue, est un exil, une aliénation, une exclusion ou mieux une auto-exclusion de la famille. Comme le dit Alexei Khomiakov (+ 1860) : “Quand l’un de nous tombe, il tombe seul.” Se repentir, c’est rentrer à la maison, revenir de l’isolement à la communauté, être réintégré dans sa famille.</p>
<h4>Le don des larmes</h4>
<p>Le don des larmes, très présent dans le mouvement charismatique contemporain, prend aussi une place importante dans la tradition spirituelle de l’Orient chrétien. La “théologie des larmes” joue notamment un rôle très significatif dans l’enseignement de saint Jean Climaque, saint Isaac le Syrien et saint Syméon le Nouveau Théologien (+ 1022). Pour saint Jean Climaque, les larmes représentent un renouvellement de la grâce du baptême : “Elle est plus grande que le baptême lui-même, cette source de larmes qui jaillit après le baptême, si audacieuse que puisse être cette affirmation. (…) Comme nous recevons tous le baptême dans l’enfance, nous le souillons par la suite ; mais au moyen des larmes, nous le renouvelons dans sa pureté première.” Saint Isaac le Syrien, de son côté, considère les larmes comme la limite cruciale entre l’état “corporel” et l’état “spirituel”, comme le point de transition entre le temps présent et le siècle à venir, dans lequel nous pouvons entrer par anticipation déjà dans cette vie. L’enfant nouveau-né pleure en arrivant dans ce monde ; de même, le chrétien pleure lorsqu’il renaît dans le siècle à venir. Saint Syméon le Nouveau Théologien estime que nous ne devrions jamais recevoir la communion sans verser de larmes. Et selon son disciple, Nicétas Stéthatos, les larmes peuvent même restaurer la virginité perdue.</p>
<p>Qu’est-ce que ce don des larmes nous dit de la signification du repentir ? Il y a beaucoup de sortes de larmes, et il est essentiel de les distinguer. La différence principale se situe entre les larmes sensuelles et les larmes spirituelles, avec toutefois une troisième espèce, les larmes démoniaques. Les larmes sensuelles sont émotionnelles, les larmes spirituelles “ascétiques”. Les premières sont généralement liées aux passions, les fruits de la colère, de la frustration, de l’envie, de l’apitoiement sur soi-même, ou simplement de l’excitation nerveuse. Les secondes, comme leur nom l’indique, sont non pas le résultat de nos propres efforts, mais un don de la divine grâce de l’Esprit Saint ; elles sont donc étroitement liées à notre prière. Les larmes sensuelles expriment notre tristesse, terrestre, de vivre comme nous le faisons dans un monde déchu et corrompu, en marche constante vers la mort. Les larmes spirituelles nous amènent à la vie nouvelle de la résurrection.</p>
<p>Selon les Pères, les larmes spirituelles sont de deux ordres. Au degré le plus bas, elles sont amères, une forme de purification, l’expression de la contrition, du regret d’avoir péché, de la peine d’être séparé de Dieu ; c’est Adam se lamentant devant les portes du Paradis, le fils prodigue, toujours en exil, pleurant sa patrie perdue. Au degré le plus élevé, elles sont douces, une forme d’illumination, l’expression de la joie née de l’amour de Dieu, de notre gratitude pour la restauration imméritée de notre état de “fils” ; c’est le fils prodigue pleurant de joie à la fête organisée en son honneur dans la maison du Père. Au degré inférieur, pour paraphraser saint Grégoire de Nysse, les larmes sont comme le sang qui coule des blessures de notre âme ; au degré supérieur, elles indiquent la spiritualisation des sens et constituent un aspect de la transfiguration totale de la personne humaine par la grâce déifiante.</p>
<p>Ces deux types de larmes spirituelles ne doivent cependant pas être opposées de manière trop tranchante, car l’un mène à l’autre. Ce qui naît comme larmes de regret pour le péché se transforme graduellement en larmes de gratitude et de joie. À nouveau, dans ce don des larmes, nous retrouvons la dimension positive, et non négative, du repentir : il n’est pas destructeur mais vivifiant, pas décourageant mais plein d’espoir.
Telle est notre expérience de la “grande intelligence” ou du “changement de l’esprit” que désigne le mot “repentir”. Rempli de peine, mais en même temps plein de joie, le repentir exprime la tension créatrice qui a toujours imprégné la vie chrétienne ici-bas et que saint Paul a décri de façon si vivante : “Nous portons partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus, pour que la vie de Jésus soit, elle aussi, manifestée dans notre corps (…) ; pour gens qui vont mourir, et nous voilà vivants ; (…) pour tristes, nous qui sommes toujours joyeux”<sup>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Confession-les-larmes#pnote-87-3" id="rev-pnote-87-3">3</a>]</sup>. Vie de repentir permanent, notre qualité de disciples du Christ est un partage à la fois de Gethsémani et de la Transfiguration, de la Croix et de la Résurrection. Un état intérieur que saint Jean Climaque résume par ces mots : “Celui qui a revêtu, telle une robe nuptiale, l’affliction bienheureuse et comblée de grâce, connaît le rire spirituel de l’âme.”</p>
<div class="footnotes"><h4 class="footnotes-title">Notes</h4>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Confession-les-larmes#rev-pnote-87-1" id="pnote-87-1">1</a>] Lc 15,20</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Confession-les-larmes#rev-pnote-87-2" id="pnote-87-2">2</a>] Rm 11,12</p>
<p>[<a href="http://blog.orthodoxesdansloise.fr/index.php?post/Confession-les-larmes#rev-pnote-87-3" id="pnote-87-3">3</a>] 2 Co 4,10 ; 6,9-10</p></div>